Africa Remix, le colloque : la France est-elle prête à avancer ?

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Les 15 et 16 juin 2005, à l’occasion de l’exposition Africa Remix au Centre Georges Pompidou, un colloque a rassemblé des intervenants tels que Salah Hassan, Gilane Tawadros, Stuart Hall, Wole Soyinka et Achille Mbembe, pour évoquer le développement de la scène artistique africaine et s’interroger sur le retard de la France sur la question postcoloniale.

Débriefing dans le train, entre Paris et Londres. Le colloque d’Africa Remix, une occasion de quitter les festivités Africa 05, pour voir ce qui se passe en France. Ou plutôt, dirai-je au sortir du colloque, ce qui ne s’y passe pas.
J’arrive un peu en retard, mais juste à temps pour entendre la présentation de Stéphane Martin. Avec, en tête, la conférence de février au British Museum, je trouve la scène de la grande salle plutôt froide. Le parcours des uns, la genèse de l’exposition, les discours s’enchaînent, sans possible réponse du public. L’on entend une nouvelle version de l’historique Africa Remix. Jean-Hubert Martin en serait l’instigateur et Simon Njami le commissaire africain choisi par ses pairs. Enfin, africain ? Il semble que le vieux débat sur l’authenticité soit remis sur la table. En est-on encore là ?
La session continue avec la conférence de Salah Hassan sur le modernisme africain, suivie d’une conversation avec Gilane Tawadros. Hassan nous exhorte de ne pas oublier les pionniers de l’art africain contemporain. Il cite Skunder Boghossian, Gerard Sekoto, son mentor Ernest Mancoba et Ibrahim El Salahi. L’œuvre de Mancoba lui sert à illustrer son propos. Hommage à l’un des premiers modernistes sud-africains, oublié de l’histoire de CoBrA, que lui a rendu NKA en 2003. Et alors que Hassan rappelle le désintérêt de la France vis-à-vis de ses artistes africains, me revient à l’esprit l’exposition Made in France 1947-1997, 50 ans de création en France. Présentée au MNAM en 1997, Made in France avait pour objet de présenter Paris, et la France, comme vivier de la création internationale. Le nom de Gerard Sekoto ne figurait nulle part. Pourtant, c’est en 1947 que Sekoto, pionnier incontesté de l’art sud-africain, s’installe à Paris. En 1997, je lui consacrai mon mémoire de maîtrise.
Des interventions inégales
La séance de l’après-midi fut décevante. On découvrait que le Sud-africain Ntone Edjabe n’était pas critique d’art. Quel regret quand on sait que la scène artistique sud-africaine est une des plus riches du continent et demeure à bien des égards encore méconnue en France. Jane Alexander, artiste et maître de conférence à Michaelis School of Fine Art (University of Cape Town) était pourtant dans l’audience.
L’on s’attendait aussi à entendre de Mounira Khemir, photographe, commissaire et historienne de l’art, une histoire de la photographie nord-africaine plutôt que celle des orientalistes. Quant à ceux qui pensaient découvrir la scène égyptienne, ils ont eu à faire au désistement momentané de Mai Adu El Dahab. Elle s’insurgera, lors de la table ronde, d’avoir été invitée pour représenter son pays et non pour parler de son propre travail de commissaire.
Face à ces déceptions, la présentation de Visions of Zimbabwe par Raphael Chikukwa a donné un riche aperçu de la création zimbabwéenne et de l’expérience de la censure. Celle de Samuel Sidibé, directeur du Musée du Mali, nous a rapprochés de la réalité artistique en Afrique de l’Ouest. Sidibé a parlé du musée rénové, de sa vision contemporaine, de sa vocation pédagogique et de sa politique d’acquisition. Un projet prometteur en somme. Mais lorsque Florence Alexis, anciennement responsable des arts visuels à Afrique en créations (puis au programme AFAA), a abordé la question du financement du musée, la réalité s’est avérée un peu plus nuancée. Aucune stratégie ne semblait mise en place. Une situation que tous espèrent voir s’améliorer.
Une table ronde critique
Dernier volet de cette première journée, la table ronde. Germain Viatte a présenté la genèse du Musée du Quai Branly, un musée ayant pour vocation d’abolir les frontières : où l’Afrique côtoiera l’Asie et l’Amérique latine, où artistes en tout genre composeront avec le bâtiment de Nouvel, où l’œuvre de Yinka Shonibare trouvera sa place auprès d’une sculpture sénoufo, plutôt qu’à côté d’un Fragonard ou d’un Hogarth. Quant à savoir si l’on fera appel à des étudiants ou spécialistes des arts issus de la diaspora africaine, la réponse se fait vague. La question dérange.
Elvan Zabunyan, première Française à s’être penchée sur la Harlem Renaissance, a formulé une cinglante critique de l’exposition Africa Remix. Scénographie, thématique, tout y passe. Je revisite l’exposition le lendemain. On reproche aux œuvres d’être isolées. La scénographie ne cherche-t-elle pas à composer entre individualité et interaction des œuvres entre elles ? On parle d’un imposant silence, uniquement brisé par un juke-box. Fallait-il du tam-tam ici et là pour rendre l’atmosphère plus africaine ? Et, pour avoir vu l’exposition à Londres, la présentation sur un seul niveau permet de revenir bien plus facilement sur des pièces qui se font écho.
La critique est personnelle et nous la respectons. Mais n’oublions pas qu’Africa Remix ne s’adresse pas aux africanistes qui connaissent déjà le travail des artistes mais aux Français qui, lorsque l’on parle d’art africain, pensent encore  » arts primitifs « . Deux visites avec des représentants des associations africaines ont aussi confirmé que cette exposition est appréciée et appropriée par des Africains, répondant au travail des artistes et l’enrichissant de leur expérience personnelle.
Le débat fut animé et les attaques contre Simon Njami fusèrent. Fallait-il lui reprocher d’avoir exposé Africa Remix au Centre Pompidou, demandera Olivier Poivre d’Arvor le lendemain. Sûrement pas. Tout au long de cette offensive, on a oublié que le processus de sélection des artistes, de même que la thématique, sont aussi le fruit de Marie-Laure Bernadac, David Elliott, Roger Malbert et Jean-Hubert Martin.
En prélude au débat sur les  » post-colonial studies « , une étudiante de l’École du Louvre a qualifié  » d’hypocrite et d’irresponsable  » l’apparente désinvolture de Njami quand il déclara qu’après Africa Remix, il était temps de tourner la page. Il semble que la France ait perdu le fil des choses il y a une trentaine d’années. Alors qu’elle est le berceau de la négritude, que les philosophes de la déconstruction ont inspiré les études postcoloniales, aucun des écrits sur le sujet n’a traversé ni l’Atlantique, ni la Manche. Difficile de croire qu’en 2005, Edward Said, Paul Gilroy, Stuart Hall ou Rasheed Araeen soient absents des cursus français. Mais si l’Hexagone a plus d’un quart de siècle de retard, certaines parties du monde ont suivi. En Angleterre, comme aux États-Unis, la page a été tournée et le débat est ailleurs.
La question postcoloniale, difficile examen de conscience
Au terme de la première journée, alors que je discutais avec l’un des intervenants, est revenue la question posée par l’article d’Élisabeth Lebovici dans Libération (31 mai 2005). Pour mon interlocuteur, il n’y avait effectivement pas eu  » d’expertise locale « , c’est-à-dire africaine, dans l’équipe d’Africa Remix puisque  » Njami voyage beaucoup « . Doit-on encore voir notre identité définie par l’Occident ?
Née à Paris de parents camerounais, je me souviens, enfant, coiffée des tresses aujourd’hui admirées chez Amaize Ojeikere, avoir été pour mes camarades la  » sale noire « ,  » noiraude « , puis  » négresse « . Après m’avoir insultée, la France aurait-elle le droit de me refuser mon identité africaine, camerounaise, béti ? Mon collègue français reproduisait inconsciemment un schéma qui consiste à rechercher chez le Noir une authenticité qui n’existe pas.
Nier aux Africains leur identité culturelle est ce que Wole Soyinka a qualifié de double humiliation et de double viol, l’assimilation à la française et la sécularisation agissant alors comme un moyen d’effacer l’histoire de la colonisation et d’éluder la question de diversité culturelle. C’est d’ailleurs le problème que pose l’œuvre de Zoulikha Bouabdellah.
Stuart Hall fait le même constat en reprochant à la France de faire preuve d’un oubli délibéré. La Grande-Bretagne, elle, n’a pas eu d’autre choix que de surmonter cet oubli lorsque la communauté caribéenne a débarqué du Windrush en 1948. Accepter le multiculturalisme fut un premier pas que la France a difficilement franchi. Comme Soyinka, Hall relève la problématique de l’assimilation. On est français à partir du moment où l’on adopte la culture française. Sous-entendu, le moment où l’on abandonne ses différences culturelles, que Hall voit comme une richesse dans laquelle la France hésite à puiser.
Pour Achille Mbembe, la France souffre de cécité, a  » décolonisé sans se décoloniser  » prône  » un modèle d’universalisme abstrait  » qui nie l’existence de la race,  » au moment même où agit le racisme « . Pour Mbembe, la France se complaît dans un  » libéralisme imaginaire « . De quoi nous rappeler qu’Africa Remix ne doit pas être vu comme un aboutissement, mais comme la porte ouverte à une nécessaire renégociation entre la France et ses entités culturelles.

///Article N° : 3933

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Les images de l'article
Yinka Shonibare, "The Swing (after Fragonard"), 2001. Courtesy of Stephen Friedman Gallery, Londres.
Yinka Shonibare, "Diary of a Victorian Dandy: 14.00 hours", 1998. Courtesy of Stephen Friedman Gallery, Londres.
Situé à Standard Place (Londres Est), le nouveau bâtiment qui abritera inIVA et Autograph en 2007. Architecte David Adjaye. Courtesy of inIVA, Londres.
Paru en juin 2005, "Shades of Black" est un recueil de 13 essais sur le Black Art en Angleterre dans les années 80. Edité par David A. Bailey, Ian Baucom, et Sonia Boyce. Copyright Diversity Art Forum.





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