Dakar : des murs pour le dire

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L’Afrique : des mégalopoles dans un continent essentiellement rural. De ces cités émergent des mouvements et formes d’expressions culturelles propres au milieu urbain. Souvent éphémères, certains laissent cependant des traces comme le Set Setal qui, il y a quelques années, fit chanter les murs de Dakar. Une expérience unique en Afrique et de par le monde. Retour en arrière.

Propreté dans ton esprit
Propreté dans tes actes
Ainsi, je t’encourage
Propreté, oh, propreté
Propreté, dans ton âme
Propreté, oh, propreté
Propreté, dans ton corps
Propreté, oh, propreté
Propreté, dans tes paroles
Propreté, oh, propreté
Propreté parmi tes compagnons
Youssou Ndour

 » Propreté dans ton esprit, propreté dans tes actes, propreté dans ton âme, propreté dans ton corps « , tel est le credo de Set, tube du chanteur sénégalais Youssou N’Dour, composé en 1990. Au même moment naissait à Dakar le Set Setal, mouvement spontané initié par la jeunesse de la ville qui, bien que resté sans lendemain, fera date et marquera les esprits jusqu’à aujourd’hui encore.
 » Set  » signifie propre et  » Set Setal  » rendre propre. C’était au début des années 90, quelques temps après les émeutes et les violentes manifestations qui avaient suivi les élections législatives et présidentielle de 1988. Le président sénégalais Abdou Diouf avait alors maladroitement qualifié la jeunesse de son pays de malsaine. Et c’est cette jeunesse  » malsaine  » qui, armée de pinceaux, de peintures, et de balais, s’est mise à nettoyer et à peindre les murs et les trottoirs de Dakar, afin de donner à celle qui était devenue la  » capitale de la saleté  » un nouveau visage, souriant, dynamique et gai, à l’image d’une jeunesse qui se voulait tout sauf malsaine. Durant presque une année, les jeunes se sont littéralement appropriés la ville alors transformée en un immense espace d’expression de culture urbaine où ceux que le chanteur sénégalais El Hadj N’Diaye appelle les  » sans voix  » pouvaient exprimer bien plus que leur révolte, leur conscience civique et leurs espoirs. Stèles, murs, pierres, fontaines, trottoirs, arbres, pneus, tout était bon à peindre, tout était bon pour dire les préoccupations d’une génération sacrifiée, confrontée à la violence, à la drogue, au chômage et à la misère. Les lieux stratégiques, tels les fontaines, les marchés, les carrefours sont devenus des supports d’expression urbaine qui interpellait le passant. Peintres confirmés ou improvisés, tous ont apporté leur touche aux 600 fresques qui, en presque une année, ont fini par recouvrir tous les quartiers de Dakar, sauf celui du plateau, le quartier administratif. Ces peintures témoignaient de la diversité des démarches et des talents qui s’étaient alors exprimés. Certains travaillaient en groupes, d’autres en comités plus restreints. Des thèmes récurrents se sont pourtant détachés de l’ensemble, qui invitaient les habitants à se pencher sur leur histoire – à travers des portraits de personnages historiques comme Alboury Ndiaye, symbole de la résistance au colonisateur, mais aussi ceux des incontournables Senghor et Cheikh Anta Diop. Outre les portraits des grands chefs religieux se dressaient aussi les personnalités emblématiques du continent comme Nelson Mandela et Thomas Sankara.
Face aux figures du passé se dessinaient les impératifs d’un présent sans lequel aucun futur décent ne semblait être possible. A cet égard, les jeunes ont fait preuve d’un grand sens civique et d’une conscience aiguisée des sources de leurs problèmes. De nombreuses fresques invitaient à la protection de l’environnement, les femmes étaient priées de ne plus jeter les eaux usagées n’importe où et les hommes de ne plus uriner à tout va. Des dessins expliquaient aux enfants  » comment ne pas attraper la diarrhée  » ou conviaient les non-scolarisés à suivre des cours d’alphabétisation. Les fléaux comme la drogue et le sida n’étaient bien sûr pas en reste.
Plus que tout, les  » setaliens  » ont exprimé leur refus d’être assimilés à l’image afro-pessimiste d’une jeunesse africaine sans avenir. Lucides, ils ont montré à travers leur initiative le peu d’illusions qu’ils se faisaient des solutions que les pouvoirs publics pouvaient leurs apporter. Le Set Setal aura peut-être été la façon la plus intelligente qu’aura trouvée une population, pour dénoncer, au travers d’une action positive, les carences de tout un système politique et social.
Véritable mouvement d’expression urbaine, le Set Setal pourrait être rapproché de la forme d’expression choisie par les graphistes de rue occidentaux, à Paris, New York ou Berlin. Pour Abdoulaye Touré, ex  » setalien « , aujourd’hui animateur pour l’ONG Enda à Dakar, la comparaison s’arrête là. Selon lui, les  » graphs  » occidentaux expriment une sorte de tension ; ils sont empreints parfois d’une certaine violence qui montre la difficulté des jeunes à trouver leur place dans la société.  » Chez nous, c’est différent. Un jeune qui regarde nos dessins, c’est comme s’il consultait un livre d’instruction civique. A l’époque, nous avions des messages à véhiculer et des actions concrètes à réaliser. Nos dessins étaient liés à nos actes. Pendant que certains peignaient les murs pour faire valoir l’alphabétisation, d’autres allaient dans les maisons faire de la sensibilisation auprès des familles. C’était un mouvement collectif qui incluait les populations « .
Que reste-t-il aujourd’hui de ce mouvement ? Plus grand chose si ce n’est quelques fresques délabrées. Dakar qui abrite 2 millions d’habitants, soit 20% de la population sénégalaise, a retrouvé son visage grimaçant de ville abandonnée à l’insalubrité.
Les jeunes  » setaliens  » ont vieilli, et les difficultés de la vie quotidienne laissent peu de place et d’énergie à la reprise du mouvement. Certains expriment le désir de restaurer les peintures, mais le manque de moyens et de bras les découragent. Ici et là, on peut voir quelques jeunes nettoyer les rues dans le cadre de petits boulots qu’ils font pour la municipalité. Le souffle du Set Setal semble bien loin. La non poursuite du mouvement est principalement attribuée aux tentatives de récupérations politiques dont il a fait l’objet. Celles-ci ont découragé et désabusé, voire dégoutté les jeunes. Le Set Setal ne pouvait certes pas perdurer sans soutien. Et s’il a pu s’étendre sur plusieurs mois, c’était aussi grâce à l’appui d’organismes tels que Enda Tiers Monde ou l’Unicef. Quelques interventions municipales ont été les bienvenues, d’autres au contraire ont été mal reçues par les jeunes qui y voyaient des manœuvres électorales. Aujourd’hui, chaque quartier a son maire, mais le maire de la ville, Mamadou Diop, est resté le même. Le mouvement aura quand même révélé quelques peintres qui se sont regroupés pour créer de petites galeries ou animer des ateliers.
Si les lendemains du Set Setal n’ont pas chanté, la flamme de la jeunesse ne s’est pour autant pas éteinte, et ce d’autant plus que 55% de la population du Sénégal a moins de 20 ans. Comment rester sourd aux doléances d’une telle masse, dont les aînés, il n’y a pas si longtemps, faisaient dire aux murs :  » On ne demande pas ce que notre pays peut faire pour nous, mais nous demandons ce que nous pouvons faire pour notre peuple  » ?

///Article N° : 1002

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