De l’université française et de la gallerologie appliquée

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Le nombre d’étudiants africains happés chaque année par le rêve français est considérable. Il y a encore cinq ans, ils étaient plus de 80 000 (1) affichés au compteur du ministère français de l’Éducation nationale, soit 50 % du total des étudiants étrangers inscrits dans l’Hexagone. Qu’en est-il de leur vie au quotidien ?

Il arrive que ce pourcentage baisse certaines années d’une manière plus ou moins déconcertante. De 1997 à 1998 par exemple, la baisse paraît nettement plus importante, avec près de 19 % d’étudiants en moins. En tête de ceux qui persévèrent malgré les tracasseries administratives se trouvent les Maliens, les Malgaches, les Béninois et les Ivoiriens. Les liens historiques sont évoqués pour expliquer cette affluence, la langue aussi. Mais rares sont les études qui reviennent sur la vie de galère menée par ces étudiants. A priori, l’opinion française pense que venir étudier à Paris ou Marseille reste un bon privilège pour ces  » migrants du savoir « . Peu sont ceux qui s’interrogent sur le quotidien promis à ces étudiants.
Des papiers, toujours des papiers…
Passons sur les difficultés d’obtention du visa français au départ du pays d’origine. On pourrait ériger une œuvre sur le mépris d’un peuple sur un autre, rien qu’en tenant compte du racisme régnant dans les consulats français à l’étranger. Un candidat aux études longues en terre européenne inscrit son pas dans un système qui lui laisse entrevoir une échappatoire possible contre la fatalité qui noie son  » pays-natif « . Peut-être existe-t-il une chance sur mille – au pays du Blanc – pour que la formation dispensée débouche sur une embauche dans un réseau quelconque de solidarité envers le Sud. C’est dans cette partie du monde que les décisions concernant l’avenir d’une certaine Afrique se prennent encore. Le partenaire, anciennement puissance coloniale, continue à peser sur la balance. Aller en Europe, c’est donc se frayer un chemin dans le réseau des réseaux – un potentiel non négligeable pour celui qui souhaite survivre à la crise sévissant dans son propre pays. Les liens historiques ne sont pas totalement rompus. Cette  » chance sur mille au pays du Blanc  » oblige l’étudiant africain à admettre toutes les formes d’humiliations imaginables. Se faire maltraiter pour un visa n’est rien dès lors qu’on arrive à mettre le pied dans l’avion…
Une fois débarqués à Paris ou à Marseille, beaucoup espèrent trouver un ami ou une famille de la diaspora pouvant les aiguiller. Les tracasseries administratives peuvent être encore plus odieuses à l’arrivée qu’au départ. La police et ses préfets veillent scrupuleusement au grain, l’institution universitaire adopte parfois leurs méthodes, et les étudiants vont ainsi de l’une à l’autre dans la panique la plus absolue. D’un côté, on vous exige la carte d’étudiant. De l’autre, votre carte de séjour. Question de chance, de hasard incalculable par moments, ce va-et-vient se conçoit presque comme une forme de bizutage. Papiers égarés, discours tendancieux des représentants de l’autorité française, ajoutez-y le froid saisonnier et la  » froidure  » des relations avec les indigènes, vous aurez un tableau assez honnête des débuts de l’étudiant africain en terre de France. Quelques associations communautaires étiquetées, soit selon un label du pays d’origine, soit selon un label panafricain, aidées en cela par les syndicats d’étudiants français qui négocient à cette occasion quelques voix d’électeurs aux échéances électorales de l’institution universitaire, contribuent à alléger le parcours du combattant. Cela n’a pas empêché quelques grèves d’étudiants sans-papiers, où l’institution universitaire ne s’est pas toujours montrée sous son visage le plus humain. Certaines facultés vont même jusqu’à collaborer avec l’administration policière pour  » jeter  » ces étudiants au mauvais faciès.
Le parcours du combattant au quotidien
Une fois les cours entamés, l’étudiant africain fait face au plus grand des problèmes. Juste après avoir cassé sa vieille tirelire de  » cfa  » changés en devises européennes au rabais afin de se procurer quelques livres essentiels (le reste est disponible en bibliothèque heureusement) et quelques vêtements d’hiver (important pour grever un budget peu conséquent), il apprend, à l’exception des plus chanceux accueillis en famille, à parcourir les petites annonces du jour.  » Bonjour, j’ai lu votre offre dans le journal, je cherche une chambre de bonne, je suis d’origine sénégalaise « . Le ton des réponses n’est pas toujours poli, on peut s’attendre au pire.  » Désolé, Monsieur, la chambre est déjà prise !  » ou encore  » Je n’ai rien contre les étrangers, Mademoiselle, mais vous savez, il a y eu tellement de problèmes avec des Africains que je ne peux pas jeter la pierre à ceux qui refusent, même si je ne suis pas comme ça « . Étudiants de toutes les Afriques, vous voilà prévenus ! L’étudiant africain s’installant dans l’Hexagone est fiché depuis longue date dans la mémoire collective. Mauvais payeurs parce que pauvres, mauvais citoyen parce qu’adepte de coutumes tribales… Les réputations sont faites. Et si vous tombez sur de bons progressistes – ils existent en nombre considérable –, il n’est pas rare d’entendre une  » belle poétique d’encouragement  » s’exprimer :  » Il est vrai que sur le plan de l’éducation, l’Afrique doit trouver les moyens de s’assumer. La France ne peut continuer en permanence à accueillir tous ces étudiants étrangers. Elle n’arrive déjà pas à bien assumer l’éducation de ces propres enfants « . Pendant ce temps, le ministère des Affaires étrangères feint de s’inquiéter à l’idée que des étudiants africains francophones puissent aller s’installer dans d’autres capitales universitaires anglophones (2).
La  » solidarité africaine  » paie bien sûr mais pas longtemps. Au début, quelques camarades désormais habitués à la galère au quotidien vous donnent un coup de main. Sous-location de piaule, boulot au noir, petits conseils pour ruser contre l’administration, le tout dans le but d’autoriser certains à boucler une année scolaire digne de ce nom. C’est que la difficulté matérielle demeure  » the first  » problème pour les migrants africains du savoir en France. Pas ou peu de bourse : la plupart des pays ne délivre l’attestation de bourse que pour permettre aux étudiants de passer entre les filets de l’autorité française. Pas ou peu de boulot aux normes : l’étudiant n’a droit, après sa première année de survie, qu’à vingt heures de travail par semaine, s’il trouve un employeur. Mais lorsque l’étudiant se rappelle à quoi est réduit aujourd’hui le système universitaire dans son pays, il ne peut souffrir en silence.
Il existe quelques  » privilégiés  » (un peu moins de 4000 étudiants,  » chiffrés  » dans le cadre de l’aide au développement ?) disposant d’une bourse française.  » Un boursier sur deux du gouvernement français […] est africain  » (3) déclarait Pierre-André Wiltzer, un ministre délégué à la Coopération et à la francophonie. Ces étudiants-là s’en sortent toujours bien et ne se retrouvent pas dans le triste portrait de la migration africaine en France. Ces bourses – rappelons-le – ne concernent en général que des troisièmes cycles et des stagiaires dans des formations pointues et spécifiques. Elles sont le fruit d’une coopération qui tient à renforcer l’influence de la France au sein des élites africaines. Étudiants aujourd’hui, partenaires demain…
Eldorado ou impasse ?
Mais refaisons un tour chez les  » primo arrivants  » en milieu universitaire. Ceux qui ont déjà obtenu un premier diplôme africain arrivent difficilement à obtenir une équivalence. Le système français ne reconnaît pas toujours les évaluations effectuées par les universités africaines. Elle s’en méfie et se justifie en mettant en cause la qualité des enseignements dispensés en Afrique et les moyens utilisés par les étudiants pour obtenir leurs diplômes. Ce sont des pays corrompus, laminés par la crise, comment voulez-vous qu’ils y arrivent ? L’étudiant n’a donc plus qu’à recommencer son cursus pour être admis, même s’il avait engrangé plusieurs années de formation auparavant. Quant à ceux qui entament un vrai départ en matière d’études supérieures, les difficultés sont toujours les mêmes. À savoir : il leur faut en très peu de temps s’adapter à un programme, tout en tenant compte de tous les problèmes rencontrés par ailleurs dans leur nouveau quotidien, face à des enseignants qui n’ont pas toujours la délicatesse d’analyser la situation dans toute sa complexité.
Venir en France pour un étudiant africain, c’est s’assurer de pouvoir bénéficier de conditions optimales pour sa formation dans certaines disciplines qui n’existent pas toujours dans les pays d’origine. Venir en France, c’est se persuader que l’on disposera d’un diplôme reconnu par le marché de l’emploi dans les pays occidentaux, où s’expatrie aujourd’hui la fine fleur des cerveaux africains. Présenter un diplôme acquis en Afrique auprès des employeurs des pays du Nord risque dans quelques années de passer pour  » un acte ridicule « . C’est du moins ce que pense une certaine population d’étudiants africains de nos jours. Ils misent sur la capacité des universités françaises à leur ouvrir, peut-être pas toutes les portes, mais une bonne partie d’entre elles. Il s’agit d’être le plus compétitif pour pouvoir s’installer à l’étranger, pour ne surtout pas être obligé de rentrer au pays demain. Mais venir en France, comme l’explique Abderemane Bacari, transitaire comorien installé à Paris, c’est aussi s’inscrire en  » gallerologie appliquée « . Selon lui, avant de réussir à concrétiser leur rêve, les étudiants africains doivent subir des années de galère. La plupart ne sont jamais conscients de cette réalité-là. Ce qui explique que certains n’aboutissent jamais dans leur cursus.  » Ils finissent, dit-il pour conclure, par se lancer dans de petits boulots sans avenir, réservés à la plèbe immigré. Plongeurs, vendeurs, manutentionnaires. Rien à voir avec les diplômes tant recherchés. Mais il faut bien manger « . Cela ne tue pas de le rappeler de temps à autre : la France n’est pas  » l’Eldorado  » que l’on croit être pour les étudiants du Continent. Cela peut même être le meilleur moyen de plomber son cursus ! À bon entendeur…

Notes
1. La grande majorité de ces étudiants débarque de l’Afrique subsaharienne, avec le Maghreb à sa suite.
2. En 2002, il y avait plus de 30 000 étudiants africains aux États-Unis.
3. En 2002, la diplomatie française aurait attribué 11 000 bourses à l’Afrique pour un montant de 50 millions d’euros.
///Article N° : 3921

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