Il y a quelques jours, et en réponse au discours controversé prononcé par Nicolas Sarkozy, chef d’état français à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal), Le Messager et Africultures ont publié un texte d’Achille Mbembe, « L’Afrique de Nicolas Sarkozy » (n°6784 sur le site d’Africultures). Ce texte a été très largement diffusé en Afrique francophone et en Europe. Repris par plusieurs organes de presse et dans les médias alternatifs, il a suscité de vigoureux débats sur plusieurs sites internet. Il a également donné lieu à de nombreuses réactions et nouvelles interrogations qui obligent son auteur à préciser sa pensée – ce qu’il a aimablement accepté de faire dans la note qui suit. Entretemps, l’on apprend que le discours de Dakar fera bientôt l’objet d’une publication.
L’on veut savoir pourquoi, à mes yeux, le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar est inacceptable, voire à la limite du vraisemblable.
Il l’est pour quatre raisons.
Il y a d’abord la volonté, plusieurs fois suggérée par Nicolas Sarkozy lors de la récente campagne électorale, d’instrumentaliser l’histoire de France ou, en tout cas, de rallier les Français à une vision agressive du signifiant national.
Pour le néo-conservatisme français, la manipulation de l’histoire nationale passe par plusieurs voies dont la récupération de certaines figures emblématiques de la gauche (Jaurès, Blum, Moquet), le procès intenté à la culture et à la pensée dite de « Mai 68 », et pour ce qui nous concerne directement, la réhabilitation du colonialisme (qui va de pair avec la chasse aux « sans-papiers » dans l’Hexagone).
Indulgence pour les larrons
Le colonialisme est désormais présenté non comme le crime qu’il fut des guerres de conquête aux luttes pour l’indépendance et la décolonisation, mais comme une simple « faute » qu’il faudrait passer par pertes et profits : les massacres en échange des ponts et voies ferrées; la discrimination raciale institutionnelle contre les dispensaires; le code de l’indigénat contre les écoles; la conscription en vue des boucheries européennes de 14-18 et 39-45 en compensation de la mission civilisatrice en général.
Pis, la nouvelle légende veut que la colonisation ait été une entreprise bénévole et humanitaire. Prostrés dans la haine de soi et de la France, voire dans l’ingratitude, les ex-colonisés, nous dit-on, seraient malheureusement incapables d’en apprécier en dernière instance les bienfaits puisque, abandonnés à eux-mêmes, ils n’auraient jamais trouvé la voie du progrès et de la liberté.
À ce projet révisionniste s’ajoute, au nom du refus de la repentance, la disqualification de tout regard critique sur le système colonial et le déni de toute responsabilité quant aux atrocités de l’époque, comme si la conscience de soi était une chose, et la conscience de l’injustice ou du dommage causé à autrui une autre que l’on peut aisément séparer de notre conscience d’homme.
On l’a vu lors de la campagne électorale en France et, plus récemment encore à Dakar. Chaque fois, le procédé est le même. On commence par dénoncer et par stigmatiser ceux et celles qui « rougissent de l’histoire de la France » ou la « noircissent » – les « adeptes de la repentance ».
Puis, au nom de la fierté nationale, de l’amour pour la patrie, de la sincérité et de la bonne foi, on enchaîne par une exaltation en bonne et due forme des colons. On veut nous faire croire que d’aussi humbles serviteurs de la mission civilisatrice n’auraient gagné leur vie qu’en toute honnêteté. Colonisant en toute innocence, ils n’auraient jamais exploité personne. Au demeurant, ils n’avaient pour dessein que de « donner l’amour » à des peuplades asservies par des siècles d’obscurantisme et de superstitions. Injustice de l’histoire, ils n’ont, en fin de compte, récolté que la haine et le mépris de ceux au salut desquels ils sacrifièrent pourtant tout.
La colonisation a constitué une terrible épreuve pour les sociétés colonisées. Potentat s’il en était, elle avait une » part maudite » dont l’origine se trouve dans la terreur raciale et la corruption, comme l’avait bien analysé Alexis de Tocqueville. Mais il est vrai que son histoire ne saurait se résumer aux massacres. Elle fut aussi une prodigieuse machine productrice de désirs et de fantasmes. Par ailleurs, nombre d’Africains en furent les auxiliaires zélés. Sans leur travail, elle eut été vouée à l’échec. Bénéficiaires objectifs du système colonial, de ses disciplines et arrangements, un certain nombre de colons firent preuve d’humanité à l’égard des Africains qu’ils s’efforcèrent de protéger contre les abus et qu’ils traitèrent avec dignité. Au nom d’une commune humanité, d’autres encore allèrent jusqu’à épouser politiquement la cause des colonisés. Dans la plupart des pays où de telles expériences de fraternité eurent lieu, leur mémoire est restée vivante.
Mais pour Nicolas Sarkozy et les siens, les pertes subies par les colons français pèsent plus lourds à la bourse de la mémoire que les ravages et les destructions subis par ceux qui, au prix de mille privations, d’incessantes humiliations et, parfois, de leurs vies, mirent un terme à cette nuit de la souffrance humaine que fut la colonisation. Car, dans la théologie politique des néo-conservateurs français, l’indulgence pour les larrons doivent toujours l’emporter sur la pitié pour les crucifiés.
Amitiés perfides
La deuxième raison de ma stupéfaction est l’insolence, et surtout l’arrogance et la brutalité qu’autorise une telle volonté de méconnaissance. Pour noyer la vérité et jeter la poudre aux yeux de ceux qui sont distraits, l’on recourt au « raisonnement par les bons sentiments » dont Françoise Vergès (Abolir l’esclavage. Les ambiguïtés d’une politique humanitaire) a démontré, il n’y a pas longtemps, la perversité.
En effet, ce discours incohérent (la faute oui, la repentance non) est vermoulu, mais il a la nuque raide. Telle est, au demeurant, la marque déposée du nouveau conservatisme français. Il se trouve que chez Nicolas Sarkozy en particulier, ce conservatisme prend de plus en plus des allures truculentes, à la manière du trop bandant de nos satrapes tropicaux. Comment expliquer autrement son penchant pour la provocation, le maniement de l’invective sous les oripeaux de l’exhortation, le tout assaisonné de déclarations à l’emporte pièce dans lesquelles il dit tout et son contraire ?
Car, ce que le président Sarkozy cherche à camoufler derrière les formules convenues telles que la sincérité ou encore la vérité, c’est avant tout une insoutenable arrogance que l’on veut faire passer pour de la générosité et de la franchise. L’amitié dont il se réclame à tue-tête ne porte pas seulement au flanc la blessure d’une flèche perfide. Et le nouveau chef de l’État ne cherche pas seulement à manipuler l’histoire de France. Il veut aussi falsifier la nôtre et les significations humaines dont cette dernière est porteuse. Ce faisant, et par on ne sait quel pouvoir, il s’autorise de parler de l’Afrique et des Africains à la manière du maître qui a pris la mauvaise habitude de maltraiter son esclave et d’avilir sa chose, et qui ne parvient pas à se déprendre d’attitudes héritées d’un sinistre passé dont nous ne voulons plus.
Colo-nostalgie
L’on prétend s’adresser à l’élite africaine. En réalité, l’on ne cesse de faire des clins d’il à la frange la plus obscurantiste de l’électorat français – l’extrême-droite, les colo-nostalgiques, tous ceux-là qui, rongés par la mélancolie postcoloniale, pensent que quatre ou cinq millions d’immigrés et de citoyens français d’origine noire et arabe dans un pays de plus de cinquante cinq millions d’âmes menacent l’identité française.
Plus grave encore, ce n’est pas comme si le président Sarkozy était dans l’attente d’une réponse de notre part. Car il y a plus de vingt ans déjà que Jean-Marc Éla (L’Afrique des villages) a écrit le plus beau livre sur l’inventivité des paysans africains. Auparavant, Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga, Joseph Ki-Zerbo, Abdoulaye Bathily, Bethuel Ogot, Ade Ajayi, Adu Boahen, Joseph Inikori, Toyin Falola, Kwame Arhin et des dizaines d’autres avaient mis en place les fondations d’une historiographie africaine solide et documentée. Celle-ci établit, entre autres comment, de tous temps, l’Afrique a fait partie du monde, y a joué activement son rôle et a contribué ce faisant au développement des techniques, du commerce et de la vie de l’esprit.
Aux yeux de notre nouvel ami, tout cela ne compte guère. Et pour cause. Il ne s’adresse pas à nous comme dans un rapport de face-à-face où nous compterions comme interlocuteurs. En fait, il ne regarde ni ne voit notre visage. Chez lui, « l’homme noir » est un être abstrait, doté d’une « âme » certes, mais sans visage, puisque plongé dans les ténèbres de l’innommé. Quand il prétend dialoguer avec nous, ce n’est pas dans le cadre d’un rapport moral d’égalité et, par conséquent, de justice. C’est dans le registre de la volonté de puissance – un je-ne-sais-quoi de narcissique et d’autant plus triomphaliste qu’il est marqué du sceau de l’ignorance volontaire et assumée.
L’insolence de l’ignorance
La troisième raison de mon incrédulité est la vision éculée que le nouveau chef d’état français a choisie, désormais, de véhiculer de l’Afrique et des Africains. Comme je l’indiquais dans un texte précédent, cette vision se situe en droite ligne de la dogmatique raciste du XIXe siècle.
Le président puise à pleines mains dans cette fange, sans la moindre distance ni ironie. Il répète des pages entières des élucubrations de Hegel, Lévy-Bruhl, Leo Frobenius, Placide Tempels et autres inventeurs de « l’âme africaine », construisant au passage sa « vérité » avec les copeaux de l’ethnophilosophie d’hier, comme d’autres avant lui s’investissaient dans l’ethnozoologie, dans l’espoir de mettre à nu « l’essence foncièrement animale du nègre ».
Mais sait-il seulement que l’étroitesse d’esprit caractéristique du racisme colonial – ce terrorisme avant la lettre – a fait l’objet d’une critique soutenue par les intellectuels africains eux-mêmes depuis la deuxième moitié du XIXe siècle ? Sait-il seulement que respecter l’ami, c’est aussi se référer honnêtement à ses opinions ?
Or, il existe bien une longue tradition de critique interne des sociétés et des cultures africaines qui aurait pu aider notre théoricien à développer un argument un tant soit peu vraisemblable. Encore aurait-il fallu qu’il commence par enlever la poutre logée dans ses yeux avant de se préoccuper de celle qui encombre l’oeil du voisin.
De ce point de vue, des roitelets nègres ont en effet pris part à la Traite des esclaves, comme aujourd’hui le cartel des satrapes – dont la plupart bénéficient du soutien actif de la France – qui participent à la destruction de leurs propres peuples.
Mais que dire donc de la collaboration française sous l’occupation nazie ? Que dire du régime de Vichy dont la chute eût été impossible sans la contribution décisive des gens d’origine africaine (comme le montre l’historien Siba Grovogui, Beyond Eurocentrism and Anarchy. Memories of International Order and Institutions), mais dont on copie et reproduit aujourd’hui les méthodes de classification et de discrimination des personnes par le biais du ministère de l’identité et de l’immigration ?
Comment se fait-il que celui qui, en France, promeut un type de relation entre l’identitaire et l’État si proche de l’idéologie de Vichy et qui ne résiste pas à la tentation de mobiliser la xénophobie anti-arabe et africaine contre les « immigrés » et les jeunes des banlieues soit le même qui vienne nous administrer des leçons d’universalisme dans l’enceinte d’une université dédiée à un savant qui aura passé toute sa vie à défendre la cause des Africains ?
Pour être logique avec soi-même, pourquoi ne va-t-on pas dire aux Israéliens que, quant au fond, les soutiers du nazisme n’étaient, comme nos colons d’hier, que de pauvres innocents, des gens honnêtes qui ne voulaient que le bien des Juifs ? Pourquoi ne va-t-on pas dire à Nelson Mandela que, quant au fond, les tortionnaires et bénéficiaires du dernier État raciste au monde – l’État d’apartheid en Afrique du Sud – ne voulaient que son bien ?
On le voit bien, ce petit jeu du révisionnisme est moralement répugnant. Et Césaire l’avait bien compris, qui dans son Discours sur le colonialisme, dénonçait déjà, en 1952, « les voluptés sadiques, les innommables jouissances qui vous friselisent la carcasse de Loti quand il tient au bout de sa lorgnette d’officier un bon massacre d’Annamites ».
Une tradition critique
Dans la pensée africaine de langue française, Frantz Fanon (Peau noire, masque blanc) est sans doute celui qui a fait la déconstruction la plus convaincante de la sottise raciste tout en proposant les linéaments d’une humanité fraternelle.
De W.E.B. Dubois à C.L.R. James en passant par Martin Luther King et Nelson Mandela, de Stuart Hall à Paul Gilroy, Fabien Éboussi Boulaga et tous les autres, le meilleur de la pensée noire a toujours été rendu sous la forme du rêve d’un nouvel humanisme, d’une renaissance du monde par-delà la race, d’une polis universelle où est reconnu à tous le droit d’hériter du monde dans son ensemble. L’Afrique dont ils se réclament – ce mot et ce nom – est une multiplicité vivante qui, à l’instar du mot « Juif », est lié, dès les origines, au futur de l’universel.
Au cur de cette pensée, les questions de mémoire sont d’abord des questions de responsabilité devant soi et devant un héritage. Dans cette pensée, on ne devient vraiment « homme » que dans la mesure où l’on est capable de répondre de ce dont on n’est pas l’auteur direct, de celui ou de celle avec qui on n’a, apparemment, rien en partage – l’assignation à la responsabilité. C’est à cause de cette assignation principielle à la responsabilité que notre tradition critique s’oppose fondamentalement à l’antihumanisme et la politique du nihilisme qui caractérise le néo-conservatisme à la française.
Nicolas Sarkozy se prévaut de Senghor pour accréditer des thèses irrecevables parce qu’historiquement fausses et moralement corrompues, marquées comme elles le sont par le pesant d’antihumanisme qui, toujours, loge au fond de toute idéologie raciste.
D’abord, il fait semblant d’oublier qu’au moment où Césaire, Senghor et les autres lancent le mouvement de la négritude, l’humanité des Noirs est contestée. Les Noirs, à l’époque, ne constituent pas seulement une race opprimée. Comme les Juifs, il n’y a, alors, pratiquement pas un seul endroit au monde où ils jouissent de paix, de repos et de dignité. La lutte, à l’époque, est littéralement une lutte pour l’affirmation du droit à l’existence.
Cette dimension insurrectionnelle de la critique culturelle, on ne la retrouve pas seulement chez les penseurs africains. Elle est également présente chez les penseurs afro-américains et de la diaspora, descendants d’esclaves et survivants des temps de la captivité dans les plantations du Nouveau Monde. La gommer aujourd’hui pour ne retenir que la poétique du royaume de l’enfance, du merveilleux et des forêts qui chantent relève de la falsification.
D’autre part, il est vrai que quand on se bat pour affirmer son droit d’exister, on a tendance à recourir à des figures de style fixes et binaires, à des raccourcis peut-être mobilisateurs, mais sans doute un peu courts sur la longue durée.
Senghor en particulier ne s’en priva guère qui, s’inscrivant dans la continuité des vocabulaires les plus racistes de son époque, déclara que l’émotion est nègre comme la raison est hellène. Encore ouvre-t-il la voie à un dépassement de la race et à la possibilité d’une réconciliation des mondes, comme on peut le lire dans ses Chants d’ombre.
Sarkozy oublie par ailleurs qu’aux yeux de nombreux intellectuels africains, le même Senghor est demeuré une figure polémique. Poète chanté et reconnu, l’essentiel de sa réflexion philosophique a été largement réfuté. Comme l’a bien montré la génération de Marcien Towa (Léopold Sédar Senghor : négritude ou servitude ?) et de Stanislas Adotevi (Négritude et négrologues), ce dernier ne concevait pas seulement la culture comme quelque chose de biologique et d’inné. Pour bien des penseurs africains anglophones, Senghor se contenta, tout au long de sa carrière, de faire la politique de la France en Afrique. Ils estiment, à tort ou à raison, qu’au panthéon des héros africains, c’est ce qui le distingue de Kwame Nkrumah (Africa Must Unite), Amilcar Cabral (Unity and Struggle), Cheikh Anta Diop (Nations nègres et culture) ou encore Nelson Mandela (Long Walk to Freedom).
Plus près de nous, la pensée contemporaine d’origine africaine n’a cessé de démontrer que s’il existe bel et bien une existence locale, des catégories vides de sens telles que « l’âme africaine » ne sauraient en rendre compte.
Paul Gilroy (The Black Atlantic), Édouard Glissant (Poétique de la relation), Maryse Condé, Françoise Vergès, Raphael Confiant et bien d’autres ont largement fait valoir qu’il n’y a pas d’identité fixe. Pour l’ensemble du nouveau roman africain de langue française, d’Alain Mabanckou à Kossi Efoui en passant par Abdourahman Waberi, Ken Bugul, Véronique Tadjo, Samy Tchak, Patrice Nganang et les autres, les identités ne peuvent être que des identités de relation et non de racines. Le cinéma africain, de Sembène Ousmane à Basseck ba Kobhio, tout comme la musique africaine n’ont cessé de montrer que l’identité fixe est source de mort culturelle ; ou encore que le présent et le futur seront nécessairement hybrides. Dans le domaine des arts et de l’esthétique, la problématique de la différence est battue en brèche, comme en témoigne la récente Exposition internationale « Africa Remix » de Simon Njami (voir Africa Remix. Contemporary Art of a Continent).
D’autre part, l’ethnophilosophie, dans laquelle puise abondamment Nicolas Sarkozy, a fait l’objet d’une vigoureuse critique. Paulin Hountondji (Sur la philosophie africaine), Valentin Mudimbe (The Invention of Africa) et Fabien Éboussi Boulaga (La crise du Muntu) en particulier n’ont cessé de dénoncer la sorte d’identitarisme qui ne s’obtient qu’en érigeant en trait exclusif les multiples appartenances dont nous sommes les héritiers.
A la suite du philosophe ghanéen Anthony Appiah (In My Father’s House), j’ai moi-même sévèrement critiqué l’idéologie victimaire (De la postcolonie) tout en proposant le concept d' »afropolitanisme » comme antidote à la négritude et au nativisme.
Au demeurant, qui ignore encore aujourd’hui que le recours à des poncifs tels que « l’âme noire » ou l' »authenticité africaine » fait, avant tout, partie des tactiques dont se servent les régimes corrompus et leurs élites politiques et intellectuelles pour se prévaloir de la « différence culturelle » dans l’espoir de légitimer leur brutalité et leur vénalité ? N’est-il pas vrai, par ailleurs, qu’à cet esprit de la vénalité « coopèrent » sans vergogne et depuis la décolonisation bien des réseaux français qui, pour l’occasion, ne s’embarrassent guère de la couleur de la peau ?
Pour le reste, beaucoup d’entre nous, de Frantz Fanon à Françoise Vergès (La république coloniale), avons toujours dit que la repentance et la réparation produisent des victimes. La vulgate de la repentance perpétue l’image de l’autre comme corps non parlant, comme corps sans énergie ni vie. Et cela, ce n’est pas nous. Car nous ne sommes pas seulement des victimes de notre propre drame. Nous en sommes également des acteurs et des témoins.
Pouvoir de nuisance
Plus que jamais, les relations entre la France et l’Afrique seront des liens consciemment voulus et non plus imposés. À leur fondement se trouveront des valeurs morales et éthiques, ou alors ce ne seront pas des liens du tout – un simple pouvoir de nuisance.
Si la France persiste dans son autisme, c’est-à-dire son refus de comprendre le monde et d’avoir du génie dans son rapport avec l’Afrique, alors elle sera perçue comme un facteur de nuisance au regard du projet africain d’émancipation.
Pour l’heure, l’agenda néo-conservateur français pour l’Afrique tel qu’énoncé par Nicolas Sarkozy à Dakar n’est pas une invitation à bâtir une Afrique libre et démocratique. Parce qu’il se contente de reproduire les sottises qui divisent, cet agenda n’est pas une invitation à faire ensemble l’expérience de la liberté, encore moins un monde commun.
Voilà pourquoi il faut s’y opposer dès maintenant, sans crainte, mais avec courage, intelligence et fermeté. Parce que si on laisse faire, le prix économique, militaire et humain à payer en contre-partie de cette sorte de représentation de notre histoire sera, mine de rien, très élevé.
@ Le Messager et Africultures, août 2007///Article N° : 6819