Etonnants voyageurs à Bamako :

Un festival sans livre, sans public, sans idée ?

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Pour sa troisième édition, ce festival s’était fixé comme priorité la mise en place d’activités à destination des jeunes. Intrigués par l’absence de public et conscients de la gravité de médiatiser sans y voir plus clair un festival qui s’avère problématique, nous avons poursuivi notre enquête à Bamako auprès des acteurs du festival comme du public. Etat des lieux et interrogations.

Les activités destinées à la jeunesse eurent lieu pendant deux jours au Centre Culturel Français (alors que la manifestation générale se déroulait cette année dans les jardins du Palais de la culture). Contes, spectacles de marionnettes, films d’animation, le jeune public fut au rendez-vous, surtout au regard de la faible affluence constatée au Palais.
Par contre, pour les interventions en milieu scolaire, le bilan est beaucoup plus mitigé.
Une dizaine de lycées de la ville de Bamako ont accueilli deux écrivains (un « étranger « , un malien) pendant deux matinées. Ces interventions furent précédées d’envoi de livres, arrivés quelques jours avant l’événement: la moitié des auteurs étrangers n’avaient pas leurs livres dans les lycées, quant aux ouvrages disponibles, ils l’étaient en faible quantité. Concernant les auteurs maliens, aucun de leur livre n’a pu être distribué.
La plupart des auteurs sont revenus enthousiastes de cette matinée passée en compagnie des élèves. Mais il semble que ces interventions se soient déroulées dans des conditions similaires à celles constatées les années antérieures : peu d’ouvrages, arrivés à la dernière minute, et aucun travail en amont. Les discussions, en l’absence de livre, ont porté sur le rôle de l’écrivain, la difficulté d’écrire, les salaires gagnés… mais jamais sur leurs écrits, restés inconnus Conséquence, cette action s’inscrit dans un phénomène de starification de l’auteur. Ce dernier est présent, mais pas son œuvre, qui reste un objet mystérieux, mythique, inaccessible. Accepterait-on d’inviter un cinéaste à parler de son œuvre sans que les participants à la rencontre aient pu à l’avance voir un de ses films ?
Le manque d’affluence était en partie dû à l’absence d’action en amont du festival proprement dit (il en est de même dans les universités, avec des rencontres sans aucun livre) mais aussi à une communication déficiente puisqu’aucune affiche, aucune banderole n’était visible dans la ville.
L’une des vraies réussites de ce festival fut toutefois les rencontres organisées dans six villes de l’intérieur du Mali (Kayes, Kita, Koulikoro, Mopti, Ségou et Tombouctou). En partenariat avec l’A.F.L.A.M., l’association d’Appui à la Filière du Livre au Mali, qui travaille tout au long de l’année avec les bibliothèques de lecture publique, des auteurs maliens et  » étrangers  » ont pu pendant quelques jours aller à la rencontre des lecteurs maliens. Si là aussi, les livres étaient rares, la diversité des activités (débats, lectures,  » matinée poétique « ) et des publics a permis de populariser l’événement. Tout ceci fut possible grâce au soutien de structures existantes (bibliothèques, associations), travaillant sur le terrain et sur la durée. Une expérience à renouveler…
Pour l’avenir…
Le manque d’affluence, l’absence d’impact au niveau local de la manifestation (au bout de trois ans, aucune librairie ou maison d’édition n’a vu le jour au Mali grâce à  » Étonnants Voyageurs « ) ont été relevés par le ministre de la Culture. Dans son discours de clôture, celui-ci (qui fut omniprésent durant les quatre jours) a souhaité une implication plus importante des jeunes (les lecteurs potentiels, de demain) et désiré que des actions estampillées  » Etonnants Voyageurs  » prennent place dans le paysage culturel malien tout au long de l’année. A cet effet, il a chargé l’éditeur Ismaïla Samba Traoré (des éditions  » La Sahélienne « ) d’animer chaque mois un café littéraire, qui recevrait le label  » Étonnants Voyageurs « . Cette idée était dans l’air depuis longtemps mais la nomination de Cheik Oumar Sissoko au poste de ministre a amené ce dernier vers d’autres chantiers. Ces cafés seront enregistrés par la télévision nationale, et diffusés sur l’ensemble du territoire par le biais des radios libres. Ismaïla Samba Traoré est en train de consulter autour de lui afin de donner forme à l’idée et attend de connaître le budget dont il disposera (et ainsi voir si une équipe salariée permanente pourrait se constituer). Le premier café a lieu le 8 mars, à l’occasion de la journée mondiale de la femme, avec comme invitée, Aïda Mady Diallo.
Politiquement…
Afin d’assurer sa survie, il semble indispensable que les  » Etonnants Voyageurs  » dispose d’une ligne politique à long terme, un projet global que ce soit en matière de création (résidence d’écriture, pérennisation de l’équipe et des rencontres…) ou de soutien à l’édition africaine. Aucune activité n’a lieu durant l’année au Mali qui soit en rapport avec le festival. Ce dernier, en dépit de son envergure (surtout constatée l’an passé) et au regard de la faible affluence, ne semble pas avoir trouvé sa place au sein de la vie culturelle malienne. Il s’apparente davantage à une caisse de résonance pour des auteurs et des maisons d’édition qui ont besoin de vendre leurs livres… en France. Or cette caisse a de moins en moins d’impact : l’an passé, le festival de Bamako a servi de rampe de lancement à l’édition malouine, consacrée à l’Afrique ainsi qu’à d’autres manifestations (exposition sur les Dogons à l’abbaye de Daoulas, initiée par Michel le Bris et Moussa Konaté, avec ouvrage publié à la clef) ou éditions ( » Nouvelles voix d’Afrique « , recueil de nouvelles paru chez Hobeke). On a l’impression que le bébé a grandi trop vite, d’un seul coup, qu’il a poussé vers le haut en oubliant de fortifier ses appuis et qu’il rencontre sa première crise de croissance. Cette année, l’avenir semble aussi vide au Mali qu’en France (ce qui est nouveau…). Quid donc de l’avenir d’une manifestation qui intéresse moins les médias et aussi peu le public.. ? Le nombre d’invités était moindre que l’an passé et les débats ont ronronné : thématiques déjà ressassées, peu de nouvelles têtes et les habitués des précédentes éditions, dans leur immense majorité, n’avaient rien publié de nouveau au cours des douze derniers mois… Public et invités semblent déjà fatigués, un nouveau souffle serait possible si des projets à long terme étaient mis en place (avec pourquoi pas, à l’instar du Fespaco, devant le faible renouvellement éditorial, l’espacement de la manifestation tous les deux ans). Aucune ligne politique à l’horizon, et on peut se demander d’où viendront les initiatives à venir qui permettraient la mise en place d’un projet associant les acteurs du monde du livre africain en général, et malien en particulier, afin que cette manifestation devienne un rendez-vous original et incontournable. Faute de quoi, ce festival à plusieurs têtes (avec d’un côté Étonnants Voyageurs France, basé à Rennes, et de l’autre, Étonnants Voyageurs Afrique, basé à Bamako, qui emploie une équipe trois mois dans l’année et dont le directeur habite principalement à Limoges) risque de vite perdre son âme.

///Article N° : 2812

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Les images de l'article
L'entrée du Palais de la Culture de Bamako © O.B.





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