Entre autres. Réflexions sur l’identité

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Chacun de nous refuse d’être l’autre.
HJ Blackham

La réflexion est un phénomène diasporique. Ces mots de Jean-Paul Sartre permettent d’introduire la question de l’identité d’une manière nouvelle et en s’opposant radicalement aux pensées réactionnaires qui s’habillent de l’apparence de la modernité ou de l’authenticité. Non l’identité n’est ni biologique, ni génétique, ni donnée et innée, c’est une construction culturelle. Ce n’est pas non plus une donnée sociale, c’est un récit que l’on fait, que l’on se fait, non pas à la troisième personne mais comme insiste Jean-Marie Schaeffer dans La fin de l’exception humaine, à la première personne (2007) : Je suis une femme, ma famille dit avoir un berceau en vieille Castille, mon père est un éternel voyageur insatisfait ce qui l’a poussé maintes fois sur les routes de l’exil, ma mère est une éternelle optimiste qui s’enracine dans n’importe quelle utopie pour peu qu’il y ait du lien et moi j’essaie d’agir pour fabriquer de nouvelles utopies qui tentent de réconcilier le mouvement et le lien. Tel est le récit que je fais cette nuit pour dire qui je suis, pourquoi je parle de la place où je suis et ce que je cherche à imposer comme nouvelle forme. Et mon identité telle qu’elle s’actualise tient compte de données issues tant du champ de la philosophie, de la psychologie, de l’histoire, de la sociologie, de la politique… L’identité est plus un processus qu’un état, plus un récit et une interprétation qu’une donnée naturelle. C’est une conscience réflexive de moi-même en tant que sujet, en tant que subjectivité et en tant que partie d’un tout, un je qui participe à un nous. Le tu et le il(s) n’étant pas suffisant pour me définir, le tu et le il(s) pouvant être dépréciatifs et me transformer en chose ou en ce que je ne veux pas être (Schaeffer, 2007) alors que le je et le nous sont des constructions choisies ou que construites par moi mais assumées même si elles se modifient au cours du temps et pour les enfants au cours de leur développement. Les ingrédients de l’identité appartiennent à des temps différents, parfois à des savoirs différents, à des niveaux de consciences différents, certains sont conscients, d’autres implicites voire inconscients mais c’est l’ensemble diasporique qui me donne le sentiment d’unité et de singularité, qui me donne l’idée d’un noyau, d’un centre et d’une possibilité d’échanges.
Car l’identité est d’abord et avant tout un être-dans-le-monde, un risque avant tout qu’il faut courir, comme l’écrivait dans ce journal Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau, une manière d’accepter de se dire et de se reconnaître. Une manière d’être parmi les autres.
Ainsi, Grace qui vient nous consulter à la Maison des adolescents d’Avicenne à la suite de nombreuses altercations entre elle et ses amies ou avec ses professeurs. Grace est une élève douée en français, elle prépare cette année son bac français. Pourtant, elle s’est déjà fait renvoyer de plusieurs collèges et lycées pour des actes violents dont ni elle ni ceux qui l’entourent n’arrivent à comprendre le sens. Pourquoi brutalement Grace perd le contrôle d’elle-même, se métamorphose, n’arrive plus à utiliser les mots que par ailleurs elle aime tant et elle valorise au point de paraître un peu précieuse aux yeux de ses amies et en vient aux mains. On essaie de reconstituer avec elle la dernière altercation entre une de ses camarades, blanche, et elle qui est noire, ses parents sont Peuls du Mali : Grace racontait que sa mère ne veut pas qu’elle reste avec ses camarades à la sortie des cours, elle exige d’elle qu’elle rentre à la maison avant 18 heures tous les soirs. Sa camarade lui dit alors comme pour la soutenir : « Ta mère est archaïque… », ce mot déclenche la fureur de Grace qui la traite de raciste et lui donne un coup avec une telle fureur qu’elle se retrouve aux urgences de l’hôpital. Ce mot contient pour Grace une exclusion, une généralisation, une assignation identitaire irrecevable d’autant qu’elle s’applique à sa mère, au nous, au lien entre sa mère et elle mais aussi entre sa camarade et elle. Le tu et le vous contenus dans ce mot archaïque devient alors tellement excluant qu’il ne permet plus de lien, plus d’échange et que le noyau même de Grace est menacé. C’est moi qui suis « archaïque » et pas seulement ma mère à tes yeux.
La notion d’identité c’est aussi l’utopie des commencements, l’amour des commencements qui permet les mouvements, qui autorise des destins. Utopie au sens de libérer des désirs, désenclaver des imaginations dans le cadre d’un nous qui sert de base, de berceau de bague de fiançailles que l’on peut revendre si besoin ou garder dans un coffre en gage d’appartenances et que l’on pourra transmettre que l’angoisse du lendemain nous habitera.
L’identité ce sont des ingrédients multiples et transmis, des ingrédients de culture et de civilisation, Les belles choses que porte le ciel, titre du dernier livre de Dinaw Mengestu, restent de notre responsabilité dans ce vingt et unième siècle déjà bien engagé et l’expertise transculturelle est à ranger dans cette catégorie n’en déplaise à ceux qui voudraient nous y faire renoncer.
Continuons à penser et à agir de manière diasporique…

Marie Rose Moro est psychanalyste, psychiatre d’enfants et d’adolescents et écrivain. Elle dirige la revue transculturelle L’autre. Dernier livre paru : Aimer ses enfants ici et ailleurs (Paris : Odile Jacob ; 2007). Site : www.clinique-transculturelle.org

Bibliographie
L’autre, Cliniques, Cultures et Sociétés 8(3) « Grandir ». Grenoble : La Pensée Sauvage ; 2007.
Lachal C. Un objet politique : l’identité en construction. L’autre, Cliniques, Cultures et Sociétés 8(2) « Métissages » : 165-71.
Mengestu D. Les belles choses que porte le ciel. Paris :Albin Michel ; 2007.
Schaeffer JM. La fin de l’exception humaine. Paris Gallimard ; 2007. ///Article N° : 7255

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