Murmures

Mamadi KABA a « tiré sa révérence » !
juin 2024 | Décès de personnalités culturelles | Musique | Guinée

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La Grande Faucheuse, encore elle, a égrené son chapelet et prématurément isolé pour l’abattre avec la fulgurance d’un orage une valeureuse personnalité guinéenne. Une autre. Une de plus ! Car, il débordait de talents, Mamadi Kaba, puisqu’il s’agit de lui, hélas, cette fois-ci : dessinateur, peintre, chanteur, joueur de divers instruments de musique, auteur de contes !

J’aurais pu le connaître à Bellevue dans la banlieue de Conakry si je n’y avais pas fréquenté une année seulement l’Institut des Langues en 1966 où il a été plus tard élève, lui aussi, à l’École Nationale des Arts Appliqués et y a obtenu en 1972 un diplôme en arts graphiques. Deux écoles logées au même endroit en bord de mer à proximité de la célèbre Case de Bellevue, une des résidences des hôtes du Président de la République de l’époque, le promu "Chef Suprême de la Révolution",  autopromu "Fidèle et  Suprême Serviteur du Peuple".

Je ne l’aurai rencontré, vêtu d’un de ses élégants costumes africains qu’en 2013 dans la salle d’embarquement à l’Aéroport de Roissy Charles De Gaulle en partance pour Conakry, invités, lui et moi, aux 72 heures du Livre. En nous entretenant tous les soirs pendant notre séjour, même un peu bref (du 23 au 26 avril) dans la capitale de notre pays, après avoir participé dans la journée au programme des 72 heures, nous avons fait connaissance autour de la piscine désaffectée de notre hôtel du quartier de la Minière, protégés par les répulsifs de moustiques que j’avais pensé à me procurer avant le voyage. De retour en France, j’ai rendu compte des contributions diverses des invités : écrivains, artistes, éditeurs, correspondants de journaux… Sur celle de Mamadi,  on a pu lire  et on peut le faire encore sur quelques sites Internet:

 « Mamadi KABA, conteur et musicien en plus d’être écrivain aurait mérité d’avoir plus de temps et des élèves guinéens plus nombreux, de préférence au sein de leurs établissements respectifs, pour leur faire entonner – comme il sait le faire de manière si harmonieuse et, par conséquent, fraternelle (le thème des 72 heures, c’était quand même "les mots au service de la paix" entre les Guinéens après de violents soubresauts politiques!) – les refrains ponctuant ses récits, performances auxquelles il a accoutumé même des tout jeunes Italiens. »

 

Mamadi a été, en effet, parmi les pionniers arrivés du continent africain en Italie pour propager la culture noire en jouant de la guitare et des percussions dans des boîtes de nuit milanaises ou en donnant ici et là des conférences sur l’africanité. Ayant pris des cours de peinture à l’Académie des Beaux-Arts à Milan et soutenu une thèse sur l’importance des masques dans la vie sociale africaine en 1984, il a formé divers groupes musicaux jouant d’instruments à cordes et de percussions. Puis il a ouvert un local dénommé "Le Djoliba", lieu de rencontres et d’échanges dans divers domaines : danse, peinture, sculpture, poésie, musique ! La musique traditionnelle de la Guinée, enrichie par celles dérivant de ses fréquentations d’artistes africains, italiens, français, américains, brésiliens, etc. Musique dynamique qui invite à la danse et dont Mamadi est l’auteur de toutes les compositions. On dit de lui qu’il chante et joue avec une inspiration qui évoque sa manière de peindre. Sa collaboration avec un grand voyageur italien à la réalisation d’un documentaire sur l’Afrique occidentale pour une télévision italienne, sa participation à un concert en compagnie de trois New-yorkais de passage… sont des événements mémorables qui l’auront aidé à asseoir définitivement sa notoriété.

Africa Jole, un premier album publié en 1992 et Farafina Todi, un livre de contes pour enfants bilingue : malinké/italien, illustré par lui, accompagné d’une cassette musicale (L’Harmattan Italia en 1998), réédité malinké/français par L’Harmattan France en 2014, Denko, une sublime berceuse réalisée en 2006 avec la participation d’un des meilleurs pianistes italiens, N’natoman, un nouvel album en 2008,  sont quelques-unes de ses œuvres à côté de ses magistrales prestations sur scènes, visibles sur d’innombrables vidéos…

C'est au début du mois de décembre 2010 que Mamadi Kaba a décidé de s'installer en France, à Paris.

Pour en revenir aux 72 heures du Livre, notre plaisir d’avoir été invités à Conakry et, par conséquent, notre reconnaissance vis-à-vis de nos hôtes ne nous a pas empêchés de nous rendre compte d’un des drames vécus par les Guinéens résidant à l’étranger, parmi lesquels sont nombreux les anciens  exilés de la Révolution, les membres de la diaspora, ceux que les plumitifs de la défunte révolution ont osé dénommer les « diaspourris »  celui de ne voir recourir à leur disponibilité et à leur savoir-faire que de façon rarissime et  parcimonieuse comme par crainte de les encourager à retourner définitivement au pays natal !

Violente, brutale a été pour moi l’annonce du décès de Mamadi KABA! D'autant plus qu'ayant depuis onze ans pris l'habitude d'échanger avec lui au téléphone de façon plutôt régulière, j'ai différé de week-end en week-end mon appel, en ce mois d’avril 2024, pris par diverses occupations et préoccupations. (Ce mois d’avril ! …  J’ai déjà écrit sur des événements survenus en ce mois ! )

J’étais loin d’imaginer que Mamadi KABA aurait pu avoir d'autres soucis de santé qu'avec ceux de sa main, gêne qui le handicapait certes un peu pour jouer de ses instruments mais qu'il soignait et qui, de toute façon, n’aurait pas pu l’emporter. Que pendant ce laps de temps, il ne m'ait pas appelé, lui, non plus, ne m'a même pas mis la puce à l'oreille!

Je ne l’ai donc pas entendu ces derniers temps ! Je ne pourrai plus deviser avec lui  autour des sujets divers et variés sur lesquels il nous arrivait de nous étendre longuement ! Comme, à l’une de ces occasions, il m'a rappelé qu’un ami commun lui parlait souvent d’un de mes articles parus dans "Horoya" dès les premiers moments de mon retour d’exil en 1986, je le lui ai envoyé et je ne résiste pas au désir de rendre public le dernier e-mail que je lui adressé le 17 décembre 2023 :

« Je découvre ce matin ton message sur mon portable. Par fichier joint, je te fais lire mon article qui plaît tant à notre ami (…) directeur d’imprimerie à Conakry (…) Je l'ai repris dans mon livre "Pourquoi diable ai-je voulu devenir journaliste? Menaibuc, Paris 2004. Page 54.

À très bientôt (…) au téléphone! Très amicalement. »

 Un petit extrait dudit texte pour donner une idée de ce qui a tant plu :

« "Les Guinéens préfèrent les blondes" !

 Blondes ? [Oui, les Blondes ! Mais] elles ne sont ni des Européennes du Nord en mal d’exotisme ni des Guinéennes de la diaspora revenues au bercail le teint éclairci et les cheveux décolorés. [Blondes, ce] sont… les bières blondes en boîte [dont la consommation en 1986 traduisait à mes yeux]un alcoolisme des plus préoccupants dans la région. À croire que "les boit-sans-soif" avaient donné rendez-vous "aux boit-jusqu’à-plus-soif" en terre de Guinée ! (…) La capacité de "descente" des Guinéens défie actuellement les traditions et les réputations les mieux établies en Afrique. Alors, il ne faut pas se voiler la face (… ) si tous les Guinéens deviennent des outres d’alcool, la Guinée trinquera à coup sûr avant longtemps ! »…

La dernière fois que nous nous sommes retrouvés pour échanger de vive voix, c'était à la Rentrée d'octobre 2022 de Présence Africaine  au Carreau du Temple à Paris où il avait assisté à la table ronde à laquelle j'étais convié. Après quoi, nous nous sommes attablés sur une terrasse de café aux environs pour prolonger le plaisir de nos retrouvailles…

Ce 30 avril 2024, j'ai perdu quelqu'un qui était devenu un Grand Ami. Et, si j’avais su chanter comme ma vocation aurait pu être prédestinée par le nom de famille de ma mère, si j’avais su jouer d’un instrument, j’aurais emprunté sa guitare. Et, sa voix mêlée à la mienne, je l’aurais surtout mixée avec celle de Gérard Manset si métallique et donc si précieuse à mes oreilles de fils de bijoutier pour entonner à tue-tête :

 "Quand on perd un ami… c’est peut-être qu’il dort dans un autre univers…, dans un autre décor, etc.,  et de la lumière subsiste …"

Il ne m’est plus possible désormais de t’entendre au téléphone mais elle subsistera, à jamais, la lumière que tu as dégagée, Mamadi!

Cheick Oumar KANTÉ

 

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