Cette anthologie qui aurait dû s’intituler Le beurre des mots, est la plus importante des textes de littérature orale africaine publiés en une fois : 4 volumes et 1080 pages. – Monumentale, avouons-le. Cela nous laisse rêveur quand on songe qu’elle fut réalisée par une mère de famille chargée d’enfants, et professeur d’université chargée de cours à préparer et d’étudiants à diriger ! Le temps passé à récolter ces textes auprès de dizaines de « producteurs » hommes et femmes, où l’a-t-elle trouvé ? – Et celui englouti dans la transcription et la traduction ? Car cette anthologie est bilingue, ce qui double le travail et sa valeur, et elle contient de plus des textes en haoussa et en tamacheck. Aussi quand l’auteur propose « de nous livrer quelques informations » sur la littérature zerma, ses producteurs et ses conditions de production, nous pensons que c’est clause de style. Car Madame Mounkaïla vise clairement l’exhaustivité. Et n’est-ce pas ce qu’il faut faire lorsqu’on se lance dans une typologie des genres littéraires d’une culture donnée ?
Il serait un peu long de reproduire ici une table des matières de l’ensemble, vu que chaque volume offre son propre inventaire des genres dont il traite.
Ainsi le tome I (305 pages) après une présentation du projet et les indications d’usage sur les méthodes, les sources, les problèmes de transcription et de traduction, ouvre l’Anthologie avec les chants de circonstance et les panégyriques. En plus des devises et éloges des ancêtres, héros et guerriers, on y trouve de nombreux chants de protection de la personne, et d’exhortation à la morale, liés à la religion locale qui mêle sans complexe Islam et animisme. Suivent en effet les invocations aux bénéfiques génies des lieux : Harakoye génie du fleuve, son fils Moussa, et Zataw son esclave, mais aussi Babba et Hamni « génies fous » maléfiques représentant l’autorité coloniale. Le livre se termine avec les textes des deux grands mythes de Dongo et d’Harakoye Dikko, qui étaient au centre des études de Jean Rouch sur la religion songhay.
Le tome II est consacré aux poèmes d’intégration sociale : chants de circoncision épithalames, worksongs : pour le travail des champs, pour le pilage du mil et du sorgho, contre la peste aviaire, et, dans la foulée, contre les paresseuses, les mégères et les belles-mères qui parasitent les travaux domestiques ! Donc chants de femmes pour la plupart. Enfin une série de devises sur les noms propres (Zamu) sur lesquels on connaissait déjà le bel ouvrage de Dioulde Laya.
Le tome III illustre le secteur des épopées, avec des extraits de « Zabarkane » (sur qui Fatimata avait déjà fait sa thèse de 3ème cycle) de « Issa Korombe » que Ousmane Tandina avait intégralement transcrite et traduite. Mais aussi des récits épiques inconnus : « Soumaylou Gâkoye« , et « Lobbo Django« . Ce dernier texte me semble plutôt un roman d’amour comme le récit de « Beau Sombo » qui se trouve dans le tome IV. On y apprécie tout autant le feu sensuel de la passion que l’élégance des paroles et des gestes ! – l’intérêt se relâche un peu avec les genres des contes et des devinettes
qui rappellent ce que l’on rencontre dans les autres cultures ouest-africaines.
Mais il se relance au tome IV avec les chants et histoires d’amour qui égrènent les sentiments divers, mises en garde piquantes et soupirs de désir, tels qu’on les éprouve au Niger sahélien. Les comptines et jeux des petites filles, et les chants de satire sociale terminent cette anthologie qui nous aura donné toutes les faces de l’art verbal des Zerma.
C’était au départ un projet de thèse d’état. Mais ceci n’est pas une thèse. Et d’une certaine façon c’est mieux qu’une thèse : plus agréable à lire, car allégé des innombrables références et notes interminables qu’une thèse exige. Et donc plus « grand public ». Ce qui assure à cet ouvrage une meilleure diffusion, au lieu du statut clandestin où végètent tant de savantes études.
Mais par ailleurs, on peut regretter justement l’absence de cet encombrant appareil critique qui aurait donné à ce travail son allure définitive. Ce côté « inachevé » se manifeste aussi dans l’orthographe zerma et la typographie des textes qui au lieu de se trouver face à face (zerma-français) se présentent recto-verso. Mais cela n’affecte que le premier volume. Dès le deuxième, la graphie face à face est rétablie et permet au lecteur bilingue de vérifier la traduction.
Parlons de la traduction : elle est absolument remarquable. Madame Mounkaïla a su rendre « le beurre des mots » délectable, conservant les centaines d’images des expressions locales dans un français fluide et élégant : c’est une véritable performance.
Et si, trop souvent les notes explicatives en bas de page font défaut, la beauté et la précision de traduction font oublier cette lacune.
Ainsi non seulement l’auteur nous donne un superbe inventaire de la littérature zerma, mais elle en a rassemblé tant de textes qu’à certains moments elle doit en résumer une dizaine (tome IV p 260) ou n’en donner que des extraits pour certains genres mineurs (chants sur les parangons sociaux). De même que pour les contes et épopées (tome III) elle ne peut citer que des exemples ou des extraits, vu le nombre des textes, ou leur envergure. Elle cite cependant en entier le roman d’amour de « Beau Sombo et Belle Lobbo« , preuve tangible que ce genre existe en littérature orale zerma (comme il existe en peul et en malinke).
Ne boudons pas notre plaisir. Madame Mounkaïla étale toutes ses cartes. D’autres chercheurs pourront toujours compléter ces textes avec les notes adéquates, puisqu’elle en donne les versions originales dans la langue africaine. Puisqu’aussi elle signale les noms de ses informateurs et autres sources ; qu’elle précise les contextes dans lesquels ils produisent. L’essentiel est dit, pour notre information. Et dans le but de « sauver » un certain nombre de corpus comme celui-ci, ne serait-il pas opportun d’ouvrir un panneau de la collection : Oralité, qui se charge d’accueillir plus largement ces travaux qu’on pourrait désigner sous le nom de Documents bruts ? dans la mesure, bien sûr, où les textes offrent une garantie d’authenticité, comme c’est le cas pour le corpus de Madame Mounkaïla ?
Donc, même si l’on considère ce dernier comme perfectible (qu’est-ce qui ne l’est pas ?) réjouissons-nous
Réjouissons-nous de cette publication-révélation de la magnifique littérature de ces Songhay-Zerma, qui complète les études de nos collègues Jean Rouch, J-M. Gibbal, Boube Gado, Olivier de Sardan et Ousmane Tandina.
Anthologie de la littérature orale songhay-zarma, de Fatimata Mounkaïla, Ed. L’Harmattan, collection Etudes Africaines 2008///Article N° : 8315