« La Dette », téléfilm de Fabrice Cazeneuve

Avec André Dussolier et Damien Dorsaz

Print Friendly, PDF & Email

Erik Orsenna, célèbre écrivain dont « L’exposition coloniale » avait obtenu le Goncourt et qui signe le scénario de « La Dette », connaît bien les sphères étatiques : le préfet interprété par Dussolier est un portrait amer du haut-fonctionnaire désabusé et ce téléfilm tourne beaucoup autour de ce personnage. Il était bien sûr intéressant de l’opposer à celui de Marc, jeune stagiaire de l’ENA qui croit dur comme fer qu’il représente déjà la République. Car c’est bien elle le personnage principal et c’est elle que vient voir le vieil Africain majestueusement interprété par James Campbell : s’il vient du Sénégal dans ce trou de l’Aisne proche du Chemin des Dames, c’est qu’il veut commémorer au nom de ses camarades (qui se sont probablement cotisés pour lui payer le voyage) les tirailleurs « sénégalais » (en fait aussi Maliens, Voltaïques etc) tombés durant l’offensive de 1917. Mais cela ferait désordre dans la mémoire des morts : la mémoire des tirailleurs demanderait trop de révélations pour devenir officielle. Il faut donc écarter l’Africain d’une célébration où seront présents des ministres français et allemand. Et voilà notre jeune stagiaire devant le premier débat moral de sa débutante carrière.
Arte poursuit ainsi avec bonheur la production de téléfilms interrogeant l’Histoire de la République, et se place ainsi à la pointe de la réflexion actuelle. Après « l’Algérie des Chimères », brillant téléfilm sur la colonisation, Arte fait appel à un écrivain dont on connaît la qualité de la fibre africaine (et qui vient de s’émouvoir sans y aller avec le dos de la cuillère dans les colonnes du Monde du peu de cas fait au gouvernement français des funérailles de Senghor). « La Dette » non plus n’y va pas par quatre chemins : sont évoqués pêle-mêle l’envoi des Africains aux devants comme chair à canon, leur bombardement par erreur quand ils allaient plus vite que prévu, leur disparition des registres, et surtout le scandale de la cristallisation des pensions au moment des indépendances africaines, c’est-à-dire leur maintien au même chiffre, vite devenu ridicule avec l’inflation.
On sait l’actualité de la chose : le Conseil d’Etat vient d’exiger l’alignement de la pension des anciens combattants « sénégalais » sur celle des Français, ce qui va en coûter 1,83 milliard d’euros au gouvernement français (il cherche à tourner le problème en fixant les pensions en fonction du niveau de vie des pays de résidence du soldat retraité).
Mais la force d’Orsenna est de ne pas en faire une histoire de gros sous : alors que les fonctionnaires sont persuadés que le vieil Africain est là pour réclamer de l’argent et qu’ils pensent pouvoir l’acheter avec quelques billets, celui-ci n’en prononce jamais le mot. Sa démarche n’est qu’affaire de dignité et c’est bien le mot que met Orsenna dans la tête du jeune stagiaire qui le tourne dans tous les sens au point de demander à la serveuse du bar ce que ça représente pour elle (elle lui répondra que c’est quand on ne lui regarde pas que les seins mais qu’on fait quand même attention au reste : belle analogie avec l’image dévoyée du corps africain).
Ce scénario tout en finesse fait ainsi passer beaucoup de messages simples et c’est sa grande qualité. Construit comme un suspense (arriveront-ils à empêcher l’Africain de participer à la commémoration ?), il ménage si bien ses effets qu’on ne voit pas le temps passer. A voir pour la mémoire, à voir pour la subtilité.

///Article N° : 2445

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Un commentaire

Laisser un commentaire