Palmarès JCC 2016 : l’or pour la Tunisie

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Depuis Making of de Nouri Bouzid en 2006, la Tunisie n’avait pas remporté de Tanit d’or long métrage aux Journées cinématographiques de Carthage. Elle le reçoit cette année, mais alors que trois fictions tunisiennes étaient en compétition longs métrages, c’est le seul documentaire sélectionné qui l’obtient avec Zaineb n’aime pas la neige, de Kaouther Ben Hania. Car en 2016, innovation radicale de la 27ème édition pour leur 50ème anniversaire sous la houlette d’Ibrahim Letaïef, documentaires et fictions ne sont plus séparés. La Tunisie reçoit aussi le Tanit d’or de la première oeuvre avec The Last of us d’Alaeddine Slim. Coup d’œil sur ces deux films avant de revenir sur l’ensemble de la sélection dans un futur article.

Fidélité du public étudiant
Cette réunion des documentaires et des fictions limitait le nombre de films, ce qui laissait la place aux cinémas du monde et à une large rétrospective de films d’Afrique noire en présence de nombre de ses pionniers, grâce à l’énergie inébranlable de Mohamed Chalouf qui s’est toujours battu pour la dimension panafricaine des JCC. On a ainsi pu revoir Dikongue Pipa, Timite Bassori ou Idrissa Ouedraogo, auquel un hommage était consacré alors que les autres hommages concernaient des cinéastes décédés : Youssef Chahine, Djibril Diop Mambety, Abbas Kiarostami et Kalthoum Bornaz.
Alors que les JCC ont du mal à concurrencer les festivals du Golfe qui, à coups de pétrodollars, leur soufflent la primeur, ce sont huit films qui ont été en compétition officielle en avant-première arabe et africaine, a précisé Ibrahim Letaïef, de même que sept films sur 13 dans la section Première Œuvre. Mais ce n’est pas forcément là que se mesure la qualité d’un festival. Si les JCC se distinguent, c’est surtout par sa contribution à l’émergence de nouveaux talents et au développement du goût des citoyens. L’édition 2016 confirme la tendance perceptible d’année en année d’un engouement extraordinaire du public et notamment des jeunes qui remplissent les salles et participent activement aux débats, lesquels ont été organisés après chaque film, signe d’une volonté d’approfondissement. En outre, comme ce fut le cas pour l’édition précédente, le festival a largement décentralisé sa programmation, allant dans les quartiers et en Province (programmation’JCC-Cities » du 10 au 13 novembre dans 14 régions), mais aussi à l’Université et dans six prisons. Enfin, une salle de cinéma gratuite en plein air, « La dernière séance », a été disposée sur l’avenue Bourguiba, au niveau du théâtre municipal. Celui-ci étant encore en travaux, les séances d’inauguration et de clôture ainsi que l’administration du festival ont été déplacées au Palais des Congrès, éclatant quelque peu la manifestation.
Avec 2,4 millions dotés par l’Etat sur près de 3,2 millions de dinars de budget, les JCC continuent d’être largement dépendants d’un Etat qui a historiquement maintenu son emprise. Comme ne cessent de le souligner ses directeurs, l’autonomie des JCC avec un bureau permanent est un enjeu fort pour les prochaines années, avec à la clef la professionnalisation de son équipe largement composée de bénévoles. Les couacs d’organisation de cette édition étaient surtout perceptibles dans un système quotidien de réservation électronique interconnectée souvent défaillant obligeant tous les publics à faire et refaire chaque jour de longues queues (y compris les professionnels invités). On pourrait imaginer en amont un système de réservation sur internet pour toutes les séances et de remplacer l’abonnement forfaitaire par des lots de billets à prix réduit permettant de réguler le nombre de réservations, mais la direction des JCC trouvera certainement une solution adaptée pour 2017.
Tanit d’or de la compétition long métrage
« Un film magnifique, simple et touchant » : c’est ainsi qu’Abderrahmane Sissako, président du jury de la compétition longs métrages, a désigné le lauréat 2016 du Tanit d’or : Zaineb n’aime pas la neige, de Kaouther Ben Hania. C’est bien ainsi qu’on peut parler de ce documentaire qui suit une famille sur six années : Zaineb a six ans en 2009 et que nous la suivons par tranches jusqu’en 2015. Après le décès du père, la mère de Zaineb se rapproche de Maher qui a lui-même une fille, Widjeneb, et vit au Canada. Zaineb refuse d’abord cette liberté de sa mère mais devra bien la suivre dans ce grand déplacement et partager la chambre de Widjeneb… La réalisatrice est proche de cette famille et cela se sent : elle n’est pas présente à l’écran mais on la regarde, on s’adresse à elle, elle répond. Du coup, on ajuste sa robe en pleine conscience de la caméra mais on ne fait pas semblant, on ne compose pas un personnage, on est soi-même. Quand Zaineb s’adresse à Kaouther Ben Hania, sa cousine, ce n’est pas à une observatrice qu’elle parle mais à une confidente. Cette proximité est ainsi pour beaucoup dans la réussite du film et dans l’intense émotion qu’il suscite. Le cadre autant que le montage, baziniens, ne dissimulent pas, ne trichent pas avec la réalité : ils saisissent le quotidien dans sa simplicité, voire même sa banalité, et ne s’embarrassent pas d’un esthétisme distancié. Cependant, à travers Zaineb et sa famille recomposée, c’est l’intimité d’un peuple que l’on perçoit, qui se pose la question de l’exil et comment il le vit lorsque le voyage est possible. La forme documentaire prend dès lors la mesure des tiraillements culturels, de la remise en cause des coutumes et des croyances, de l’adaptation à l’inconnu et à l’incertitude, des frustrations et des solitudes. Avec le temps, Zaineb s’américanise, prend l’accent québécois, mais son histoire et sa part tunisienne continuent de vivre en elle comme une interrogation.

Tanit d’or de la Première Oeuvre
The Last of us d’Ala Eddine Slim, déjà primé à la Mostra de Venise en septembre 2016, remporte le Tanit d’or de la Première oeuvre. Le jury présidé par le célèbre et talentueux chef opérateur Sofian El Fani a osé récompenser un film intriguant, énigmatique, sans dialogues mais tout à fait passionnant : une expérience sensorielle pour le spectateur dont il ne sort pas indemne. Ala Eddine Slim avait déjà développé une certaine radicalité dans Babylon, réalisé avec Ismaël et Youssef Chebbi : deux heures durant, sans commentaires ni sous-titres, le vécu d’un camp de réfugiés dans le Sud tunisien. Ici, nous suivons « N. » (Jawhar Soudani), un migrant d’Afrique subsaharienne, agressé et livré à lui-même en Tunisie, qui tente la traversée en mer mais se retrouvera dans une forêt inconnue, confronté à la nature, à un chasseur ermite (Fathi Akkari) et à ses propres limites. L’imaginaire prend alors le dessus, une métaphysique ouverte que chacun recomposera à sa façon.
Il y a dans cet itinéraire un retour aux forces originelles, mises en scène par l’épure du traitement, une bande-son hiératique, le souffle épique de la survie. Qu’est-ce que cachent les arbres ? Que disent les regards ? Comment se résoudront les silences ? Cette immersion n’est pas rousseauiste pour autant : bien au contraire, The Last of us nous parle du « dernier d’entre nous », de la rupture du contrat social, de la perte d’humanité de nos sociétés, du retour actuel à la loi bestiale du plus fort, de la solitude face aux loups qui nous entourent et aux forces qui nous dépassent, de la nécessité de revenir à l’essentiel. Une construction est dès lors à l’oeuvre, à laquelle les transcriptions linéaires des lettres de l’alphabet arabe de l’artiste Haytem Zakaria qui s’inscrivent par intermittence sur l’image apportent un contrepoint. Une lune bienveillante accompagnera « N » qui reste un migrant incertain, ou bien n’est-ce pas l’énergie de sa propre détermination à résister au monde des loups dans sa quête de la source ?

En deux films, c’est le cinéma tunisien qui se renouvelle. En donnant l’or à ces deux films, c’est un avenir que lui proposent les jurys.

Palmarès de la 27ème édition des JCC 2016:
Compétition Longs-métrages

Tanit d’Or : »Zaineb n’aime pas la neige » de Khaouther Ben Hania (Tunisie)
Tanit d’Argent : « Clash » de Mohamed Diab (Egypte)
Tanit de Bronze : « 3000 nuits » de Mai Masri (Palestine)
Prix spécial jury : « The revolution won’t be televised » De Rama Thiaw (Sénégal)
Meilleur montage : Ahmed Hafez dans le film « Clash » de Mohamed Diab (Egypte)
Meilleure image : Ahmed Jabr dans le film « Clash » de Mohamed Diab (Egypte)
Meilleure musique : groupe Chkrrr dans le film « Chouf » de Karim Dridi (Tunisie)
Meilleur scénario : « 3000 nuits » Mai Masri (Palestine)
Meilleure interprétation féminine JCC 2016 : ex aequo aux deux actrices Oulaya Amamra et Deborah Lukumuena dans le Film « Divines » de Houda Benyamina (Maroc)
Meilleure interprétation masculine JCC 2016 : Foued Nabba dans le film » Chouf » de Karim Dridi (Tunisie)
Compétition Première Oeuvre « Prix Tahar Cheriaa « 
Tanit d’Or : » The last of us » de Ala Eddine Slim (Tunisie)
Tanit d’Argent : » Maintenant ils peuvent venir » de Salem Brahimi (Algérie)
Prix spécial du jury : »This little father obsession » de Salim Mourad (Liban)
Meilleure interprétation féminine : Fatima Harandi pour son rôle dans le film « Un mile dans mes chaussures » de Khallaf Said (Maroc)
Meilleure interprétation masculine : Majd Mastoura pour son rôle dans le film « Nhebbek Hedi » de Mohamed Ben Attia (Tunisie)
Compétion Courts-métrages
Tanit d’Or : « Marabout » de Alassane Sy (Sénégal)
Tanit d’Argent : « Silence » de Chadi Aoun (Liban)
Tanit de Bronze : « Place for my self » de Marie-Clémentine Dusabejambo (Rwanda)
Carthage Ciné-Promesse
Tanit d’Or : « The guilt probability » de Michael Labarca (Venezuela)
Prix spécial jury : « La rue de l’espoir » de Mohamed Echkouna (Mauritanie)
Mention spéciale : « Life’s eye » de Wafa Hussein (Egypte)
Prix de L’UGTT : Meilleur cadreur dans un film tunisien : Amir Messaadi dans le film « The last of us » de Alaeddine Slim
Prix de la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique, FACC « Nejiba Hamrouni »
« Clash » de Mohamed Diab (Egypte)
Sections parallèles
Prix Fondation Tunisienne Femme et Mémoire FTFM, prix Hayde Tamzali: Meilleure interprétation féminine Anissa Daoud de Tunisie pour son rôle dans le film Demain dès l’aube de Lotfi Achour.
Prix Network of Arab Alternative Screens NASS
1- Prix Mention du jury: Beach housede Roy Dhib (Liban)
2- Meilleur court métrage : Neyrkouk de Mohamed Kordafi (Soudan)
3- Meilleur long métrage : The last of us de Alaeddine Selim (Tunisie)
Prix de la Fédération Internationale de la Presse Cinématographique FIPRESCI:
Meilleur long métrage Divines de Houda Benyamina (Maroc)
Prix Takmil (films longs ou courts métrages, documentaires encore en post-production).
– Prix de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) : projet de film de fiction « Wallay » de Berni Goldblat (Burkina Faso).
– Prix de l’European Union National Institues of culture (EUNIC) et de la société Mad Solutions : projet de film de fiction « Vent du nord » de Walid Mattar (Tunisie)
– Prix du Centre national du cinéma et de l’image (CNCI) : projet de film de fiction « La Belle et la meute » de Kaouther Ben Hania (Tunisie)
– Prix de Tunisie Telecoms : projet du film documentaire « L’Outsider » d’Amine Boukhris (Tunisie)
– Prix du centre national du cinéma (CNC) de France : projet du film documentaire « Off Kharthoum Sides » de Marwa Zein (Soudan)
– Prix Hakka distribution: projet du film de fiction « Poisonous Roses » de Ahmed Faouzi Saleh (Egypte)
– Prix de Digi Colours : projet du film documentaire « Tiny Souls » de Dina Naser (Jordanie)

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Les images de l'article
Zaineb n'aime pas la neige
The Last of us
The Last of us
The Last of us
The Last of us
Salle de cinéma en plein air "La dernière séance" © OB
Salle pleine au Colisée © OB
Foule à l'entrée du Colisée © OB





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