Murmures

Monique Mbeka Phoba – soirée d’hommage à Guido Huysmans
août 2014 | Décès de personnalités culturelles | Cinéma/TV | Belgique

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Contribution, de la part des cinéastes africains et congolais, à la mémoire du Directeur artistique de l’Afrika filmfestival de Louvain
BOZAR, Samedi 30 août 2014.
En l’absence de Kibushi Wooto Njate, retenu au Congo par ses activités de formation et son festival et très proche ami et partenaire de Guido Huysmans et Guido Convents, en l’absence ou l’indisponibilité d’autres doyens du cinéma congolais, tels que Balufu Bakupa Kanyinda ou Ngangura Mweze, c’est donc à moi qu’il échoit la lourde responsabilité de me faire l’interprète de l’ensemble de la communauté des cinéastes africains, pour faire ici le témoignage de la gratitude que nous vouons à la mémoire de Guido Huysmans, qui a été, 20 années durant, le directeur artistique de l’Afrika Film Festival de Louvain.
Une vie entière ne peut se résumer, non plus qu’un engagement Mais, il restera une partie de Guido Huysmans en chacun de nous, une partie de sa lumière, de sa détermination. Et même, de sa révolte, de sa colère, comme de son combat, chaque fois qu’en Belgique, une image africaine, conçue et réalisée par un africain ou d’ailleurs une africaine, viendra briser le mur du silence, le plafond de verre, la montagne de préjugés, le ramassis d’idées pré-conçues, les océans de condescendance… Chaque fois que cette image parlera plus haut que le catastrophisme ambiant, ainsi qu’on le voit aujourd’hui avec EBOLA, plus vrai que les informations biaisées, plus sincèrement que les experts et qu’elle sera acccueillie pour ce qu’elle est, le témoignage de gens qui montrent et incarnent ce qu’ils vivent et qui vivent ce qu’ils montrent et incarnent, il y aura, encore un petit pas de gagné dans la bataille d’une humanité fraternelle et respectueuse de toutes les expressions culturelles. Comme il nous tarde un jour de la voir advenir. C’est en tous cas une chose pour laquelle Guido Huysmans, tout au long de sa longue carrière, a milité, de toutes ses forces et de toute sa volonté.
Que de barrières il a fallu franchir ! 20 ans après que le festival se soit solidement implanté en Flandre et y ait gagné une véritable reconnaissance, il semble que tout ait toujours été simple et facile : ce fut tout le contraire !!!
Et c’est bien Guido Huysmans qui a été le fer de lance de cette bataille de l’Afrika Film festival de Louvain et a dû enfoncer bien des portes fermées pour imposer cet évènement totalement original en Flandre.
A quel point il a fallu pour cela s’imposer, en témoignent plusieurs anecdotes, presque tragi-comiques : je vais vous en narrer 2.
Le premier exemple, c’est le fait que voulant prendre part à une réunion de festivals existants en Flandre, les 2 Guido se soient faits sortir manu militari ou quasiment, car il leur a été représenté qu’un festival de films africains, ne pouvait être quelque chose de sérieux : il était évidemment impossible que les films faits par des africains, répondent aux critères professionnels minimum.
Le deuxième exemple est que l’Afrika Film festival ayant été un des trois évènements culturels nomminés pour le prix de la Culture oganisé en 2006 par la Communauté Flamande, les 2 Guido se sont fait hués par toute l’assemblée présente, outrée de voir sélectionné un évènement ne s’intéressant qu’à des films africains, et de ce fait, considéré comme illégitime. Le jet de bananes n’était pas loin !
Leur engagement pour le cinéma africain ont donc fait des 2 fondateurs de l’Afrika Film festival de Louvain, presque des renégats : nous, cinéastes africains, leur sommes donc comptables de leur obstination à faire exister cet évènement avec la réussite qu’on lui connait aujourd’hui, tout à l’honneur de nos films !
Une des combats menés dont Guido Huysmans a pu être le plus fier est d’avoir réussi à faire accueillir, Pauline, la veuve de Patrice Lumumba, officiellement par le maire de la Ville de Louvain, Louis Tobback, qui organisa une cérémonie à son intention.
Vous dire que Lumumba continue à sentir le souffre en Belgique et notamment dans la partie Nord du pays, n’est évidemment pas une nouvelle.
L’initiative de l’invitation de Pauline Lumumba provoqua une levée de boucliers et ce fut au point qu’un fonctionnaire menaça le festival de lui couper ses subsides pour cette année-là. Ce qui provoqua également une onde de scandales, en retour… Mais, malgré ces mouvements divers dans un sens ou un autre, Guido Huysmans refusa de cèder et c’est grâce à lui que, pour la première fois Pauline Lumumba, épouse du héros national, fut reçue avec les honneurs qui lui était dus, de façon officielle en Belgique, à l’occasion des 50 ans de l’indépendance du Congo.
Ce n’est donc pas seulement le cinéma africain que Guido Huysmans a eu à coeur de faire reconnaître, mais aussi ce champs de vieilles blessures mal cicatrisées, entre la Belgique et le Congo, qu’il faut soigner par le coeur et la vérité, dans le respect et l’estime mutuels que réclamait Patrice Lumumba.
Avoir pris de cette façon, à bras-le-corps, cette question toujours délicate et scabreuse, ce contentieux belgo-congolais, qui continue, de secouer les inconscients, c’est tout à l’honneur de Guido Huysmans, pour qui les questions de principe, visiblement, ne se négocient pas. Et à l’honneur d’un festival qui a trouvé une place particulière dans les coeurs des Africains de Belgique comme de ceux du continent, dont nous parviennent depuis le décès de Guido Huysmans, les expressions d’un chagrin unaniment éprouvé.
Cher Guido, la mort n’est pas quelqu’une à qui l’on peut reprendre ses proies. Sinon, crois-moi, que ce serait déjà fait, car tu vas nous manquer infiniment.
Monique Mbeka Phoba.
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