Dans son premier essai intitulé Afropolis (Editions Les Indes Savantes), publié en septembre 2022, Cécilia Emma Wilson, propose un historique des mouvements panafricanistes ainsi que des pistes pour la construction d’un panafricanisme transculturel.
Afropolis plaide pour un panafricanisme qui, loin de mener à une notion de séparatisme ou à un figement dans une « identité africaine » uniforme, s’apparente plutôt à un transculturalisme et loue les potentialités d’un soft power africain fondé sur le déploiement d’éléments culturels spécifiques (musique, cinéma, gastronomie, art) sur le continent africain et dans ses diasporas, dont elle rappelle la définition à plusieurs reprises : un ensemble des « personnes d’origine africaine vivant hors du continent africain, qui sont désireuses de contribuer à son développement et à la construction de l’Union africaine, quelles que soient leur citoyenneté et leur nationalité »[1].
Pour écrire cette réflexion autour d’un panafricanisme qui dépasse ses cadres institutionnels actuels, Cecilia Emma Wilson, d’origine togolaise et béninoise, diplômée de Sciences Po Paris en relations internationales et consultante pour l’UNESCO s’est appuyée sur son parcours personnel ainsi que sur un travail de recherche. Elle étudie alors le panafricanisme dans ses différents courants, depuis ses prémices à la fin du XVIIIe siècle avec les premières revendications d’une origine africaine commune lors des révoltes d’esclaves en Haïti. Dans son avant-propos, elle pose les définitions du panafricanisme dans ses dimensions politique, économique, culturelle et spirituelle, avant de se concentrer, dans une première partie, intitulée d’après Paul Gilroy « L’Atlantique noir, la résistance politique », sur les courants panafricanistes à caractère politique. L’autrice y aborde de manière novatrice l’éthiopianisme qui a émergé à la fin du xviiie siècle et son expression la plus connue, le mouvement rasta, avant de s’intéresser à l’islam afro-américain et au kémitisme. Ce dernier courant met au centre de sa réflexion l’héritage de l’Égypte antique et s’appuie notamment sur les travaux de l’historien sénégalais Cheikh Anta Diop pour promouvoir « les cultes dits négro-africains ». Cécilia Emma Wilson souligne l’importance de ce mouvement dans une optique de « réafricanisation » des diasporas noires, tout en relevant le risque d’essentialisation qui lui est inhérent.
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Dans la deuxième partie, intitulée « Les africanismes : negro-spirituals, gospel et africanisation », l’autrice, connue aussi pour un premier roman, Omalicha, finaliste du prix Voix d’Afrique en 2021, évoque le parcours des retornados, ces famille-afro-brésiliennes qui ont choisi le retour en Afrique au xixe siècle suite aux révoltes ayant eu lieu dans l’État de Bahia, et dont l’autrice est elle-même une descendante. Elle distingue également l’afrocentrisme et l’afrocentricité, en soulignant la portée du deuxième terme, qui va « au-delà de la question chromatique » et qu’elle définit comme « paradigme qui consiste à penser le monde à partir des multiples facettes de l’Afrique », ce qui constitue une « rupture épistémologique avec l’Occident » et a notamment permis le développement des Africana studies dans le milieu universitaire américain à partir des années 1970. Dans la suite de cette partie, l’essayiste aborde le thème des negro-spirituals, ces chants religieux afro-américains d’inspiration chrétienne et présentés comme moyens de résistance politique avant d’aborder les problématiques religieuses en Afrique comme instrument de résistance et de construction des identités, en particulier l’Unzondelelo, société évangéliste née en Afrique du Sud, qui donnerait naissance au Black Methodist evangelism.
Enfin, dans une dernière partie plus restreinte, est avancée l’idée selon laquelle l’Ubuntu pourrait être une réponse aux problématiques panafricaines. Ce terme, utilisé à partir des années 1990 dans les cercles académiques et politiques en Afrique du Sud, issu de la langue zulu, renvoie à des valeurs morales comme l’amour, le partage, la solidarité et à l’idée d’une résilience humaine. Ce concept apparaît pour l’autrice comme essentiel dans le mouvement de « Renaissance africaine », initié par Marcus Garvey puis repris par Cheikh Anta Diop, dans la mesure où il participerait de « l’édification d’une nouvelle société africaine » en influençant « tous les aspects de la vie, le politique, le culturel, l’économique et le juridique ».
Cet essai, malgré un certain nombre de redites et une structure qui pourrait gagner en clarté, a le mérite d’aborder plusieurs facettes du panafricanisme, fondée sur une conception de l’Afrique, « non comme simple territoire mais comme un universel et dans le même temps une cité, un carrefour où se rencontrent les chercheurs d’Afrique et ceux qui désirent remettre l’Afrique au centre de l’Histoire ».
Gabrielle Bonnet
[1] Définition de la Commission de l’Union africaine