Cette France-là !

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À l’approche de nouvelles échéances électorales en France, Afriscope propose une série de tribunes. Dans un contexte de replis sécuritaire et identitaire, nous répondons par des paroles de résistance. Place à la journaliste et directrice du Bondy Blog, Nassira El Moaddem.

C’est une campagne qui ne ressemble décidément à aucune autre. Une campagne à l’élection présidentielle qui a vu les favoris à gauche et à droite balayés les uns après les autres. Mais comme toutes les campagnes, il y a une constante : les quartiers populaires n’existent pas. Il suffit de scruter les projets des candidats, il suffit de les écouter lors des débats télévisés, pour se rendre compte que les quartiers n’ont aucun intérêt à leurs yeux. à peine, quelques mesures visiblement griffonnées sur le coin d’une table tellement elles manquent d’ambition et de prises avec la réalité, histoire de dire qu’on a fait le job. Emballé, c’est pesé ! On imagine très bien les états-majors des équipes de campagne plancher sur les programmes. Les mesures en faveur des habitants des quartiers sont proportionnelles à l’implication au moment du vote des bénéficiaires, avec cet argument sûrement imparable : pourquoi s’emmerder pour des gens qui ne votent pas ?

Les faits leur donnent malheureusement raison : si François Hollande a bénéficié d’un vote « quartiers » au deuxième tour de la présidentielle de 2012, en grande partie pour voir échouer Nicolas Sarkozy et sa campagne identitaire, les quartiers ne sont pas des endroits où les électeurs se déplacent beaucoup. Si l’abstention est un mal général, il l’est encore plus dans nos banlieues.

Mais alors, la faute aux banlieusards ? Non ! Lorsque le mépris vient d’en haut, difficile d’en vouloir à ceux qui ne se sentent ni représentés, ni considérés, ni même écoutés. Pourtant, que celui ou celle qui ira dire que les habitants des quartiers populaires ont délaissé le champ publique, se couvre de honte. En réalité, ils ont déserté celui de la promesse électorale non tenue, celui du mépris social, celui de la stigmatisation, celui de l’instrumentalisation. Ils ne veulent plus participer à un spectacle qui s’intéresse à eux que lorsqu’il s’agit d’aller poser en photos sur les marchés. En revanche, il faut se rendre dans ces quartiers pour voir à quel point nombreux sont celles et ceux qui occupent le terrain, toute l’année. Il faut voir les associations, culturelles, sportives, citoyennes se démener. Il faut aller discuter avec ces entrepreneurs engagés dans la lutte pour l’égalité des chances. Il faut rencontrer ces éducateurs qui ne comptent ni leur temps ni leur énergie passés à convaincre les jeunes qu’un meilleur avenir est possible. Tout cela avec des bouts de ficelle. Les candidats ne sont pas les seuls à qui il faut jeter la pierre. Nous, médias, avons aussi notre examen de conscience et notre examen tout court à faire. Lorsque sur des débats télévisés de plus de deux heures trente, seules quelques minutes sont réservées aux propositions en direction des quartiers populaires ; lorsque dans ces mêmes débats, la rubrique «banlieues» n’est visiblement pas autant considérée que lorsqu’il s’agit de parler de finances publiques ; lorsque des banalités ou des non mesures sont alors avancées par les candidats sans que visiblement les journalistes ne s’en émeuvent ou n’aient travaillé leurs dossiers… Oui, nous médias, devons aussi balayer devant notre porte.

Ces quartiers, le Bondy Blog les couvre au quotidien depuis 2005. Politique, entreprises, numérique, culture, sport, débats de société, ces grands thèmes y sont abordés chaque jour. Notre travail éditorial consiste à raconter celles et ceux qui tentent d’y faire bouger les lignes, celles et ceux qui, malgré les assignations à résidence et identitaires, malgré les discriminations, résistent, se battent. Nous donnons la parole à ces habitants qui se sentent abandonnés, souvent trahis. Nous tendons notre micro afin qu’ils nous racontent leurs galères, leurs colères aussi. Cette France que tant ne veulent pas voir mais qui ne demande pourtant qu’à exister, dans la normalité. Cette France qui joue le jeu du vivre-ensemble, chaque jour, sans en faire un élément de langage de campagne.

Tant que cette France-là n’aura pas voix au chapitre, tant que cette France n’existera médiatiquement qu’à travers les récits de faits divers, le cercle vicieux continuera : celui d’une invisibilité de nombre de nos territoires qui continuera à nourrir l’absence de prise en compte politique à la hauteur des enjeux. Il est urgent.
Personne n’a le luxe d’attendre.

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