« Il est illogique d’envoyer de grands reporters en Afrique alors qu’il y a des photographes sur place ! »

Entretien d'Héric Libong avec Louis Mesplé

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Depuis le 13 octobre, Lille abrite l’exposition « Villes, capitales d’Afrique ». Pour la mettre sur pied, l’ancien directeur artistique des Rencontres d’Arles et de Bamako, Louis Mesplé, a commandé à neuf photographes originaires de neuf pays d’Afrique (Mali, Madagascar, Nigeria, Côte d’ivoire, Sénégal, Mozambique, Angola, Afrique du Sud, Kenya) le portrait de leur capitale. Cette commande « à l’ancienne », qui a l’honnêteté de se définir comme telle, s’inscrit dans le cadre du programme « l’Afrique en Créations » qui, sous le couvert de l’AFAA, propose durant ce dernier trimestre 2000 toute une série de manifestations culturelles disséminées dans le Nord-Pas de Calais. Quinze jours avant l’inauguration, son initiateur expliquait les tenants et les aboutissants de cet « état des lieux ».

Pourquoi « Villes d’Afrique » comme thème de commande ?
D’abord, je pense que c’est un thème fédérateur et large. En Afrique, la ville est de plus en plus un lieu principal. Et l’on y retrouve beaucoup de sujets. Cela va de l’urbanisme au quotidien des gens. Non seulement on y trouve toutes les strates sociologiques mais aussi toutes les contradictions entre le passé et l’avenir dans un présent assez complexe. Et puis, qu’avons-nous comme images des villes africaines ? Certes, on va en trouver dans les agences mais ce sont les photographies de photographes occidentaux. Jamais il n’y a eu un travail de photographes africains sur les villes africaines. Cette commande a donc plusieurs fonctions : elle peut permettre à un public français de connaître les villes africaines autrement qu’à travers des cartes postales et pour les photographes, c’est une rencontre intéressante avec certainement des échanges. Des styles différents confrontés à des cités différentes.
Qu’est ce qui vous a le plus marqué dans les productions ?
Déjà, a priori, il y a le fait que 80 à 90% soient réussies. Il y a beaucoup de couleurs alors que je m’attendais à ce que les photographes utilisent plus le noir et blanc. Et puis, ils se sont surtout penchés sur la vie quotidienne des gens, dans les rues. Sur ce domaine là, on verra beaucoup de similitudes. Je trouve aussi qu’ils ont beaucoup insisté sur les contraires, le contraste entre la ville riche et les quartiers pauvres à la dérive
Le fait que cela soit une commande n’a t-il pas restreint l’œil du photographe ?
On est parti du principe de la commande qui est un principe ancien. Les institutions ont toujours passé des commandes. Comme sur l’Opéra de Paris, par exemple. C’est un travail sur le lieu et sur la mémoire. Il s’agit de mobiliser les photographes pour faire un état des lieux pour le présent et pour l’Histoire. Comme un photographe américain a pu le faire sur la crise de 1929. Là, le principe est inédit parce que jamais les photographes africains n’ont travaillé comme ça. Même si, dans le fond, une commande a toujours un volet assez contraignant, il y avait là une grande liberté. On est dans le cadre de la commande institutionnelle, celle qui impose un cahier des charges mais qui laisse aussi beaucoup de chemins de liberté. Et selon les sensibilités des photographes, certains se sont un peu plus axés sur de la documentation et d’autres ont développé quelque chose de plus personnel. Par contre, je regrette que le projet ait démarré un peu en retard. J’aurais voulu que l’on travaille un an, mais nous n’avons eu qu’entre trois et six mois. Car la commande c’est aussi le fait de travailler sur un thème pendant longtemps.
Peut-on parler d’un regard qui serait propre aux photographes africains ?
Je pense que cela ne veut rien dire. Ce sont des photographes qui sont Africains et qui ont photographié leur ville. Pour moi, la photographie africaine, c’est de la photographie historique, à la limite celle de studio. Maintenant, ces jeunes auteurs photographient avec leur personnalité propre. Certains, par leur façon de voir, ressemblent à des photographes français ou européens. On ne peut pas parler aujourd’hui de photographie africaine, tout comme de photographie européenne ou de photographie américaine. Ce sont surtout les lieux, les choses photographiées qui font que c’est de la photographie africaine, européenne ou américaine. Quant aux styles, ce sont des styles très personnels mais qu’on pourrait retrouver ici. Simplement, ils se sont penchés sur leur ville et ils ont regardé un peu plus leur environnement mieux que ne l’aurait fait un photographe français ou anglais. C’est une question de temps et d’immersion dans le milieu.
Avec les bouleversements qu’est en train de connaître la politique culturelle de la France envers l’Afrique, quelles vont être les priorités concernant la photographie ?
Cela je ne le sais pas. J’ai monté cette opération parce qu’à la suite des Rencontres de Bamako, j’ai pensé qu’il fallait renforcer l’existant – c’est-àdire permettre à des photographes africains de travailler dans des conditions normales : avoir des pellicules, de l’argent, faire développer des photos par des labos professionnels et avoir des tirages d’exposition également de qualité. Je cherche à souligner une profession qui existe et qui doit être davantage remarquée. Montrer que ces photographes ont du talent comme les autres et qu’ils veulent continuer à travailler. Et qu’il est illogique d’envoyer de grands reporters en Afrique alors qu’il y a des photographes sur place. Par exemple, deux photographes de l’AFP vont exposer dont un, Issouf Sanogo, est basé à Abidjan. Il y a quelques années, ce n’était pas le cas. Au-delà de ce qu’il fait sur les événements récents et à venir, il peut être remarqué par d’autres supports. Et je pense que cela ne pourra que le stabiliser dans son statut. Car c’est surtout ce dont les photographes ont besoin. Leur presse ne prend pas leurs photos et ils manquent de débouchés. Alors que la photographie est une industrie avec une logistique qui coûte cher. C’est pourquoi, je considère que cette commande est aussi une production. Et puis souvent, en Afrique, les photographes ne font pas que de la photographie. Au Mali par exemple, certains travaillent au musée comme fonctionnaires, ils ont deux ou trois petits boulots.
Est-il prévu de montrer cette exposition en Afrique ?
Je le souhaite mais ce n’est pas à moi d’en décider. Il est évident que si cette exposition est réussie, elle sera montrée en Afrique, d’abord aux Rencontres de Bamako. Ensuite elle pourrait faire plusieurs pays même si elle est lourde car il y a deux cents photos dont de grands formats. J’aimerais que ce soit le début d’un plus vaste programme. Là, il n’y a que neuf photographes mais continuer dans cet esprit de « commande libre » serait intéressant. D’autre part, je tourne cette expo vers les médias papier d’Europe. Je souhaite qu’elle donne des idées à des éditeurs, à des responsables de service photo, à des personnes de musée. Je pense que ça peut être le point de départ d’une « nouvelle histoire » pour les photographes africains.
Qui pourrait permettre à l’Afrique d’avoir enfin l’autonomie de son image ?
Oui, ça c’est important car pour l’instant, on a encore une vision quelque peu folklorique de l’Afrique. Mais il y a beaucoup de bons photographes occidentaux qui ont fait d’excellents travaux sur ce continent comme ils le feraient aux Etats-Unis ou ailleurs. C’est vrai qu’il y a un contentieux à ce niveau là, que les Africains doivent s’approprier leur image, mais en même temps, elle appartient à tout le monde !

///Article N° : 1608


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