Fescary 2002 : comment caricaturer le sida ?

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 »Rencontre de traits et de styles contre le sida » : le thème a permis de nombreux échanges entre caricaturistes et dessinateurs africains, français et canadiens réunis par le 4ème Festival de la caricature de Yaoundé (Fescary) en avril 2002. Il a été décidé de mettre sur pieds une fédération des associations de caricaturistes africains.

Caravane devrait être le nom de cette association, dont les projets de statuts ont été soumis aux futurs membres, venus du Gabon, des deux Congo, du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, de l’Afrique du Sud et bien sûr du Cameroun. « Nous espérons ainsi qu’une action plus concertée aura plus de portée, dans la mesure où cette association est appelée à fonctionner comme un réseau qui véhicule l’information liée aux opportunités de formations en illustration graphique, de stages dans les rédactions satiriques, et d’exploitation du marché de la distribution », explique Nyemb Popoli, fondateur et rédacteur-en-chef de Popoli, le premier des deux satiriques camerounais, aujourd’hui tiré entre 8 000 et 10 000 exemplaires, deux fois par semaine. En clair, la principale mission de la future association sera de soutenir l’essor des journaux satiriques en Afrique, par la création d’un marché panafricain pour les titres nationaux. Un terrain qu’expérimente depuis septembre 2001, non sans difficultés, le mensuel Marabout. Edité au Burkina Faso par le Réseau africain pour la liberté d’informer (Rali), le journal est distribué dans neuf pays du continent. Présent au Fescary 2002, son directeur de la rédaction, le franco-burkinabé Damien Glez, a joyeusement participé à la création de Caravane et espère que l’association facilitera la distribution et la circulation du journal, de même qu’elle lui permettra de contacter plus aisément de nouveaux collaborateurs.
Comment parler du sida ?
La rencontre de Yaoundé a abondamment fait honneur au sexe, le thème du festival, relatif au sida, le lui autorisant. C’était visible sur les nombreux dessins croqués par les artistes, mais aussi en laissant traîner ses oreilles dans les différents recoins du siège de l’association Irondel qui a accueilli l’essentiel des manifestations de ce Fescary. Comment traiter l’information liée au Sida ? Jusqu’où les caricaturistes doivent-ils ou ne doivent-ils pas aller ? Le débat était des plus animés, les avis étant partagés sur la question.
Le Sud-africain Andy Mason, 47 ans, directeur de Artworks (dont l’une des branches, le Durban Cartoon project, a déjà publié une cinquantaine de BD – des commandes du gouvernement et d’ONG destinées à éduquer les masses sur la pandémie), a opposé la caricature et le dessin d’inspiration anglo-saxone et américaine, plus éducatifs, à une école franco-belge, plus satirique. Le dessinateur et auteur sud-africain s’est dit scandalisé et dans une certaine mesure choqué par la manière dont ses confrères d’Afrique francophone traitent le sida dans leurs travaux. « J’ai l’impression qu’il y a dans de nombreuses productions une adoration du pénis. Cette manière d’aborder le sida n’est pas bénéfique à la société parce qu’elle ne défie pas le status quo. Dans de nombreux dessins et caricatures que j’ai pu voir ici, le pénis symbolise la puissance et la virilité de l’homme, et cela n’aide pas du tout à changer les comportements de la société. Je pense que les artistes devraient prôner des valeurs telles que la fidélité et l’égalité entre les sexes… » Un point de vue que n’est pas loin de partager l’ivoirien Kouamé Abel (Kan Souffle), 24 ans, auteur, dessinateur et infographiste depuis trois ans au sein de Hebdo Gbich ! : « Nous faisons de manière générale une BD réaliste en ce sens qu’on se met toujours du côté du peuple, par exemple dans la dérision des hommes politiques. Dans le cadre du sida, nous devons aussi être des porte-parole des populations, en leur proposant des dessins didactiques. Mais je dois avouer qu’en dépit de la gravité de la chose, il y a trop de laisser-aller, comme un manque d’inspiration. Pour beaucoup de mes confrères, sida égale sexe, sexe, sexe… ».
Une argumentation vite battue en brèche par Willem, dont les dessins sont publiés par Libération et Charlie Hebdo en France. Pour le dessinateur français, on gagnerait à banaliser le condom par exemple : « Les trois méthodes de prévention du sida sont l’abstinence, la fidélité et le port du préservatif. Il n’y a que le condom qu’on peut dessiner. Comment dessiner en effet l’abstinence ? » s’interroge-t-il très sérieusement. Pour le Franco-Burkinabé Damien Glez, les caricaturistes africains n’ont pas tort d’ouvrir le débat par la provocation et l’humour. Le dessin d’un sexe d’homme a la Une d’une édition de « Marabout » lui a valu des lettres de menaces du Conseil supérieur de l’information, le CSI burkinabé, mais, affirme-t-il, « si les journaux satiriques ne font pas ça, ce n’est plus de la satire ». Paul Roux, auteur d’une dizaine de publications au Canada soutient l’esprit critique, à condition que les dessins et caricatures répondent aux canons techniques qu’il s’est attelé à enseigner à l’intérieur de l’atelier  »techniques du dessin ». « La plupart des dessinateurs sont autodidactes, et de nombreuses maladresses dans leurs création n’échappent pas au regard. J’ai eu l’impression qu’ils tournaient en rond, à force de faire les même choses. J’ai eu à leur apprendre à mieux regarder, à mieux observer, à mieux comprendre afin de mieux dessiner, de rendre leur travail plus puissant. Il s’agissait de raffiner les techniques« .
Caricaturistes et dessinateurs africains débordent d’enthousiasme et de créativité, mais de plus en plus, la presse devient un débouché étroit pour leur expression. Le marché de l’édition encore inexistant sur le continent gagnerait à se développer pour ces gribouillages tant affectionnés par les populations, souvent analphabètes, pour qui un dessin, bien souvent, raconte une longue histoire. Avec l’humour en prime.

///Article N° : 2301

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Les images de l'article
Les murs du Fescary : les artistes ont utilisé les murs du centre médical de Mvog-Ada, quartier populaire de la capitale, pour faire passer leurs messages sur le sida.





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