Murmures

ESJ Paris : L’extrême droite s’offre une école et de futurs soldats de l’information
décembre 2024 | Faits de société | Média | France
Source : Blast

Français

Pendant qu’un patron d’extrême droite cherche à prendre le pouvoir dans le groupe Bayard, une bande de milliardaires rachète l’ESJ pour en faire une école de bons soldats au service de leur business et de leurs croyances. On retrouve là les chantres de la « culture populaire française », Pierre-Édouard Stérin, Vincent Bolloré, Rodophe Saadé, Bernard Arnault, la famille Dassault, Alban du Rostu, Ghislain Lafont, François Morinière et Vianney d’Alançon. Cette offensive très inquiétante vise à inventer un nouveau journalisme pour qui l’information devient un moyen d’influencer les foules.



À l’annonce, le 15 novembre 2024, du rachat de l’École supérieure de journalisme (ESJ) Paris par un ensemble de financeurs déjà détenteurs de journaux, de radios, de chaînes de télévision, nationaux ou régionaux, c’est désormais la formation des journalistes qui va être adaptée à leurs besoins et orientations politiques. Ces financeurs sont Koodenvoi (fonds d’investissement dans les très petites entreprises créé, entre autres, par Marie-Hélène Dassault, dont la famille est propriétaire du Figaro), la Compagnie de l’Odet (société financière qui couvre 67,7 % des activités du groupe Bolloré, ce qui inclut Canal+, Europe 1, Prisma, Le Journal du dimanche…), CMA Média (propriété de l’armateur Rodolphe Saadé qui possède La Provence, Corse-Matin, BFM-TV, RMC…), mais également la Financière Agache (propriété de Bernard Arnault, qui détient aussi Le Parisien, Paris Match et Les Échos) et le groupe Banijay (arrivé en retard), dont Cyril Hanouna est actionnaire, deuxième fournisseur d’images pour… France Télévisions. Ces derniers ne font pas du journalisme, ce sont des producteurs de programmes de divertissement.




Le tour de table initial comprenait, également, Bayard Presse (La Croix, Le Pèlerin, plusieurs titres jeunesse). Ce dernier groupe de presse détonnait dans le tableau et beaucoup de journalistes eux-mêmes sont restés circonspects quant à l’implication véritable du respectable journal La Croix dans ce montage. L’un des rares à informer avantageusement sur toutes les confessions. Un communiqué du syndicat CFDT s’étonnait dès le 16 novembre et questionnait immédiatement la direction. Rien de tout cela n’avait été abordé en interne avant que la nouvelle ne tombe, sauf qu’en réalité, les dés étaient jetés, confirmant les méthodes de ces investisseurs pour qui les syndicats sont dispensables. En effet, si les élus du personnel ont obtenu une réunion extraordinaire pour que l’entreprise s’explique sur ce projet le lundi 25 novembre, ils n’étaient pas au bout de leur surprise. Non seulement la participation de Bayard presse au montage du rachat de l’ESJ Paris était confirmée, mais aussi l’arrivée au poste de directeur de la stratégie du groupe d’un certain Alban du Rostu.



Ce dernier, qui devait prendre ses fonctions de « directeur de la stratégie et du développement » de Bayard le 10 décembre, est un factotum du milliardaire catholique, ultra-conservateur, libertarien et évadé fiscal Pierre-Édouard Stérin. Le parcours de celui-ci a largement été documenté, principalement grâce au journal L’Humanité qui va faire la lumière sur son projet Périclès pour Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes. Tout un programme d’extrême droite.



Le seul nom de Rostu a provoqué une fronde à La Croix. En effet, il s’était fait connaître en tant qu’émissaire de Stérin dans sa tentative de rachat de Marianne au très libéral et europhile milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, lui aussi en quête de diversification dans la presse, l’audiovisuel et l’édition. Il est actionnaire du journal Le Monde, du Nouvel Observateur, mais aussi de magazines issus de l’ancien groupe Lagardère dont Elle, et possède désormais Editis, racheté à Bolloré – Stérin faisait d’ailleurs partie des autres candidats au rachat du groupe éditorial. Daniel Kretinsky avait décidé de mettre en vente Marianne en juin 2024 ; il n’adhérait plus à la ligne éditoriale de l’hebdo de plus en plus acerbe sur l’Union européenne et soupçonneux sur les bienfaits du libéralisme, tandis que Pierre-Édouard Stérin, lui, appréciait l’évolution du titre dans son nationalisme industriel, la lutte contre l’islamisme et le « wokisme », décidément fourre-tout facile pour l’extrême droite (mais pas seulement) pour mieux masquer son refus de tout changement et interrogation dans la société. Rostu était donc l’intermédiaire pour finaliser l’affaire, jusqu’à ce que, ironie de l’histoire, un article du Monde, retrace les liens dans l’ombre de Stérin avec le RN. Le journalisme, ici, vient au secours du journalisme. La rédaction de Marianne se mobilise, vote contre la reprise, et renvoie Rostu à ses études. Quelles études ? Sciences Po, puis la finance et le consulting chez McKinsey… Oui, les conseillers de Macron. Surtout, Rostu est depuis 2021 le cofondateur d’un objet philanthropique érigé par Stérin, le Fonds du bien commun qui chaque année organise « La nuit du bien commun », une messe (organisée à l’Olympia propriété de Bolloré) consistant à ramasser des mannes pour des projets décrits ainsi par Rostu lui-même dans son vœu de rapprochement avec la Fondation du patrimoine : « Le Fonds du Bien Commun permettra d’inspirer de nombreux porteurs de projet à innover à leur tour, dans une logique de réseau et de partage, pour que demain, tous les sites religieux de France soient des lieux ouverts, vivants et enracinés dans le cœur des habitants. » Le socle catholique conservateur de la Fondation se fait plus précis à mesure qu’elle rassemble tout un aéropage de personnalités que Stérin lui-même propose d’impliquer quand il approche le RN avec de bonnes intentions, pour le soutenir plus ouvertement dans sa stratégie électorale au moment où Éric Ciotti se rallie aux lepénistes. En termes de patrimoine, il n’est pas avare puisque c’est lui, avec son associé François Durvye, le patron de son fonds d’investissement Otium Capital, qui va racheter, via une société civile immobilière, pour 2,5 millions d’euros la villa de la famille Le Pen de Rueil-Malmaison. Il n’y a pas de hasard, François Durvye est le conseiller officieux de Marine Le Pen actuellement soupçonnée de détournement d’argent public.



Rostu s’implique donc dans la conquête de médias, parce que Stérin est tout à fait admiratif de la façon dont Bolloré a déjà transformé le groupe Canal + et le JDD en voix de son maître en extirpant tous les journalistes de la rédaction. Pour le remplacer, Stérin nomme alors à la tête du Fonds du bien commun un conseiller de l’agence américaine Bain & Co., spécialisée dans la levée de fonds et l’accompagnement de jeunes entreprises, Edward Whalley. Le point commun entre le Fonds du bien commun et l’agence américaine est que le Macronisme a ouvert la porte à ce genre de pratiques pour restreindre le pouvoir de l’État au profit du privé.



Derrière tout cela, on trouve un autre personnage clé en pouvoir d’impliquer Bayard. C’est un véritable homme de la presse, des médias et de la communication : François Morinière. Il devient président du directoire et directeur général du groupe Bayard le 1er novembre 2024, après avoir fait partie pendant six ans du conseil de surveillance et été président du comité d’audit de Bayard. Il sait donc que le groupe ne se porte pas très bien. En mars 2024, le directoire annonçait d’ailleurs à ses salariés une perte record de 7,5 millions d’euros. Morinière est un fervent catholique et possède un CV clinquant, puisqu’il a dirigé la société d’affichage Giraudy pendant sept ans (2001-2008), a été administrateur du Syndicat professionnel des quotidiens nationaux puis à la tête du groupe l’Équipe (2008-2014). Il a été également administrateur de l’Agence France Presse (AFP) de 2015 à 2022 ; enfin, en 2014, il est le premier président de l’Association des chaînes de télévision indépendantes. Ce qui doit créer des liens. Il devient comme par enchantement président des Nuits du bien commun en 2023 après, c’est limpide, en 2016, avoir été intronisé président des Entretiens de Valpré. Ce rendez-vous régulier d’Écully, où officient à l’occasion des prêtres. Ghyslain Lafont lui en a transmis le flambeau. Bel hommage. C’est aussi pour lui l’occasion de passer des messages. « L’homme et la rentabilité ne doivent pas être opposés » était l’un des thèmes lancé par cet homme totalement soluble dans l’apostolat de la Congrégation des Assomptionnistes. En gros, l’entreprise heureuse fait société bien mieux que l’État et l’harmonie entre employeur et employé a « pour ciment l’amour. » Le « bien commun » est le maître-mot des adeptes de cet ensemble que Morinière a rejoint et que Pierre-Édouard Stérin chérit.



Un précédent, l’Institut libre du journalisme



Déjà en 2018, ce Fonds du bien commun a primé le projet de l’Institut libre de journalisme (ILDJ) de Paris qui, sous la direction d’Édouard du Peloux, n’a jamais caché sa volonté de former des journalistes-soldats de droite et d’extrême-droite pour les placer au sein des médias amis, CNews, BFM ou Europe 1. Le Monde a retracé le passé de certains étudiants appartenant à la mouvance identitaire, de Zemmour à Marion Maréchal Le Pen, voire à ses appendices néo-nazis. L’ILDJ consiste en une formation technique accélérée en 150 jours contre deux années en école de journalisme conventionnée. Du côté des intervenants, la crème des éditorialistes réactionnaires issue de Valeurs Actuelles, du FigaroVox, Causeur, CNews, Le Figaro ou Boulevard Voltaire se bouscule. Tous dénoncent le « politiquement correct » des médias publics, pour ne pas dire le gauchisme de la profession. Mais cette formation, parce que succincte, n’exempte pas les élèves de stages de perfectionnement ultérieurs, en alternance quand ces derniers sont embauchés dans les chaînes d’information notamment de chez Bolloré. Une ancienne formatrice du CFPJ raconte qu’elle s’est retrouvée face à un nombre non négligeable de gens de CNews et de la galaxie Bolloré venus se perfectionner non sans manifester parfois quelque résistance aux enseignements dispensés sur les fondements du journalisme. L’ILDJ n’est pas reconnu par la profession, tout comme l’ESJ Paris. Mais peu d’écoles sont reconnues. Ce qui signifie que la CPNEJ (Commission paritaire nationale pour l’emploi des journalistes, créée après la Seconde Guerre mondiale regroupant des établissements privés et publics) délivre une certification des écoles, qui est obtenue en fonction de critères qu’elle définit elle-même (la commission est basée sur le paritarisme entre les journalistes et leurs employeurs) et se conforme donc à l’exigence née il y a 50 ans de garantir d’indépendance du travail des journalistes.



Les critères visant à l’obtention d’une carte de presse ne sont pas eux liés à la formation. C’est toute la difficulté et le danger de la séquence que nous sommes en train de vivre avec l’arrivée sur le marché de la presse de ces acteurs pour qui l’information relève d’abord d’une marchandise, ensuite d’un possible trafic d’influence. Pour obtenir une carte de presse il suffit de percevoir plus de la moitié de ses revenus d’une entreprise de presse. On voit bien l’ampleur des dégâts possibles si les journalistes vont directement de l’école à l’emploi sans autre expérience. Les nouveaux entrepreneurs de ces médias de droite trouveront aisément dans des médias complaisants ayant un numéro de commission paritaire des bras accueillants. Ainsi le circuit court – on sélectionne, on forme, on embauche- va générer au fil du temps des générations de petits soldats de l’information (plus que de droite) prêt à dégainer des informations à visée propagandiste.



De là à penser que ce premier pas dans la formation de ces journalistes missionnaires aiderait à une victoire électorale du RN puis à sa pérennité dans le paysage politique, il n’y a qu’un pas. Pas un grand pas.



Le hic dans tout ça est que Stérin et Rostu n’avancent plus masqués. Chacun sait que celui qui a fait fortune en vendant des Smartbox, des bouts de cartons en guise de cadeaux pour des activités prépayées n’est pas armé des meilleures intentions pour relever le niveau de l’information à laquelle il s’attaque fréquemment quand on évoque ses liens avec l’extrême droite. Comme dans l’Humanité où il affirme dans un droit de réponse : « Le Fonds du Bien Commun agit au service de l’intérêt général en ne soutenant que des associations reconnues d’intérêt général. Le Fonds du Bien Commun est apolitique et s’inscrit pleinement dans les valeurs de la République. » République dont on cherche, par tous les moyens, à éviter les services fiscaux. Pour l’intérêt général, on repassera.



Chez Bayard, les pedigrees de Rostu et de Stérin, et plus largement la volonté d’entraîner le groupe dans la « relance » de l’école de journalistes prêts à servir les intérêts des milliardaires qui la finance ont secoué les journalistes qui, après une grève d’une heure vendredi 27 novembre, ont obtenu le lundi suivant avec l’intersyndicale la mise à l’écart de Rostu qui ne sera donc jamais « directeur de la stratégie et du développement du groupe » un poste créé de toutes pièces. L’intersyndicale se félicitait de cette victoire – « On ne veut pas de l’extrême droite à Bayard » (AFP) – mais aussi de la reculade du directoire de Bayard que le groupe quittait la table des négociations à la reprise de l’ESJ-Paris.



Un défi lancé aux écoles de journalisme

Le rachat de l’ESJ, bouscule les certitudes des autres écoles dont le procès en conformisme ou en atonie sous couvert de neutralité, notamment en ce qui concerne l’audiovisuel public, est ouvert. Malheureusement pas par les bonnes personnes, puisqu’il est instruit par les animateurs vedettes de Vincent Bolloré.



Pour Antoine Chuzeville, référent « école de journalisme » au SNJ, principal syndicat des journalistes : « La réponse est apportée par les journalistes formés dans les écoles reconnues. Ils travaillent du Figaro à l’Humanité comme à Canal dans l’audiovisuel. S’ils n’étaient formés que pour France Inter, ça se saurait. » Il ajoute, « il reste des efforts à faire sur la diversité, c’est vrai, on en a conscience ». En effet, la plupart des journalistes issus de ces écoles sont issus de familles de cadres moyens ou supérieurs. Mais pour revenir au sujet de l’ESJ-Paris, le syndicaliste s’étonne davantage de constater que cet établissement non reconnu ne prenne même plus la peine de déposer le moindre dossier depuis des années, ayant donc déjà choisi de ne pas être dans le système paritaire. « Pour nous, il est surprenant de voir à cet égard des propriétaires de médias participer à la CPNEJ où syndicats et les patrons de presse examinent donc les conditions de ces formations dispensées par les écoles reconnues. Saadé (BFMTV), par exemple, indirectement, participe à l’édiction du cahier des charges imposé aux écoles de journalisme reconnues et ces obligations sont lourdes à respecter. Les voir investir dans un projet de rachat d’une école qui n’a jamais cherché à respecter les conditions qu’ils édictent est surprenant. Il y a là un contournement de ce système paritaire. » Et une belle hypocrisie.



Cela posé, la majorité des enseignements liés au journalisme ne sont pas reconnus en France, seul pays où existe ce système paritaire. « Ils sont difficiles à évaluer. Il y a des formations à divers niveaux, on en compte une centaine postbac. Beaucoup de journalistes suivent une formation universitaire, dont quelques-unes cherchent à obtenir la reconnaissance de la CPNEJ ce qui est bon signe. Mais la majorité des journalistes ne sont pas issus des écoles certifiées. » Au nombre de 13, bientôt 14, elles forment un peu plus de 600 journalistes. Il existe donc déjà une forme de concurrence entre les formations. « Cela génère beaucoup d’inquiétude après ce qui s’est passé à Canal et au JDD il y a un an et demi, poursuit Chuzeville, et l’arrivée d’un homme de Stérin dans le groupe Bayard a créé beaucoup d’émotion. Pour les salariés, c’est incompréhensible, on appelle au soutien de toute la profession. L’inquiétude, au-delà des personnes impliquées dans le rachat de l’ESJ-Paris, est que les médias qu’ils possèdent comptent. C’est un coup dur pour les écoles car leur économie est fragile, le coût en matériel, locaux, intervenants, est très élevé c’est parfois du bricolage financier et ce sont les médias partenaires eux-mêmes qui font augmenter les charges compte tenu de leurs exigences. » Les écoles en question demeurent discrètes, voire prudentes face au double jeu des milliardaires qui ont un pied dans le système paritaire, un autre dehors. « C’est maintenant aux professionnels et aux syndicats d’être solidaires et de ne pas accepter qu’ils ouvrent une deuxième voie d’accès aux grands médias, c’est dangereux. »



C’est aussi l’avis du sociologue Jean-Marie Charon qui s’exprimait le 26 novembre sur France Culture : « Ce projet pourrait être une manière de faire pression sur l’ensemble du système de formation en journalisme. Les grands investisseurs semblent vouloir créer une alternative qui pourrait rivaliser avec les écoles déjà établies et leur modèle paritaire. »



Par-delà, la concurrence que pourrait exercer une école qui promettrait à coup sûr une embauche dans une des maisons mères, quel qu’en soit le prix d’entrée (selon la formation, cela va des simples droits d’inscription universitaire jusqu’à parfois plus de 7 000 euros par an dans les écoles privées), pourrait concurrencer le fourniment des journalistes les mieux formés dans une économie qui a tendance à se rétracter. Le modèle des académies d’entreprises de presse existe à l’étranger (les journalistes y sont formés en alternance) et la question de la reconnaissance des diplômes ne serait plus un sésame avantageux vers l’emploi puisque les écoles reconnues se veulent aussi des accélérateurs de carrière selon un système de partenariat avec différents médias. Le risque est donc grand que la garantie de l’emploi offerte à des étudiants qui s’inscriraient à l’ESJ Paris dans les nombreux médias de droite prévale sur les vocations les plus saines. Quant à la carte de presse, comme les médias en question siègent à la CCIJP si les salariés journalistes soldats remplissent les conditions des autres, il n’y aurait pas lieu de leur refuser. « Le risque, conclut Antoine Chuzeville est désormais que la formation de l’ESJ-Paris débouche dans quelques années sur des places réservées à BFM, Canal ou autre au sortir d’une première promotion. Les portes seront-elles fermées aux autres étudiants ? »



Le danger de voir des journalistes conditionnés aux désirs de leur patron est là. Or, le journalisme ne se mesure qu’à l’apport qu’il offre au débat public, aucunement en laissant prospérer ceux qui veulent le museler. Le combat des salariés de Bayard et de La Croix peut, espérons-le, être une première étape vers un sursaut de la profession. Une profession qui se montre rarement solidaire et qui n’a jamais brillé par sa réactivité.



L’ESJ-Paris une école pour former des journalistes très à droite



Le puzzle autour du rachat de l’ESJ Paris prend forme dès lors que l’on complète la galerie de portraits qui s’y rattache. Bien sûr, à distance, Bolloré y participe mais il n’apparaît pas comme chef d’orchestre. Saadé a donné son accord, on peut imaginer qu’après sa campagne de rachats de chaînes locales devenues des BFM-TV régionales, il aura besoin de petites mains. On retrouve dans le montage financier Bernard Arnault, mais aussi Vincent Montagne (PDG de Média-Participations, propriétaire de Famille chrétienne) ou encore Pierre Gattaz, ancien président du Medef, syndicat patronal.



Mais les chevilles ouvrières sont à chercher ailleurs.





L’un des premiers sans doute à avoir caressé ce projet de formation de journalistes séduits par les idées de leurs futurs patrons n’est autre qu’un ex-président du conseil de surveillance du groupe Bayard Presse : Ghislain Lafont, président du Fonds du bien commun initié par Stérin, sorte d’incubateur de start-ups de la droite néoconservatrice pour ne pas dire plus. À côté de cette machine à tisser des réseaux économiques d’extrême droite, Xavier Niel passe pour un bolchévique. Ghislain Lafont fut aussi en charge des affaires économiques de la congrégation des Augustins de l’Assomption, l’actionnaire fondateur de Bayard Presse, avant de quitter le groupe en 2015 en rupture évidente avec sa politique éditoriale ouverte sur tous les sujets de société. Ses convictions politiques sont plus franchement droitières et elles s’expriment notamment lors des Entretiens de Valpré, sorte de symposium annuel de l’entreprenariat catholique qui entend concilier affaires et spiritualité. Créateur de ces rencontres, il se présente aux législatives de 2017 à côté du maire de Neuilly, un opposant au mariage homosexuel et à l’avortement. Pour se faire une idée du personnage, le programme tourne autour de « vie, famille et entreprise ». On trouve dans une interview (sur Le salon beige, un blog de « laïcs catholiques », rien à voir avec la laïcité au sens de la loi de 1905), où il développe outre ses convictions anti-IVG une critique globale de l’éducation de la jeunesse française, cette phrase… prophétique : « Il est essentiel de relier le monde de l’entreprise et les formations d’apprentissage pour qu’elles soient opérationnelles à l'issue des cursus. Tout le monde sait que les budgets de formation (privé et public) constituent par endroit une gabegie considérable ». Tiens donc. Une école de journalistes prêts à l’emploi financée par leur futur patron serait une bonne idée. La question n’est pas ici le statut privé d’une telle école mais le moule idéologique des enseignements. Car, après l’expérience de l’Institut libre de journalisme (ILDJ), ce qui pose problème est bien l’indépendance de la structure. Selon Stéphanie Lebrun, du Centre de formation des journalistes (CFJ), le souci est bien la provenance du capital pour financer de telles écoles, qui bien sûr peut conditionner le contenu des cours. En effet, les écoles reconnues sont tenues, elles, de respecter des standards bien plus élevés et sont « auditées trois fois ans ». Néanmoins elle ne souhaite pas s’exprimer sur la nouvelle version de l’ESJ Paris dont, il est vrai, les programmes sont encore très flous même si Le Figaro a livré les noms de son équipe dirigeante, le 6 décembre dernier. Emmanuel Ostian en prendra la direction. Ce journaliste a travaillé pour toutes les grandes chaînes (TF1, France TV, Arte), avant de diriger BFMTV. Il aura pour adjoint le présentateur et producteur de M6 Bernard de La Villardière qui est aussi présent sur les réseaux sociaux via Réel, un média qui se veut « optimiste » et « positif ». On en a bien besoin. L’encadrement sera assuré sans surprise par des personnalités de CNews, d’Europe 1, de Paris Match ou encore du Télégramme. Mais aussi de François d’Orcival, chroniqueur du Figaro pourfendeur de la gauche et de l’éducation nationale, membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, un machin pour aristocrates de la République dans laquelle Bernard Arnault a su récemment imposer sa présence.



Il manquait à cette équipe un avant-centre. Quelqu’un capable de faire de l’ESJ-Paris « un haut lieu de l’excellence journalistique, un centre de formation de référence où se dessinent les contours du journalisme de demain ». Vianney d’Alançon est pourtant à l’évidence tourné vers hier au passé simple. À 38 ans, aucunement journaliste, inlassable défenseur de la culture « populaire », sur le modèle du Puy du Fou, il vilipende les arts dans ce qu’ils ont de trop « intellectuels » pour les gens modestes, les provinciaux, pourquoi pas les bouseux, tant qu’on y est, qui l’en remercient de les tenir en si haute estime… Avant de se retrouver président de l’école de journalisme parisienne, il s’était fendu d’un appel à Rachida Dati dans le FigaroVox du 18 janvier 2024 où il plaçait ses espoirs en elle de réhabiliter une « culture populaire » accessible à tous (qui) doit permettre de lutter contre « le communautarisme » et construire une « communauté de destin » (sic).



Le créateur du parc de spectacles historiques Rocher Mistral, propriétaire du château de La Barben et de la forteresse de Saint-Vidal, classés Monuments historiques et président de l'association Avenir Culture et Patrimoine, poursuivait : « Les élites culturelles aiment le peuple quand il se tient sage et qu’il obéit à leurs injonctions. A contrario, elles le snobent quand il prétend faire de la création artistique, restaure le patrimoine des régions, crée de la musique, transmet l’art oratoire français, en un mot fait vivre la culture populaire. » Il entend aussi raser « les obstacles politiques et administratifs qui brisent la volonté de créer, de partager et de faire rêver. Pourtant, œuvrant au “bien commun”, elles redonnent de la fierté aux Français à un moment où ils ont un besoin crucial de se rassembler ». Un besoin auquel Laurent Wauquiez est sensible pour lui avoir accordé 1 million d’euros pour de subvention à travers le Conseil régional d’Auvergne – Rhône-Alpes (pour son spectacle « redécouvrir nos racines et notre culture française » dans la forteresse de Saint-Vidal en Auvergne). Si Alençon se contrefout de la recherche historique, de la culture et des savoirs, voire de l’écologie et des lois ( en février 2024, le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence, a condamné le parc Rocher Mistral et son fondateur pour avoir effectué des travaux sans autorisation) son amour partagé de la culture populaire en ruralité se manifeste grâce aux acteurs bénévoles de ses aimables divertissements payants.



D’Alançon rejoint bien là Stérin dont la dernière marotte est de vouloir maintenant créer un « un réseau de librairies multi-activités rentables en proposant une vaste offre culturelle et commerciale en centre-ville ou dans des zones de rencontre » dans les territoires abandonnés de France. Stérin, après avoir réinventé le journalisme, entend « réinventer le modèle de librairie multi-activités via une offre culturelle au service des familles ». Pour celui qui voit les librairies comme des « chapelles de silence » ou des « sanctuaires », l’idée n’est évidemment pas d’embaucher des libraires, mais des commerciaux (Bac +5/ Master ou équivalent, dit la fiche de poste) qui s’installant dans les petites villes donneraient envie de lire des ouvrages sécurisants en vue des élections à venir….



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