Du 03 au 08 octobre 2023 se déroulait la BISO Biennale. Cette manifestation est un vibrant hommage à la tradition métallurgique du peuple burkinabé et vient par ailleurs étoffer la démarche de célébration de la sculpture et en particulier, de la sculpture sur granit initiée en 1988 à Laongo sous l’impulsion du Comité national des arts plastiques du Burkina Faso. Fait singulier toutefois, la biennale « BISO » est consacrée à la sculpture sous toutes ses formes et ambitionne de faire la synthèse entre l’art ancien et la création artistique contemporaine.
Depuis son avènement en 2019, la biennale « BISO » s’installe progressivement dans le paysage de l’art contemporain et est porté à bout de bras par des noms du monde de l’art en l’occurrence le photographe Léon Nyaba Ouedraogo et le directeur du département d’art contemporain africain chez Artcurial, Christophe Person. Placée sous le thème du « Feu des origines » en référence au roman d’Emmanuel Dongala, la 3ème édition de BISO est une invite au retour à l’essentiel, les racines, la mémoire et la famille. Une palette de 20 artistes du Continent africain et de sa diaspora sont préalablement entrés en résidence artistique pour une durée de 30 jours en septembre 2023 et leurs travaux ont, le 04 octobre, été exposés dans la coupole du FESPACO.
Il ne s’agira pas ici de faire une revue des 20 artistes présentés à BISO. Notre parti pris est la restitution de la richesse et densité de la programmation artistique mise en place à cette troisième édition par le biais d’un arrêt sur les propositions plastiques de 03 artistes-femmes (Rachel Marsil, Mélinda Fourn-Houngbo et POCO & CO). Cette production a particulièrement retenu notre attention. Les artistes (ELLES) ont pour ainsi dire « pris à contre-pied » l’esthétique traditionnelle de l’objet sculpté, s’éloignant du caractère monumental, privilégiant une approche plus « intimiste » emprunte de spiritualité, dissipant à la vue la force, l’effort tout en faisant preuve de poésie. Très subtil !
Rachel Marsil est un jeune talent qui force l’admiration. En 2022, elle fait un beau premier pas dans son cheminement d’artiste-peintre en signant sa première exposition J’aimerais te voir dans mes yeux, dans le cadre de la 11ème édition du partcours à Dakar, à la Galerie Cécile Fakhoury sise à Dakar. Comme le rappelle bien la Galerie Cecile Fakhoury, elle nous a plongés dans un univers intimiste et coloré à la frontière du souvenir et du rêve. En 2023, elle franchit une nouvelle étape en décrochant à la BISO biennale, le prix de la Galerie Christophe Person. Cette biennale lui a, pour ainsi dire, offert un nouveau champ d’expérimentation à savoir la sculpture renforcée par une collaboration avec des maîtres bronziers. Il en ressort un vocabulaire et langage plastique plus étoffé. L’installation intitulée « Par mes yeux, je touchais le soleil » est un « moment suspendu » rendu possible par l’exploitation de matières plurielles « raphia brodée », « fonte du bronze » et « travail sur bois ». Le tout est sublimé par une harmonie dans la composition des couleurs, vestige de sa pratique picturale. En référence au raphia brodée, il sied de rappeler que l’artiste fait usage dans le cadre de cette installation de sa formation initiale à Paris en design textile (Diplômée de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs) et de sa sensibilité pour le patrimoine textile local.
Mélinda Fourn-Houngbo, notre coup de cœur tout simplement. Elle se trouve aussi être la bénéficiaire à la Biennale BISO, du Prix de la Galerie Robert Valois. Qui dites-vous que je suis ?, son installation apparaît dans une forme minimaliste qui peut leurrer plus d’un car les compétences techniques mobilisées semblent dissimulées voire muettes. Il s’agit certainement du parti pris de l’auteure de l’œuvre dans la mesure où son regard est porté sur des objets usuels : la spatule en bois et la marmite en terre cuite. Formé à la forge aux Beaux-Arts de Paris, l’artiste déploie subtilement des techniques éprouvées de fonte de bronze et s’essaie, pour la première fois, à la cuisson au feu de la terre cuite. Ce regard sur les objets usuels convoque bien malgré nous, notre mémoire de manière subtile. Aussi, sommes-nous invités à fixer notre regard sur notre essence, notre origine, le lieu d’où nous venons finalement. Sapristi ! Nous voilà de retour à notre essence, la ruralité, le village ! Bayangam, Bangangté, Bafoussam, Foumban et bien d’autres lieux encore ! De retour dans la cuisine de « grand-mère ». Les objets représentés symbolisent bien plus que des ustensiles. Ces objets ravivent, par leur seule présence, nos souvenirs et font exister nos premiers espaces de socialisation. Nous replongeons un court instant dans un passé lointain : une ambiance bon enfant ; un quotidien familial ponctué de rires et de pleurs ; des sensations olfactives (le tô, la sadza, le fufu, l’ugali, la boule, le tarô, la sauce jaune, le achu, le kelon, le ndolè, le sanga, l’épis de maïs frais, le mbongo tchobi, la bouillie de mil) ; la sueur, l’effort et surtout le réconfort de la chaleur humaine face au froid ambiant ardent ; la protection d’une famille, d’un clan ; les liens de filiation mêlant des mouvements de transmission inter et trans-générationnels ; et, les liens fraternels favorisés et renforcés par ce vivre-ensemble empreint d’anecdotes, de taquineries, d’instructions, d’initiations, de dur labeur et de moments de partage. Cette subjectivité ainsi relatée rend compte de la force de la proposition plastique de Melinda et en particulier, du travail de recherche réalisé sur l’origine du « feu ». Il s’agit là d’un processus créatif laborieux qui mêle forge, son art premier ; une mise en valeur des compétences techniques acquises au fil des expériences ; de la teinture et de la bijouterie pour plus de poésie ; de nouvelles sensations issues de la collaboration avec les artisans locaux ; et un effort physique indéniable. À l’interrogation offerte comme titre de l’œuvre, nous répondrons finalement : Vous êtes la cuisine de ma grand-mère ! Vous êtes une évocation du lieu où tout prend vie, la famille ! Vous êtes un clin d’œil au dur labeur des femmes et des hommes de la famille, du clan, de la communauté voire de la nation.
POCO&CO est de nationalité française et vit au Burkina Faso depuis quinze ans. Elle se singularise par une pratique artistique à l’intersection du design, graphisme et textile. La densité de son langage plastique sotte à l’œil. Son installation multimédia intitulée « Sans origine fixe » est avant tout une interprétation personnelle du thème retenu par la biennale « le feu des origines ». Elle y retranscrit son métissage et indirectement suscite des interrogations sur notre rapport à l’autre et à nos identités. Il est rappelé dans son travail que les êtres humains sont des caisses de résonance. A l’image des éponges, ils absorbent de manière consciente et/ou inconsciente différents substrats culturels. Cette altérité, fruit de nos rencontres, expériences et choix, est nourricière pour les êtres humains. L’expérience transformative dont rend compte POCO & CO est une expérience éminemment humaine dans la mesure où le « métissage » fait partie intégrante du quotidien.
C’est en réalité ce que la rencontre avec l’autre (qui n’est ni « soi », ni « notre reflet ») nous laisse ; ce qui reste de nos expériences dans le « monde » et au « monde ». L’iconographie employée dans le cadre de ce travail émane du terroir (culture burkinabé et ouest africaine). Le travail modulaire de cette iconographie par ailleurs déployé dans le design et de la 2/3D est la métaphore employée par l’artiste pour évoquer son expérience personnelle et son rapport à autrui. La force de ce travail artistique est quelque peu altéré par la scénographie. La mise en valeur de cette œuvre d’art sur le plan scénographique requiert une injection de moyens plus conséquents pour une meilleure expérience visiteur. A travers les expériences singulières de ces trois artistes, transpirent l’importance de la recherche-développement ; le bien-fondé de la valorisation du vivier culturel par l’entremise de la collaboration entre artistes plasticiens et artisans ; et, la contribution significative d’une résidence artistique pour la création. Il y est aussi souligné toute la place de la sensibilité dans la sculpture. Notre ère contemporaine offre un champ large de possibles à la sculpture contemporaine tout en favorisant des mouvements de bascules entre le passé et le présent. En cela, « Sans origine fixe », par son approche modulaire et sculpturale, en est une belle illustration. Les différentes propositions artistiques témoignent plus largement d’une réalité : la sculpture n’est pas que force, rudesse et monuments ! Il est aisé, à l’issue de ce décryptage, de constater l’impact positif de mises en situation d’artistes auxquels participe une biennale de cette nature. Indéniablement, il s’agit d’une opportunité de continuer un cheminement artistique, une opportunité de provoquer une émulation saine et galvanisante entre les participants à cette rencontre, un espace de promotion d’une démarche artistique. En cela, l’accouchement de Rachel Marsil dans un nouvel univers (la sculpture) est en soi une performance et la preuve de la nécessité impérieuse de l’accompagnement des artistes pour le développement de talents en gestation voire confirmés. Toute simplement longue vie à la Biennale Internationale de Sculpture de Ouagadougou !
Raïssa Njoya de l’agence Créations Contemporaines