Le 20 juin 2025, plus de 100 salles de cinéma en France, en Belgique et en Suisse projetteront le documentaire Save Our Souls de Jean-Baptiste Bonnet, à l’initiative de son producteur Andana Films en partenariat avec Tënk, Politis et Mediapart et plus de 30 associations partenaires. C’est un événement mobilisateur exceptionnel, à ne pas manquer : l’occasion de partager en nombre un moment d’information et d’implication sur les sauvetages en Méditerranée.
« On sauve des vies en mer. Point barre« , affiche d’entrée le site dédié de SOS Méditerranée pour appeler aux dons. Des milliers d’hommes, femmes et enfant tentent la traversée sur des embarcations de fortune, au péril de leur vie. Navire affrété par l’ONG qui œuvre depuis 2016, désormais en collaboration avec la Croix rouge et le Croissant rouge, l’Ocean Viking, tente de porter secours à celles qui sont en détresse au large des côtes libyennes. « Point barre » : il n’y a rien à discuter, car il y a urgence. C’est une question de vie ou de mort.

« Sauvez nos âmes » : dès son titre, Save our Souls ne renie pas cette urgence mais appelle à prendre de la hauteur. L’Ocean Viking, 69 mètres de long, a certes pour fonction de sauver du naufrage ces frêles embarcations prêtes à chavirer, ces zodiacs qui se dégonflent, et donc ceux qui s’y sont entassés dans l’espoir de débarquer en Europe, pour le plus grand profit des passeurs. Mais le film de Jean-Baptiste Bonnet va au-delà du simple reportage.
Un autre film avait de même récemment marqué : Mothership, de Muriel Cravatte (80′, 2024) – En pleine mer dans sa version de 54′ diffusée sur France.tv. Sur le même bateau, la réalisatrice s’intéressait surtout aux destins féminins, mais on trouve dans les deux films l’intérêt pour les détails de l’organisation, les gilets de sauvetage et le délicat transbordement, le professionnalisme dans la prise en charge et le respect dans l’information donnée pour que chacun sache ce qui se passe. Toujours, l’empathie pour les personnes malgré la difficulté des langues, une façon d’observer avec discrétion, sans commentaires, en cherchant le consentement des personnes filmées. Et, geste politique essentiel tant elle est rarement répercutée, la parole des rescapés, ce à quoi ils ont échappé en Lybie, l’horreur sur terre, mais aussi leurs aspirations, leur façon d’affirmer au-delà des frontières, malgré la violence du monde, leur appartenance à l’humanité.

Ces deux films disent sans slogans le scandale d’une Europe qui s’émeut lorsque circule la photo du petit Aylan Kurdi échoué la tête dans le sable sur une plage de Grèce mais qui continue à oser, par son financement et sa démission, se reposer sur les gardes-côtes libyens qui ramènent les migrants en Libye où les milices mafieuses les torturent d’innommable façon pour qu’ils obtiennent de l’argent de leur famille.
Alors que dans Mothership, le bateau frôlait sa capacité maximum de l’ordre de 500 personnes, ce n’est pas le cas dans Save our Souls avec 92 rescapés, tourné en février-avril 2023. Le film relate encore la tension avec les gardes-côtes libyens, ou les règles internationales et de sécurité à respecter, mais son focus est sur la relation avec les personnes. Le dispositif est au minimum : une caméra et un micro. On saisit le temps passé au départ à scruter la mer à la recherche des embarcations en détresse : ces personnes ont droit à cette attention. Une fois à bord, tout est fait pour qu’elles retrouvent la dignité qui leur a été volée en Lybie. Alors, on apprend par exemple l’arabe pour faciliter la communication. On prend le temps de l’écoute et de la discussion. On prépare les démarches d’asile à venir.

Des âmes à sauver, ce sont celles des rescapés certes, mais ce sont aussi nos propres âmes, tant ceux qui risquent ainsi leur vie nous font gagner en humanité, pour reprendre l’expression d’Achille Mbembe, alors même qu’aux frontières ou en pleine mer, les droits définis par la convention de Genève ne sont pas respectés.
Quelques vies sauvées dans l’océan de l’indifférence face aux 20 000 morts depuis 2014 : cela peut paraître dérisoire au regard des drames de la planète, mais les chiffres importent peu car sur l’Ocean Viking se vit une utopie toute simple qui touche à plus grand que ce que nous sommes.