Murmures
Cannes – « Un certain regard »
juin 2002 | | Cinéma/TV | France
Français
« Heremakono – En attendant le bonheur »
Le prix de la critique internationale (Fipresci) Cannes 2002 est
allé pour les films de la section « Un certain regard » de la sélection
officielle à « Heremakono – En attendant le bonheur » d’Abderrahmane Sissako
(Mauritanie) « pour la poésie et la délicatesse avec lesquelles il décrit la
vie de tous les jours, ses imbroglios comiques et sentimentaux ».
Le prix Fipresci pour la compétition officielle est allé à « Intervention
divine » d’Elia Suleiman (Palestine) et le prix Fipresci pour les films
présentés dans les sections parallèles du festival (Semaine de la Critique
et Quinzaine des réalisateurs) est allé à « L’oiseau d’argile » de Tareque
Massud (Bangladesh).
Les critiques d’Africultures :
Heremakono – En attendant le bonheur
d’Abderrahmane Sissako (Mauritanie)
Cela commence dans le vent de sable et ce n’est pas un hasard : rien ne sera
entièrement clair dans ce film qui ne juge personne, qui ne pose aucune
certitude, n’ébauche aucune solution, qui au contraire se situe dans
l’entre-deux de la perception, dans l’espace du sensible et de l’écoute.
Nouadhibou est une petite ville de pêcheurs sur la côte mauritanienne.
Abdallah va partir pour l’Europe et vient y trouver sa mère. Il ne comprend
pas le hassanya qui est parlé ici mais essaye de comprendre ce qui
l’entoure. C’est cette disposition qui émeut d’emblée, c’est là que ce film
se fait cinéma : un regard posé, à l’affût des détails, prêt à
l’apprentissage. Une jeune fille apprend à chanter, un jeune garçon est
apprenti électricien : le chant et la lumière traverseront le film de part
en part. La voix encore hésitante de la jeune fille qui répète, ces ampoules
qui s’allument ou ne s’allument pas : une quête éperdue d’expression et de
lumière, les deux termes étant bien entendu liés, imbriqués dans le film.
« J’installe la lumière, mais en ont-ils vraiment besoin ? » se demande Maata,
le vieil électricien. Khatra, l’apprenti encore enfant, en est convaincu.
Quand on lui demande ce qu’il compte faire plus tard, il répond après mûre
réflexion : « électricien ».
La lumière ne sera pas ces images importées qui arrosent les télévisions :
l’anachronisme de « Des chiffres et des lettres » dans le vécu local suffit à
suggérer l’ardente nécessité d’images africaines. Mais l’ailleurs est
présent, surtout dans les têtes. Sans être encore parti, Abdallah est déjà
dans l’exil intérieur. Makan aussi, qui voudrait partir, et son ami Raphaël,
dont on ne sait s’il a pu passer de Tanger en Espagne, revient, lui, rejeté
par les flots sur la plage. Son cadavre évoque à lui seul le drame de tous
ceux qui ne disposent pas de la liberté de bouger, le gouffre qui sépare le
monde en deux. « La mort, c’est normal », dira Maata. Elle s’inscrit dans la
vie, assumée. Comme Makan face à Raphaël, on ne l’approche pas puisqu’elle
est déjà là, imbriquée dans la vie, comme un sens caché.
Cette retenue est à l’image du film : le regard suffit à établir la
communication, avec le spectateur aussi. L’émotion est là, permanente, dans
cette subtilité d’approche. Lorsqu’à la manière de l’enfant de « Yeelen » (La
Lumière) de Souleymane Cissé qui déterre l’ouf de la connaissance avant
d’aller la mesurer aux hommes, le petit Khatra détache l’ampoule de Maata
pour la porter sur la mer, une poésie s’impose, parfaitement convaincante.
L’ampoule lui reviendra : il a besoin de la lumière, il la transmettra. Le
départ ne sera pas forcément la solution. Peut-être est-elle davantage dans
ce regard, cette ouverture à l’autre, cette sensibilité, cette sensualité
même que suggère ce coin de dune évocateur, dernière image de ce film
superbe, un cadeau au spectateur qui le garde en lui comme un trésor.
Olivier Barlet
2002, 95 min, image : Jacques Besse, coprod. Duo Films/Arte, avec Khatra
Ould Abdel Kader (Khatra), Maata Ould Mohamed Abeid (Maata), Mohamed Mahmoud
Ould Mohamed (Abdallah), Nana Diakité (Nana), Fatimetou Mint Ahmeda
(Soukeyna, la mère), Makanfing Dabo (Makan), Nèma Mint Choueikh (La
griotte). Distr. Haut et court (01 55 31 27 27).
« L’oiseau d’argile »
de Tareque Massud (Bangladesh).
Voici un exemple de l’angoisse des cinéastes devant l’intégrisme montant,
l’intolérance et la logique de confrontation. « L’oiseau d’argile », qui
faisait l’ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs à ce festival de Cannes
2002, met en scène un jeune envoyé dans une école coranique par son père.
Situé à l’époque de la révolte contre le Pakistan qui fondera le Bangladesh,
le film s’érige en saga familiale dans la pure tradition de la chronique
historique pour dresser le procès de l’intégrisme religieux et de ses
conséquences. Une image léchée mais qui sait éviter le trop d’effets n’est
pas dénuée de beauté et le devenir de cet enfant résume avec brio les enjeux
humains de l’enfermement dans la règle. (OB)
allé pour les films de la section « Un certain regard » de la sélection
officielle à « Heremakono – En attendant le bonheur » d’Abderrahmane Sissako
(Mauritanie) « pour la poésie et la délicatesse avec lesquelles il décrit la
vie de tous les jours, ses imbroglios comiques et sentimentaux ».
Le prix Fipresci pour la compétition officielle est allé à « Intervention
divine » d’Elia Suleiman (Palestine) et le prix Fipresci pour les films
présentés dans les sections parallèles du festival (Semaine de la Critique
et Quinzaine des réalisateurs) est allé à « L’oiseau d’argile » de Tareque
Massud (Bangladesh).
Les critiques d’Africultures :
Heremakono – En attendant le bonheur
d’Abderrahmane Sissako (Mauritanie)
Cela commence dans le vent de sable et ce n’est pas un hasard : rien ne sera
entièrement clair dans ce film qui ne juge personne, qui ne pose aucune
certitude, n’ébauche aucune solution, qui au contraire se situe dans
l’entre-deux de la perception, dans l’espace du sensible et de l’écoute.
Nouadhibou est une petite ville de pêcheurs sur la côte mauritanienne.
Abdallah va partir pour l’Europe et vient y trouver sa mère. Il ne comprend
pas le hassanya qui est parlé ici mais essaye de comprendre ce qui
l’entoure. C’est cette disposition qui émeut d’emblée, c’est là que ce film
se fait cinéma : un regard posé, à l’affût des détails, prêt à
l’apprentissage. Une jeune fille apprend à chanter, un jeune garçon est
apprenti électricien : le chant et la lumière traverseront le film de part
en part. La voix encore hésitante de la jeune fille qui répète, ces ampoules
qui s’allument ou ne s’allument pas : une quête éperdue d’expression et de
lumière, les deux termes étant bien entendu liés, imbriqués dans le film.
« J’installe la lumière, mais en ont-ils vraiment besoin ? » se demande Maata,
le vieil électricien. Khatra, l’apprenti encore enfant, en est convaincu.
Quand on lui demande ce qu’il compte faire plus tard, il répond après mûre
réflexion : « électricien ».
La lumière ne sera pas ces images importées qui arrosent les télévisions :
l’anachronisme de « Des chiffres et des lettres » dans le vécu local suffit à
suggérer l’ardente nécessité d’images africaines. Mais l’ailleurs est
présent, surtout dans les têtes. Sans être encore parti, Abdallah est déjà
dans l’exil intérieur. Makan aussi, qui voudrait partir, et son ami Raphaël,
dont on ne sait s’il a pu passer de Tanger en Espagne, revient, lui, rejeté
par les flots sur la plage. Son cadavre évoque à lui seul le drame de tous
ceux qui ne disposent pas de la liberté de bouger, le gouffre qui sépare le
monde en deux. « La mort, c’est normal », dira Maata. Elle s’inscrit dans la
vie, assumée. Comme Makan face à Raphaël, on ne l’approche pas puisqu’elle
est déjà là, imbriquée dans la vie, comme un sens caché.
Cette retenue est à l’image du film : le regard suffit à établir la
communication, avec le spectateur aussi. L’émotion est là, permanente, dans
cette subtilité d’approche. Lorsqu’à la manière de l’enfant de « Yeelen » (La
Lumière) de Souleymane Cissé qui déterre l’ouf de la connaissance avant
d’aller la mesurer aux hommes, le petit Khatra détache l’ampoule de Maata
pour la porter sur la mer, une poésie s’impose, parfaitement convaincante.
L’ampoule lui reviendra : il a besoin de la lumière, il la transmettra. Le
départ ne sera pas forcément la solution. Peut-être est-elle davantage dans
ce regard, cette ouverture à l’autre, cette sensibilité, cette sensualité
même que suggère ce coin de dune évocateur, dernière image de ce film
superbe, un cadeau au spectateur qui le garde en lui comme un trésor.
Olivier Barlet
2002, 95 min, image : Jacques Besse, coprod. Duo Films/Arte, avec Khatra
Ould Abdel Kader (Khatra), Maata Ould Mohamed Abeid (Maata), Mohamed Mahmoud
Ould Mohamed (Abdallah), Nana Diakité (Nana), Fatimetou Mint Ahmeda
(Soukeyna, la mère), Makanfing Dabo (Makan), Nèma Mint Choueikh (La
griotte). Distr. Haut et court (01 55 31 27 27).
« L’oiseau d’argile »
de Tareque Massud (Bangladesh).
Voici un exemple de l’angoisse des cinéastes devant l’intégrisme montant,
l’intolérance et la logique de confrontation. « L’oiseau d’argile », qui
faisait l’ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs à ce festival de Cannes
2002, met en scène un jeune envoyé dans une école coranique par son père.
Situé à l’époque de la révolte contre le Pakistan qui fondera le Bangladesh,
le film s’érige en saga familiale dans la pure tradition de la chronique
historique pour dresser le procès de l’intégrisme religieux et de ses
conséquences. Une image léchée mais qui sait éviter le trop d’effets n’est
pas dénuée de beauté et le devenir de cet enfant résume avec brio les enjeux
humains de l’enfermement dans la règle. (OB)
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