La Compagnie Passeur de mémoires propose jusqu’au 09 avril 2006, une adaptation fidèle de l’ouvrage de Jean Hatzfeld qui donne la parole aux bourreaux du génocide rwandais.
Jusqu’au 06 avril 1994, la machette était un instrument qui servait à couper du bois ou encore à récolter le sorgho. A partir du 09 avril 1994, elle est devenue une arme d’extermination au Rwanda. Après avoir recueilli la parole des rescapés qui donnera lieu à l’ouvrage Dans le nu de la vie Récits des marais rwandais (ed. Seuil, 2001), Jean Hatzfeld se concentre avec son interprète Innocent sur les tueurs, un groupe d’amis en prison (Une saison de machettes, ed. Seuil 2003). Commence alors un voyage difficile où chacun donne une vision de la monstruosité banale.
Depuis le 15 mars 2006, la compagnie Passeurs de mémoire propose à l’espace Confluences, une adaptation des récits de ces » gens ordinaires » qui sont devenus » des tueurs quotidiens » selon les termes de celui qui les a patiemment écouté.
La scène est habitée par une façade grise. Est-ce une gigantesque pierre ? Un mur ? Une colline ? A côté, une contrebasse posée à terre tel un corps mort. La cérémonie du théâtre commence. Le public entre, s’assoit, chuchote jusqu’à ce que l’éclairagiste, Philippe Lacombe, aspire la lumière pour nous plonger dans une semi obscurité. Yves Rousseau entre et entoure doucement son corps autour de sa contrebasse, qui prend alors la parole. Car ce soir il s’agit d’écouter la parole de ceux qui ont massacré pendant le génocide rwandais, de ceux qui ont anéanti toute forme de conscience personnelle, prenant l’humain pour un champ de sorgho et après une bonne journée de tueries, ont chanté, mangé, et baisé comme s’ils étaient au paradis.
Les comédiens, Amélie Amphoux, Céline Bothorel, Mathieu Desfemmes et Tadié Tuéné nous livrent leurs voix et leur corps. Ils nous embarquent dans le tourbillon de ces aveux qui n’en sont pas. Ils nous embarquent aussi dans la parole de Jean Hatzfeld, témoin et écouteur. Chacun se passe la parole et notre seul lien, notre seul repère, c’est Jean. Ils ne nous livrent pas le nom des bourreaux contrairement au livre. Ils sont habillés comme vous et moi, et réussissent à nous faire oublier leurs corps et leurs mains pour laisser la parole, maître du jeu. Ils installent une douceur dérangeante, une convivialité étouffante. Qui sont-ils ? Personne et tout le monde à la fois. C’est en tout cas un des choix de la mise en scène, signé Dominique Lurcel, qui recherche la rencontre simple entre leurs mots et nos consciences, oubliant le corps, absent et muet, excepté le langage des mains et quelques déplacements. En proposant cette approche, la pièce tente d’approcher l’universel et de renvoyer au Rwanda mais aussi à l’Arménie, à Auchswitz, au Cambodge ou encore à Srebrenisca. Ecouter la parole des bourreaux demande une démarche similaire à celle de l’avocat qui va le défendre. Ecouter même si les mots n’évitent pas la barbarie, écouter pour comprendre que nos sociétés créent elles-mêmes l’impardonnable et que nous sommes tous responsables face à cela. L’écrire, le jouer et le voir fait partie d’une démarche à créer pour que l’individu passe avant la famille, la communauté, le pays ou la religion. Pour qu’on ne puisse plus dire : ça peut arriver à n’importe qui mais plutôt ça peut ne pas arriver.
Allez voir cette pièce, représentée jusqu’au 09 avril, et participez aussi aux débats, projections et questions autour du génocide rwandais, que propose l’espace Confluences, théâtre tranquille, exigeant et engagé.
Une saison de machettes de Jean Hatzfeld. Avec Amélie Amphoux, Céline Bothorel, Mathieu Desfemmes, Tadié Tuéné et Yves Rousseau (musique et contrebasse) Adaptation et Mise en scène : Dominique Lurcel Lumière : Philippe Lacombe Décor : Gérald Ascargorta
Jusqu’au 09 avril à Confluences, 190 bd de Charonne. M° Alexandre Dumas tel : 01.40.24.16.46 www.confluences.net///Article N° : 4366