Murmures

Procès Vautier / Confluences
octobre 2004 | | Cinéma/TV | France

Français

L’espace Confluences condamné après la plainte du cinéaste
Trinunal de Grande Instance de Paris / République française
Au nom du Peuple Français

JUGEMENT
Rendu le 22 Septembre 2004


17 éme Ch. Presse-civile
N° RG : 03/14045

DEMANDEUR
NB
Monsieur René VAUTIER
50 Boulevard Thiers
Assignation du : 35260 ­ CANCALE
16 Septembre 2003
représenté par Me Yves-Henri NEDELEC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D1066

souder

DEFENDEUR

Monsieur Frédéric HOCQUARD

168 Boulevard de Charonne
75020 PARIS

représenté par Me Juliette GRISET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire R 193



COMPOSITION DU TRIBUNAL


Magistrats ayant participé aux débats et au délibéré

M. BONNAL, Vice-Président
Président de la formation
M. JEAN-DRAEHER, Vice-Président
Mme GUICHARD, Juge
Assesseurs

assistés de Melle RABEYRIN, Greffier


DEBATS


A l’audience du 30 Juin 2004
tenue publiquement

JUGEMENT


Prononcé en audience publique
Contradictoire
en premier ressort



Vu l’assignation que René VAUTIER a fait délivrer, par acte en date du 16 novembre 2003, à Frédéric HOCQUARD, par laquelle il est demandé au tribunal, sur le fondement des dispositions des articles 29, alinéa 1er et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, de dire diffamatoires les termes d’un communiqué notamment signé du défendeur, diffusé le 16 juillet (en fait 16 juin) précédent et intitulé  » Déprogrammation de René VAUTIER à l’Espace Confluences « , de condamner l’auteur de ce texte à payer au demandeur la somme de 15 244,90 euros à titre de dommages et intérêts, d’ordonner trois publications judiciaires, le tout sous le bénéfice de l’exécution provisoire, et de condamner le défendeur au paiement de la somme de 3048,98 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Vu l’offre de preuve notifiée par Frédéric HOCQUARD par acte en date du 26 septembre 2003 et l’offre de preuve contraire notifiée le 30 septembre 2003 par René VAUTIER, dénonçant respectivement 25 et 9 documents et les noms de 4 et 6 témoins ;

Vu les conclusions interruptives de prescription régulièrement signifiées les 9 décembre 2003,
4 mars et 25 mai 2004 ;

Vu les dernières écritures régulièrement signifiées :

– le 15 juin 2004 par René VAUTIER, qui maintient les demandes contenues dans son acte introductif d’instance et conclut au rejet de l’argumentation adverse,

– le 16 juin 2004, par Frédéric HOACQUARD, qui fait valoir que le communiqué litigieux n’a pas eu un caractère public, subsidiairement qu’il n’est pas diffamatoire et, plus subsidiairement, que la preuve de la vérité des faits évoqués a été rapportée, demande enfin encore plus subsidiairement, le bénéfice de la bonne foi et poursuit, en tout état de cause, la condamnation du demandeur à lui payer les sommes de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de
3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Vu l’ordonnance de clôture en date du 16 juin 2004 ;

Vu l’audition en qualité de témoins, à l’audience du 30 juin 2004, au titre de l’offre de preuve, d’Ariel CYPEL, au titre de l’offre de preuve contraire, d’Henri ALLEG, de Pierre BRAUN, de Jean-Henri ASSELMEYER et d’Olivier AZAM et, au titre de la bonne foi, de Pierre AIDENBAUM, d’Albert HERSKOWICZ et de Mosco Pierre BOUCAULT ;







MOTIFS


Les faits

L’espace CONFLUENCES, lieu culturel géré par l’association du même nom et situé 190, boulevard de Charonne, dans le XXème arrondissement de PARIS, dont Frédéric HOCQUARD est le directeur général, avait programmé pour le lundi 16 juin 2003, à 20h30, la projection d’un film d’Arnaud SOULIER et de Sabrina MALEK, intitulé René VAUTIER, un cinéaste franc-tireur ; un débat avec le cinéaste René VAUTIER devait suivre cette projection..

Le jour prévu pour cette manifestation, l’association a décidé d’y renoncer et a diffusé un communiqué pour informer de cette annulation les personnes intéressées.

Ce sont les termes reproduits ci-après, de ce communiqué, signé d’Ariel CYPEL et Frédéric HOQUARD et intitulé « Déprogrammation de René VAUTIER à l’espace CONFLUENCES » qui sont poursuivis par le demandeur :

 » L’espace CONFLUENCES avait programmé pour ce lundi 16 juin, le film de Arnaud SOULIER et Sabrina MALEK, : « René VAUTIER un cinéaste franc-tireur ».

Nous avons appris ce que nous ignorions, que René VAUTIER avait témoigné en faveur de Roger GARAUDY, négationniste et antisémite tristement célèbre, lors de son dernier procès.


Pour cette raison l’espace CONFLUENCES déprogramme la soirée.


La projection du documentaire ainsi que l’intervention de René VAUTIER qui étaient prévues n’auront pas lieu.

Nous prions les spectateurs d’accepter nos excuses pour le dérangement, et nous nous engageons pour les prochaines projections à faire preuve de plus de rigueur. »

Sur le caractère de l’écrit incriminé

C’est à tort que le défendeur fait valoir que la condition de publicité exigée par l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 ne serait pas remplie.

Il résulte, en effet, des attestations régulières en la forme versées aux débats et émanant de Marie-Laure COQUELET-VARIN, Yolande ROBVEILLE, Fawsia KABIR, épouse BENSLIMANE, Guillaume ARNAUD et Jean-Philippe GASPOROTTO que le communiqué litigieux a été distribué sous forme de tracts aux personnes qui se présentaient le 16 juin 2003, pour assister à la projection.

Les termes de ces attestations ne sont pas sérieusement contestés par le témoignage d’Ariel CYPEL, co-auteur du communiqué, qui a, certes, déclaré au tribunal qu’aucune des personnes qui se sont présentées, aux jour et heure prévus pour la projection n’ont pris le tract ­ qui était cependant disponible sur une table dans l’espace extérieur dépendant des locaux de l’association mais librement accessible au public-, mais admis qu’il ne pouvait exclure que ce document ait été emporté par certains sans qu’il ne le voie.
Il n’est pas contesté, par ailleurs, que le communiqué a été adressé par courrier électronique aux personnes figurant dans les fichiers de l’association, le matin du 16 juin. Les pièces versées aux débats permettent d’établir qu’il a été reçu, notamment, par les auteurs du film, par Olivier AZAM (qui l’a confirmé sous serment) Olivier PIERRE, Zebeïda CHERGUI, Emmanuelle CALLAC et Meriem LARIBI et également sur l’adresse électronique de la salle de spectacle brestoise LE QUARTZ.

S’il est incontestable qu’un courrier électronique a le caractère d’une correspondance privée, il n’en reste pas moins que l’envoi par ce mode de communication d’un même document à plusieurs destinataires non liés entre eux par une communauté d’intérêts caractérise la publicité de l’écrit, au sens de la loi.

Or, le défendeur n’établit nullement que les personnes qui ont, sous ces formes différentes, été destinataires du document litigieux, étaient lièes entre elles par une telle communauté d’intérêts, alors qu’elles n’étaient pas toutes membres de l’association CONFLUENCES et ont reçu ce communiqué à des titres divers.

Il en résulte que l’écrit incriminé a eu un caractère public, au sens des dispositions susvisées.

Sur le caractère diffamatoire des propos

Il convient de rappeler que le 1er alinéa de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou de corps auquel le fait est imputé ».

Le communiqué poursuivi contient l’insinuation que René VAUTIER a montré, en témoignant en faveur de Roger GARAUDY, une complaisance coupable à l’égard du négationnisme et de l’antisémitisme prôné par ce dernier.

Les auteurs du texte ont fait le choix de la locution « en faveur de », alors qu’il leur aurait été possible d’écrire à la requête de ; ils définissent Roger GARAUDY en cinq mots,  » négationniste et antisémite tristement célèbre « , qui n’envisagent donc cet universitaire et écrivain que sous une seule caractéristique, celle de délinquant notoire ; formulant enfin des excuses dans la phrase finale, ils présentent leur choix initial de programmer un documentaire consacré à René VAUTIER et de donner la parole à ce dernier comme marqué par un coupable défaut de rigueur.

Par ailleurs, à aucun moment, le propos incriminé ne met l’accent sur d’autres raisons qui auraient pu expliquer le témoignage dénoncé : les dispositions de l’article 437 du code de la procédure pénale, aux termes desquelles « toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer », ne sont, en particulier, pas évoquées.

L’analyse du texte démontre donc que, sans accuser le demandeur d’être lui-même négationniste ou antisémite, ses auteurs ont bien entendu dénoncer la complaisance de René VAUTIER à l’égard de telles thèses.

Dès lors que négationnisme et antisémitisme sont susceptibles, en vertu des dispositions des articles 24, alinéa 8, 24 bis, 32, alinéa 2, et 33, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, de tomber sous le coup de la loi pénale, une telle imputation est contraire à l’honneur et à la considération de celui qu’elle vise.

Sur l’offre de preuve

Ayant régulièrement offert de prouver la vérité des faits diffamatoires, le défendeur doit le faire de façon parfaite, complète et corrélative aux imputations diffamatoires dans toute leur portée.

Il verse aux débats, à ce titre, quatre jugements rendus par ce tribunal le 27 février 1998 déclarant Roger GARAUDY coupable de délits de contestation de crimes contre l’humanité, d’une part, et de diffamation publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur appartenance ou non appartenance à une nation, une ethnie, une race ou une religion, en l’espèce envers la communauté juive, d’autre part, et le relaxant du délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers le même groupe de personnes, et ce, à raison de divers passages de son ouvrage Les mythes fondateurs de la politique israélienne, ainsi qu’une décision de la Cour européenne des droits de l’homme déclarant une requête du même Roger GARAUDY irrecevable et des termes de laquelle il résulte que les jugements précités ont été confirmés en appel, par des arrêts devenus définitifs à la suite des rejets des pourvois en cassation qui avaient été formés contre eux.

Il résulte des termes d’un mémoire de maîtrise réalisé par une étudiante de l’université de PARIS X- NANTERRE que René VAUTIER a été entendu comme témoin lors des procès en première instance, à la requête de Roger GARAUDY, et qu’il aurait notamment déclaré, selon la retranscription faite par cette étudiante d’après des articles de presse : « Honnêtement je crois à l’existence des chambres à gaz, je crois à l’existence des lieux, » Je dirai : GARAUDY, c’est un doute que je ne partage pas avec toi » et encore  » C’est un homme qui remet perpétuellement en question ce qu’il pense. Ca m’a gêné. Mais n’est-ce-pas le propre de l’homme ? Il m’a appris à douter et à me battre pour les choses dont je suis sûr. « 

Les autre pièces versées au titre de l’offre de preuve sont des coupures de presse rendant compte des débats du procès en première instance de Roger GARAUDY et datant des 9 au 19 janvier et du 2 mars 1998.

Outre que ces coupures de presse ­de même que le travail universitaire précité, qui ne constitue que leur exploitation- sont, en elles-mêmes, dépourvues de toute valeur probante, il n’en résulte nullement que René VAUTIER aurait montré une complaisance coupable envers les thèses négationnistes ou antisémites du prévenu, la tonalité générale des propos tenus par le témoin étant très proches de ceux qui ont été retranscrits ci-dessus.

Aucun des deux témoins cités au titre de l’offre de preuve que le tribunal a entendus n’a assisté à la déposition du demandeur en 1998.

Il doit, en conséquence, être constaté que le défendeur a échoué en son offre de preuve. L’examen de l’offre de preuve contraire est donc sans objet.

Sur la bonne foi

Les propos diffamatoires étant réputés avoir été tenus de mauvaise foi, le défendeur peut, cependant, justifier de sa bonne foi, s’il établit qu’il poursuivait, en écrivant et publiant les propos incriminés, un but légitime, qu’il n’était animé par aucune animosité personnelle, qu’il a conservé dans l’expression une suffisante prudence et qu’il s’est appuyé sur une enquête sérieuse.

Il était évidemment légitime, pour le directeur général de l’espace CONFLUENCES, d’informer le public sur la décision prise par l’ association d’annuler une manifestation prévue de longue date et d’en préciser les raisons ­étant rappelé que l’opportunité du choix lui-même de la « déprogrammation » n’est évidemment pas soumise à l’appréciation du tribunal et relevait de la libre appréciation des organisateurs de la manifestation-

Il ne résulte d’aucun des éléments produits que le défendeur aurait été, en fait, animé par une quelconque animosité personnelle à l’encontre de René VAUTIER.

L’auteur du communiqué, qui n’est pas journaliste, se devait, cependant, de rassembler des éléments suffisants au soutien de l’affirmation centrale contenue dans son texte.

Il ne peut être tenu compte, pour apprécier sa bonne foi, de la copie des notes d’audience prises lors des procès de Roger GARAUDY en 1998, dès lors qu’il n’est pas contesté que le défendeur ne les avait pas eues en main au moment de rédiger et de diffuser son communiqué, qu’en ce qu’elles confirment les informations que Frédéric HOCQUARD avait recueillies dans la presse ou obtenues d’Albert HERSKOWICZ.

Ce dernier a indiqué au tribunal, sous la foi du serment, qu’il avait informé le directeur général de CONFLUENCES du fait que René VAUTIER avait témoigné en faveur de Roger GARAUDY. Il a décrit au tribunal l’ambiance détestable qui régnait selon lui au sein du public rassemblé dans la salle d’audience, « où se mêlaient des porteurs de Keffiehs et des vieux nazis » mais a indiqué qu’il n’avait pas assisté à la déposition du cinéaste ou, du moins, qu’il ne s’en souvenait pas.

Il n’a donc pas pu rapporter à Frédéric HOCQUARD les propos tenus par René VAUTIER en qualité de témoin.

Les coupures de presse produites en défense (L’HUMANITE, LIBERATION et LE FIGARO en date du 10 janvier 1998) rendent comptent des déclarations de ce dernier, en janvier 1998, en mettant toutes l’accent sur le fait que l’admiration professée pour l’homme Roger GARAUDY, ne conduisait pas le témoin à épouser les thèses négationnistes ou les propos antisémites du prévenu, dont au contraire, il se désolidarisait..

De surcroît, il est établi qu’avant de rédiger le communiqué, un contact a eu lieu entre la direction de CONFLUENCES et René VAUTIER. Pourtant, il n’est nullement fait état, dans le texte poursuivi, de ce que le cinéaste se défend de l’insinuation qu’il contient.

Si le défendeur pouvait parfaitement faire état de son incompréhension, voire d’une réaction de rejet, face à la décision qu’avait prise en son temps René VAUTIER de s’exprimer à la requête de Roger GARAUDY ou face au contenu de ce témoignage, il ne pouvait, pour autant, présenter celui-ci de façon déformée ou, à tout le moins, partielle, en omettant de relever, au contraire de ce qu’ avaient fait les journalistes dont il avait lu les articles, que le cinéaste tout en témoignant de son amitié et son admiration pour l’homme, avait clairement marqué qu’il ne partageait pas les thèses négationnistes qui étaient reprochées à celui-ci.

Dans ces conditions, le bénéfice de la bonne foi ne peut être reconnu au défendeur.
Le préjudice subi par le demandeur du seul fait de la diffusion de ce communiqué sera justement réparé par l’octroi d’une somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts et par la publication d’un communiqué judiciaire dans un journal de son choix.

L’exécution provisoire, compatible avec la nature de l’affaire et opportune en l’espèce, sera ordonnée.

Il y a lieu, en équité, de condamner Frédéric HOCQUARD à payer à René VAUTIER la somme de 2 000 euros au titre de frais irrépétibles engagés par ce dernier pour faire valoir ses droits en justice.



PAR CES MOTIFS



Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire en premier ressort,

CONDAMNE Frédéric HOCQUARD à payer à René VAUTIER la somme de TROIS MILLE EUROS (3 000 euros) à titre de dommages et intérêts ;

ORDONNE la publication, aux frais du défendeur, dans un organe de presse au choix du demandeur, et dans la limite d’un montant de 3 500 euros, du communiqué suivant :


 » Par jugement en date du 22 septembre 2004, le tribunal de grande instance de PARIS, chambre de la presse, a condamné Frédéric HOCQUARD pour avoir publiquement diffamé René VAUTIER, en diffusant, le 16 juin 2003, au nom de l’espace CONFLUENCES, un communiqué intitulé  » Déprogrammation de René VAUTIER à l’espace CONFLUENCES  » le mettant en cause. »


ORDONNE l’exécution provisoire de la présente décision, sauf des chefs des frais irrépétibles et des dépens ;

CONDAMNE Frédéric HOCQUARD à payer à René VAUTIER la somme de DEUX MILLE EUROS (2 000 euros) sur le fondement des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

CONDAMNE Frédéric HOCQUARD aux dépens ;

AUTORISE Me Yves-Henri NEDELEC à recouvrer directement ceux des dépens dont il a fait l’avance sans avoir reçu provision dans les conditions prévues à l’article 699 du nouveau code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 22 Septembre 2004
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