Murmures

Les cinémas d’Afrique des années 2000
juin 2012 | Divers | Cinéma/TV | France
Source : Images francophones (OIF, Paris)

Français

Le nouveau livre d’Olivier Barlet, panorama critique du cinéma de l’ensemble du continent africain, aborde aussi les regards des cinéastes occidentaux sur l’Afrique.
Olivier Barlet – « Les cinémas d’Afrique des années 2000 – perspectives critiques », L’Harmattan, Paris, 2012, 440 p.

Contrairement au premier ouvrage d’Olivier Barlet (Les cinémas d’Afrique noire – le regard en question, 1996), ce livre aborde l’ensemble du continent africain, comme en témoigne le choix du film marocain « Sur la planche » pour la photo de couverture. Ce sont donc cinquante pays et près de mille films qui sont ici analysés ou simplement cités. Mais le livre n’est ni un dictionnaire, ni un répertoire. Son ambition est de dégager des tendances, de mettre en perspective. Au-delà de la production africaine, il évoque également de nombreux films occidentaux traitant de l’Afrique, ainsi que les cinémas des diasporas. Face à une matière aussi diverse, impossible de dégager un diagnostic global. Olivier Barlet refuse de « catégoriser » et préfère « problématiser ». Il revendique la capacité du critique à apporter un éclairage que ni le public ni les cinéastes ne pourraient avoir sans lui. Le public, parce qu’il est trop souvent sevré de films africains (à la fois en Afrique et ailleurs) et ne parvient pas, la plupart du temps, à acquérir, sur les films du continent, une culture cinématographique suffisante pour permettre des mises en perspectives. Quant aux cinéastes, s’ils ne sont pas les mieux placés pour analyser leurs œuvres, c’est que « le chameau ne voit pas sa bosse », comme le rappelle un adage mauritanien.

S’il plaide pour la critique, Olivier Barlet souligne la nécessité du renforcement d’une critique africaine apte à traiter de la production du continent mais aussi du regard porté sur l’Afrique à la fois par les cinéastes d’autres continents et par les bailleurs de fonds du cinéma africain. Dans beaucoup de films occidentaux, ce regard reste marqué par l’ethnocentrisme ou le recours aux stéréotypes.

Au sujet de l’aide française aux cinémas d’Afrique, Olivier Barlet cite Achille Mbembe qui dénonce « l’idée dominante mais fausse (et partagée par de nombreux Africains et autant de donateurs) [selon laquelle]l’acte de créativité est nécessairement un acte collectif (…), les formes artistiques africaines ne sont pas des objets esthétiques en soi mais des codes secrets donnant accès à un niveau du « réel » plus abstrait, fondamentalement ethnographique et représentatif de la différence culturelle ontologique de l’Afrique, soit son « authenticité ». C’est cette « différence » africaine et cette « authenticité » africaine que les donateurs recherchent, soutiennent et, si besoin, fabriquent. » Olivier Barlet, quant à lui, souligne le fait que la dérive consistant à « faire de l’Afrique un monde extraterrestre et des Africains des gens à part » est « un danger qui nous guette tous. »

Au premier abord, la vision qu’a Olivier Barlet du cinéma africain peut paraître pessimiste (les premiers chapitres du livre s’intitulent « désarroi » et « inquiétude »). Il rappelle que l’Afrique est le seul continent où les salles de cinéma continuent de perdre des spectateurs, quand elles ne ferment pas les unes après les autres, comme c’est le cas dans beaucoup de pays. Quant aux films du continent, il constate que certains d’entre eux sont encore « lourds d’intentions pédagogiques », surtout les premiers films, dont les auteurs sont « motivés par la conscience aiguë qu’ils ont des drames du continent. » Pourtant, Olivier Barlet observe que beaucoup de cinéastes des années 2000, contrairement à leurs aînés, ont perdu l’illusion de pouvoir « changer le monde ». Un thème aussi rebattu que l’opposition modernité/tradition n’a pas disparu de la cinématographie africaine mais il donne lieu à des personnages et des situations plus complexes (comme dans « Kabala » d’Assane Kouyaté, « Il va pleuvoir sur Conakry » de Cheick Fantamady Camara ou « Femmes du Caire » de Yousry Nasrallah).

Olivier Barlet observe dans les films africains des années 2000 « une individualisation des problématiques », dont l’une des meilleures illustrations est le film « Un homme qui crie » de Mahamat-Saleh Haroun : « Il ne s’agit plus de rappeler l’homme à ses devoirs pour assurer à la communauté un futur (cette indépendance qui se construit et dont on a du mal à tirer un bilan au bout de 50 ans) mais de mettre chacun devant ses responsabilités dans un monde qui se durcit. »

Olivier Barlet identifie et analyse trois tendances fortes de la décennie écoulée : la percée des cinéastes « issus de l’immigration » (Abdellatif Kechiche, Rabah Ameur-Zaïmeche, Alice Diop, Jean Odoutan), le recul des tabous historiques (mémoire de l’esclavage et des guerres coloniales, de l’apartheid et du génocide rwandais) et l’affirmation des femmes, illustrée par des films comme « Sur la planche » ou le documentaire « En attendant les hommes » de Katy Lena Ndiaye.

La dernière partie du livre porte sur les perspectives économiques du cinéma africain. Sur un continent où le parc de salles est sinistré (« Notre cinéma n’a plus de maison » déplore le Béninois Idrissou Mora-Kpai), le Maroc, l’Afrique du Sud et l’Egypte sont des exceptions. En Afrique francophone, Olivier Barlet craint que l’influence de la télévision et la montée en puissance des films populaires à petit budget (Boubakar Diallo, Abdoulaye Dao) n’aboutissent à un recul de la créativité et de l’émotion mobilisatrice qui sont, pour lui, le propre du cinéma. L’auteur des « Cinémas d’Afrique » n’est pas davantage convaincu par l’expérience du Nigeria (« Nollywood ») où les lois du marché, les seules qui comptent, tirent vers le bas l’ensemble de la production.

On peut regretter qu’Olivier Barlet ne fasse qu’esquisser ce qui lui paraît indispensable à un renouveau : la mise en place de politiques nationales et « la montée en force d’une société civile artistique et culturelle organisée ».

« Les cinémas d’Afrique des années 2000 » est un livre parfois ardu (notamment dans certains développements sur le rôle de la critique), mais parfois aussi lumineux (brillante démolition des « clichés post-coloniaux ») et toujours riche et stimulant, avec de multiples citations de proverbes ou de mots d’auteurs savoureux qui contribuent à la réflexion sur les films mais aussi sur les cultures et les sociétés africaines.

Pierre Barrot

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