CAPE 07 – de l’art contemporain dans un environnement urbain dissonant

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Placé sous le slogan « Not Another Biennale » CAPE vient remplir un vide laissé dans l’espace artistique sud-africain par la Biennale de Johannesburg. Cette manifestation résolument panafricaine a choisi de se diffuser dans l’espace urbain faute de lieux adéquats pour fédérer les diverses expositions, mais aussi pour mettre au centre de son dispositif la ville de Cape Town. Comme l’indique son nom, Cape Town pourrait bien en être la véritable vedette, ce qui lui permettrait de se signaler comme l’une des places fortes de la création en Afrique et de prétendre au titre de « capitale artistique ».

En mars et avril 2007, presque 10 ans après la seconde édition de la fameuse et controversée Biennale de Johannesburg, l’Afrique du Sud accueillait un autre événement majeur de l’art contemporain international. Initialement censé se dérouler en septembre 2006, cet ambitieux projet rencontra dès le départ de sérieux problèmes de financement. Pour qu’il puisse effectivement avoir lieu, il dut être reporté et revu à la baisse. Après la démission du directeur artistique Gavin Jantjes fin 2006, un petit groupe de commissaires motivés de Cape Town, sous la houlette de Miriam Asmal-Dik, Jonathan Garnham et Gabi Ngcobo, s’associèrent pour faire face à la menace d’annulation. « TransCape » devint « CAPE 07 » et plutôt que de proposer les dernières œuvres branchées de toute l’Afrique et de ses nombreuses diasporas, les organisateurs tablèrent sur les ressources locales et présentèrent des œuvres aisément transportables ou qu’ils avaient déjà sous la main.
Le résultat, bien qu’il fût de nature quelque peu éclectique et qu’il souffrît d’un manque de cadre conceptuel propre, fut néanmoins surprenant et très stimulant. Les expositions officielles présentaient les œuvres de 40 artistes contemporains dans dix lieux dispersés un peu partout dans le centre de Cape Town et dans ses banlieues et townships. À cela s’ajoutait un programme d’artistes indépendants et de galeries excentrées nommé « X-Cape », qui montrait les œuvres de 200 autres artistes dans plus de 90 lieux. Ce mélange intelligent d’animations et de manifestations, – allant des interventions in situ et des performances dans l’espace public aux présentations classiques dans le white cube des musées et des galeries accompagnées de débats publics, soirées et concerts – fut un premier pas important dans la reconnaissance de Cape Town comme un nouveau maillon du réseau géopolitique de l’art contemporain en Afrique.
L’exposition officielle principale se tenait dans le centre communautaire de Look Out Hill dans l’humble township de Kayelitsha, à quelque 20 km du centre-ville. Curieusement, la cérémonie d’ouverture coïncida avec un mariage local qui se déroulait au même endroit. Le discours inaugural du Ministre des Arts et de la Culture, Pallo Jordan, était par moments couvert par les bruits et la musique émanant de cette manifestation de la vie sociale du township. Sur le toit en tôle du hall d’exposition apparurent trois membres du Théâtre Brett Bailey coiffés à la mode des célèbres Butcher Boys de Jane Alexander des années 1985 – faisant revivre ainsi l’une des icônes de l’art contemporain sud-africain les plus éminentes, encensée dans le monde entier.
À l’intérieur de l’espace récemment rénové étaient exposées des œuvres d’artistes comme El Loko, Marlene Dumas. Godfried Donkor, David Goldblatt, Nicolas Hlobo, Mambakwedza Matusa, Lelo Veleko, Zanele Muholi, Titus Moteyane et Hani Rashed. À l’entrée, l’installation de El Loko Africa Down (2006), patchwork de photographies de visages africains et de drapeaux sur lesquels les visiteurs pouvaient marcher offrait une puissante métaphore de l’oppression et de la pauvreté grandissante du continent. Godfried Donkor proposait une série photographique accompagnée d’une vidéo de danseurs masqués dans le port de Jamestown (Accra), évocatrice d’un carnaval africano-vénétien du 18e siècle. Dans le centre du hall d’exposition, une énorme installation sculpturale en forme d’enclos, Umthubi de Nicolas Hlobo évoquait aussi bien un trampoline que les fameux camps Xhosa d’initiation masculine.
La Galerie Nationale Sud-Africaine Iziko autre lieu important de CAPE 07 dans le centre de la ville, présentait Invoice, une excellente exposition de Santu Mofokeng comprenant un choix de photographies noir et blanc de 1982 à 2006 ainsi que les nouvelles et étonnantes installation et œuvres vidéo Like Father, like Son ? (2007) de Churchill Madikida, lauréat 2007 du prix Standard Bank des jeunes artistes. Par ailleurs, le musée hébergeait des salons vidéo où étaient projetés les travaux récents de Susan Hefuna, Ingrid Mwangi/Robert Hutter, Thando Mama, Toyin Sokefun, Sammy Baloji, Zanele Muholi, Patrick Mukabi et quelques autres. Dans le château de Good Hope, l’installation que Penny Siopis avait créée pour le lieu présentait trois de ses énigmatiques personnages Pinky Pinky dans le rôle de concierges d’un deux-pièces, composé d’une salle de classe et d’une chambre aveugle avec des toilettes au centre et tout un tas d’objets trouvés, usuels, accrochés sur les murs de brique historiques. Les visiteurs étaient invités à contribuer à l’installation en écrivant leurs propres impressions et versions de Pinky Pinky dans le livre d’or. Les autres artistes du château étaient Mustafa Maluka, Thando Mama, Anawana Haloba et aussi Sammy Baloji qui présentait un panneau photographique de 50 m de long composé de vues de devantures et d’éléments d’architecture modernes de la ville congolaise de Likasi.
La topographie de CAPE 07 s’étendait de la ville intra-muros en passant par les townships de Kayelitsha jusqu’à la pittoresque ville universitaire de Stellenbosch dans la région viticole proche. En programme satellite, la galerie SMAC proposait une exposition de quatre jeunes conceptualistes sud-africains dont les noms formaient le titre : « Gimberg/ Nerf/ Sacks/ Young ». Leurs oeuvres étaient censées explorer la question et la signification de l’avant-garde aujourd’hui. La question de l’avant-garde était également au centre d’un recueil de textes remarquable, publié par Kathryn Smith pour accompagner l’exposition. Malheureusement, ce livre reste la seule publication qui ait jamais vu le jour à cette occasion et dans le cadre de CAPE 07. Dans la salle d’exposition de l’Université, située dans une ancienne église de Stellenbosch, Willem Boshoff présentait Skoob (« books » – livres – à l’envers), installation de livres recouverts et entourés par des pierres blanches, réflexion poétique puissante sur le fait de détruire, brûler ou déchiqueter des livres et des textes, sous couvert de purger une communauté d’influences supposées hérétiques ou subversives. À un second degré de lecture, l’installation évoquait aussi la faillite des textes religieux, corrompus et rendus inopérants du fait d’interprétations contradictoires : bibles « défoncées », enfouies sous des pierres blanches semblables à des stèles.
À côté, l’installation vidéo de Robin Rhode, Colour Chart (2004-06), était également emblématique de CAPE 07. Inspiré par Farbtafeln (1966-71) de Gerhard Richter, Rhode mêle à sa façon, inimitable, performance, photographie, vidéo et composition électronique dans une envolée lyrique puissante sur la violence des couleurs dans l’histoire sud-africaine. Une silhouette fantomatique, entièrement habillée de blanc, tient une carte blanche et se bat contre d’autres silhouettes habillées de noir, kaki, rouge, vert ou bleu. Dans le dernier round, Blanc rencontre Blanc. Les silhouettes sont armées de différentes manières, avec des rasoirs ou des seaux et seul le personnage Blanc utilise toujours une brique pour attaquer et terrasser son adversaire.
CAPE 07 a offert une plate-forme intéressante et stimulante et une vue d’ensemble des productions et positions artistiques contemporaines – évidemment centrés sur l’Afrique du Sud pour des raisons budgétaires. Le festival comprenait quand même des points de vue additionnels d’autres pays d’Afrique et de la diaspora formant une « soupe culturelle d’Afrique » (c’est le nom inventé par les organisateurs) goûteuse et non-dogmatique. Le succès de CAPE 07 est dû à la persévérance d’un petit groupe d’organisateurs et de commissaires indépendants, qui ont su rassembler acteurs locaux privés et institutions de l’art en place pour dépasser les frontières aussi bien physico-spatiales qu’idéologiques en vue d’un objectif commun. La galerie Goodman basée à Johannesburg a ouvert une succursale à Cape Town et l’influent galeriste Michael Stevenson a organisé Afterlife, une exposition exceptionnelle dirigée par Sophie Perryer qui explorait les croisements entre matériel et spirituel. La réussite la plus fascinante de CAPE 07 a sûrement été son organisation spatiale qui obligeait les visiteurs à naviguer à travers un tissu urbain extrêmement fragmenté et dissonant avec toutes ses contradictions historiques et ses inégalités criantes. Un premier pas prometteur a été accompli.

///Article N° : 7584

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