Célanire cou-coupé

De Maryse Condé

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La Guadeloupéenne Célanire, une oblat (une religieuse qui n’a pas prononcé ses vœux) revient de loin lorsqu’elle quitte son couvent de Lyon pour rejoindre Grand Bassam (Côte d’Ivoire) et l’Afrique qu’elle dit vouloir servir. A sa naissance, sa mère Pisket, une prostituée, la vend à Madeska, un notable de Basse-terre qui devait la sacrifier pour « concilier les invisibles » dans sa quête de pouvoir. Le sacrifice s’avère un ratage monumental : sa gorge coupée sera réparée par un médecin qui l’adopte avant d’être envoyé au bagne et condamné injustement pour abus sur mineure. L’arrivée de Célanire à Bingerville en Côte d’ivoire ne sera que le prélude d’une longue quête et d’un puissant désir de vengeance. La quête de sa famille naturelle, celle qui l’a abandonnée à la froideur de la lame sacrificielle. La quête des bénéficiaires de ce sacrifice qui lui avait laissé une affreuse cicatrice. Et si la quête des retrouvailles et de la vengeance passait tout simplement par l’Afrique ? Sa Guadeloupe natale n’est-elle pas un morceau de l’Afrique, égarée au coeur des Caraïbes ? La vengeance de Célanire pourrait (devrait ?) être celle de toutes les femmes. Dès son arrivée à Bingerville, elle s’attele à la tâche en transformant le Foyer dont elle a la charge en une sorte de boxon de luxe, un « endroit privilégié où naîtrait, croîtrait, se multiplierait l’amour entre les races… » Séduisante, esprit du diable dans un corps de déesse, elle envoûte tous ceux qu’elle approche : rois et notables africains, décideurs coloniaux. Et tous ceux qui lui résistent ou essaient de contrecarrer son ambition meurent d’horrible façon. Son destin hors-norme la fait épouser Thomas de Brabant, gouverneur de Grand Bassam puis gouverneur de Basse Terre, et lui donnera ainsi l’occasion d’un retour aux sources et d’accomplir sa vengeance. Tous ceux qui contribuèrent de près ou de loin à sa mutilation physique et morale le payeront de leur vie. Jusqu’à ce qu’Agénor qui l’avait fait cou-coupé périsse aussi, au terme d’une effroyable attente. Écrit sur un rythme endiablé, Célanire cou-coupé donne l’occasion à Maryse Condé d’aborder brillamment certains de ses thèmes favoris : le rapport colonisés-colonisateurs, la souffrance millénaire des femmes, l’utilisation criminelle de croyances ancestrales et des thèmes plus ou moins nouveaux comme l’homosexualité féminine. Un Maryse Condé du meilleur cru.

Célanire cou-coupé, de Maryse Condé, Ed. Robert Laffont, 250 p., 129 F.///Article N° : 1729

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