Événements

Art Bidon : les magiciens du métal
Quarante sculptures sur tôle Gabriel Bien-Aimé Gary Darius Serge Jolimeau (Haïti)

Français

Vernissage le mercredi 2 décembre partir de 18 h 30

Ventes au profit de l’association Legba, financeur de Livres sans
frontières au profit d’Haïti


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D’Haïti nous venait au XVIIIè siècle le sucre. La France faisait avec cette colonie plus de la moitié de son commerce extérieur. « Une île qui vaut un empire, disait-on alors en parlant de la perle des Antilles, à l’origine de l’enrichissement des bourgeoisies de Nantes, La Rochelle, Bordeaux, Le Havre, Rouen… Après l’indépendance en 1804, Haïti ostracisé n’exporta pratiquement plus rien et dû même payé à l’ancienne métopole, en éspèces sonnantes et trébuchantes, la liberté pourtant gagné sur le terrain. En soixante annuités…
Depuis quelques lustres, au gré d’échanges cahotiques, conséquence d’un Etat prédateur et d’une économie moribonde, nous vient surtout de la perle des Antilles la peinture. Comme le disait déjà André Malraux, « L’Afrique a trouvé son génie de la couleur dans la chétive Haïti, dans elle seule. » La littérature, la musique, la sculpture de pierre ou de bois comptent aussi, à côté d’un artisanat plein d’exubérance et de couleurs.
La peinture ne sera pourtant là qu’accompagnement d’un art devenu majeur en Haïti : les fers découpés. Nous avons surtout choisi les couleurs de Tiga, Un Léonard de Vinci local, par la diversité de ses centres d’intérêts et l’extrême originalité de sa peinture, du mélange utilisé qu’il appelle « terre brûlée ». Il rencontra Malraux et fut l’un des initiateurs de l’école Saint-Soleil qui révéla les primitifs haïtiens. Une douzaine de Tiga accompagneront une cinquantaine de fers de toutes dimensions.



Du bidon a la sculpture

Il s’appelait Georges Liautaud, le premier ferronnier à produire des objets qui ne soient pas entièrement utilitaires. Certains de ses apprentis des années 60 à 80 allaient lentement dépasser le maître, donnant au métal toutes les formes, toute la liberté de l’imagination et de la tradition réunies.

La peinture naïve récupéra d’abord comme support des sacs vides, des vieux papiers, des morceaux de bois ou s’épancha sur les murs. Haïti est en effet l’un des pays les plus démunis du monde, appauvri pendant trente ans par la dictature des Duvalier, aux trente mille morts, puis depuis 1986 par une transition démocratique qui n’en finit pas.

Les forgerons haïtiens sont, eux, des magiciens du bidon, les drums américains, devenus dwoum en créole. Un matériau de fortune, venu des chantiers, travaillé avec un équipement rudimentaire : enclume, marteaux et burins, c’est tout. Les ateliers sont en plein air, très sonores et disséminés dans un gros village à une petite heure de Port-au-Prince, dans la plaine du Cul-de-sac.
Les bosmetal, les maîtres du fer de la Croix des bouquets, ont longtemps pratiqué divers métiers. Une dizaine d’entre eux vivent maintenant de leur art. Des escouades d’ouvriers découpent et applatissent d’abord les dwoum aux dimensions standards : trois pieds de haut, deux de diamètre. La tôle nettoyée, « attendrie », purifiée sera tracée, et ciselée en fin de course par le maître, et entre temps inlassablement grattée, frappée, marbrée, burinée, battue, puis caressée et poncée par les ouvriers. Le premier et la dernier mots, et souvent quelques autres, appartiennent au bos. S’il juge que « l’esprit » est là, il signe la sculpture.


Les forgerons du vaudou ?

Les années 70 et 80 marquent le passage des objets usuels ou rituels à un étrange mélange –plutôt une cohabitation– du réalisme et du rêve, de la vie quotidienne et du fantastique. En dix ans, beaucoup d’innovations, dans un pays qui tentait d’apprendre la liberté. La culture et l’imaginaire vaudous font de plus en plus parler, rire ou danser le métal. Parties d’un cylindre devenu déchet, les formes, selon les artistes, se font plus pures, plus sérieuses, plus débridées ou plus fantaisistes. Des styles différents s’affinent et s’affirment. L’Afrique est là, mais les corps et les visages vous rappellent sûrement la Grèce ou l’Orient d’avant-hier. D’autres cultures sans doute.
Universalité sans doute, mais en même temps étonnant syncrétrisme de cette iconographie. Vaudou, christianismes, mythologies, modernités,… s’opposent, se complètent et se chevauchent.
Le fer, ce métal froid, est lentement transformé à coup de burin en autant de génies, de divinités vaudoues, de diables, de sirènes, d’oiseaux et de reptiles, de reminiscences ou de mythes africains. Imagination, réalisme, poésie, tendresse, truculence, jeu, érotisme : chaque artiste donne forme à un univers bien loin du quotidien haïtien, façonnant le métal de la liberté. « Seins si jolis gonflés de sève et de suc pour tous les jeux interdits. Parfums de corps, bouches ventouses, lèvres broutant la peau d’un jardin bistre », chante l’écrivain Jean-Claude Fignolé.
Dans un style tout autre, le président Aristide écrivait, quand il rassemblait son peuple, en 1992 : « Nos racines culturelles sont particulièrement solides, trempées dans deux siècles d’indépendance. La dynamique culturelle n’est pas seulement un contre-poids à notre état de sous-développement, elle est inscrite dans l’âme haïtienne. Ce peuple qui n’est pas allé à l’école est toujours à l’école de l’art. Comment mieux faire jaillir la richesse de cette révolte, de ce bouillonnement qu’on a en soi ? »
Quand on vit aux portes de l’enfer, on pense plus fort encore à d’autres mondes. La culture a souvent marronné, dans ce pays, mais l’expression de l’imaginaire est restée intacte. Et les fers découpés, qui intriguent, amusent ou passionnent les rares blan de ce pays — les étrangers, en créole– appartiennent bien à un univers artistique singulier : celui d’Haïti. Les sculpures sont tour à tour inquiètantes, déroutantes ou fascinantes, clin d’oeil ambivalent à un spectateur qui n’en percera pas toujours tous les signes ou les symboles.


LA BANDE DES QUATRE

— Gabriel Bien Aimé, 53 ans, était d’abord mécanicien. Son passage du catholicisme vaudouisant à la religion adventiste du septième jour n’a pas altéré une inspiration multiforme. Il aime travailler dans les trois dimensions (ce qui ne facilite pas le transport) et excelle dans le découpage des masques et des visages. Voilà plusieurs années qu’il a cessé son activité artistique. Pour toujours ? Peut-être.

— Gary Darius, 35 ans, poursuit parallèlement des études d’architecture, mais il a réalisé ses premiers traçages dès l’age de 8 ans. Les formes sont plus rondes et marbrées, moins naïves, plus proches de l’Antiquité gréco-latine. « Je ne suis pas vaudouisant », affirme-t-il. Sa création n’en est pourtant pas exempte, mais il apparaît comme ouvert au monde. Son émigration aux Etats-Unis pourrait compromettre sa création.

— Serge Jolimeau, 53 ans, appartient à une « confrérie » vaudoue, mais quelques photos très catholiques parsèment sa boutique. Il travaille dans toutes les dimensions. Serpents, sirènes et colombes, omniprésents, définissent un imaginaire souvent centré sur la femme. Les formes sont longilignes, la tôle minutieusement ajourée. On mesurera une évolution vers un soin extrême dans les finitions. Il apparaît à beaucoup de ses admirateurs étrangers comme le maître des maîtres.

— Les quatre frères Balan (Julio, Jonas, Romel et Balus) , de 38 à 50 ans, habitent à cöté d’un temple vaudou. Ils travaillent côte à côte et restent les plus indigènes, les plus proches du naïf. La mer, le soleil, le culte des ancêtres, l’amour et la fécondité constituent leurs thèmes favoris.

A côté de ces quatre qui sont sept, d’autres bien sûr : John Sylvestre, Jean Robert, Jean Garnier, Péralte Falaise, Poteau, Desrosiers, Pierre et Rémy Gary… et quelques anonymes. Point de femmes pour battre le fer, même si depuis 1994 et la fin de la dictature, le nombre des bosmetal augmente. Moins vite pourtant que la demande, venue surtout des étrangers. La bande des quatre, et surtout Serge Jolimeau, exporte ses fers découpés vers l’Amérique du Nord, selon les vicissitudes d’une vie politique et économique tellement incertaine.


Christophe Wargny
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