La mission au Kongo, des pères Michelangelo Guattini & Dionigi Carli (1668), éd Chandeigne

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Lorsqu’en janvier 1668 les pères capucins Guattini et Carli débarquent dans le port de Luanda (capitale de l’Angola fondée par les portugais), voici déjà plus d’un siècle que le Kongo est un royaume chrétien. La conversion au christianisme (1491) de Nzinga a Nkuwu – baptisé sous le nom de Joao Ier – a permis à l’Eglise et au Portugal de s’établir durablement dans les vastes contrées placées sous l’autorité ou l’influence de ce souverain congolais. La mission au Kongo, un ouvrage composé à partir des écrits (lettres et récit) de Guattini et de Carli, constitue un document historique précieux tant sur l’évangélisation et l’histoire de l’Afrique équatoriale que sur la traite négrière et la colonisation du Brésil.

Dès 1597, le royaume du Kongo possède son propre siège épiscopal, Sao Salvador, et exige même, au grand damne de Lisbonne, que des kongolais soient nommés prêtres. Il s’agit là d’une exigence politique car ce qui est en jeu c’est le contrôle de l’Eglise kongolaise ; un pouvoir « spirituel » que le Portugal et le Kongo se disputent âprement. Un compromis sera finalement trouvé au Vatican : les prêtres nommés dans cette région d’Afrique ne seront ni des portugais ni des kongolais, mais des missionnaires italiens de l’ordre des Capucins. Voilà donc posées les prémices de La mission au Kongo des capucins Guattini et Carli.
Le circuit du commerce triangulaire
Avant de se rendre au Kongo, Guattini et Carli feront un détour par le Brésil, de sorte que leur « mission » prendra la forme d’une véritable odyssée ponctuée d’épreuves multiples et diverses : navigations sans fin, tempêtes, fièvres et maladies, embuscades, bêtes féroces, bataille navale ; un voyage sans retour pour Guattini, mort peu de temps après son arrivée en Afrique. A travers le périple de ces deux pères, c’est l’ensemble du circuit du commerce triangulaire qui s’esquisse : le flux de « pièces d’Inde » (esclaves nègres), de marchandises européennes (tissus, armes, pacotille) et de matières premières américaines qui transitait de part et d’autre de l’Atlantique.
Au-delà de la description de la vie quotidienne au Brésil et au Kongo (vêtements, alimentation, coutumes, faune et flore, villes, etc.), les écrits des capucins fournissent des indications précieuses sur la perception occidentale du « Nègre » et de l' »Indien », d’autant plus précieuses que les pères croyaient sincèrement en leur mission évangélisatrice et civilisatrice.
Dès les premiers contacts avec les portugais, un mouvement d’occidentalisation s’enclenche au Kongo qui se traduit non seulement par l’évangélisation de la région mais aussi par l’adoption d’un ordre de chevalerie et de bien d’autres éléments culturels européens. A cela s’ajoute bien sûr la participation active du royaume du Kongo à la traite négrière…
Dans le discours des pères, la sauvagerie des « Maures » (terme qui s’applique dans l’italien de l’époque aussi bien aux Africains qu’aux Amérindiens) et les traits moraux et physiques qui la manifestent (paresse, luxure, pestilence, nudité, etc.) justifient, implicitement, la colonisation et l’esclavage de ces derniers. Le sauvage apparaît toujours comme une créature hybride, mi-humaine mi-animale ; un être que l’on doit soumettre, corriger, dresser pour qu’il accède enfin à sa propre humanité (1).
Le discours de Guattini et Carli est révélateur d’une époque, l’âge classique (17ème siècle), où l’infériorité de l' »Autre » (le sauvage, le barbare, l’indigène, etc.) et sa nécessaire soumission sont devenus une évidence, même pour des hommes d’Eglise. L’institutionnalisation de l’esclavage (à travers notamment les « codes noirs ») et la constitution progressive des empires coloniaux (ibériques, français, anglais et hollandais) y sont certainement pour quelque chose…
Il faut saluer l’excellent travail de la maison d’édition Chandeigne qui, outre les écrits des capucins, met à notre disposition un appareil critique ethno-historique conséquent et un cahier couleurs : les reproductions d’un carnet de 18 croquis d’un missionnaire italien au Kongo (18ème siècle).
Extraits choisis :
Fainéantise et bêtise du Nègre
« Voir ces esclaves éthiopiens [africains]haleter et suer pour accomplir une telle tâche tient du miracle, car on connaît leur nature extrêmement lâche et paresseuse; on les voit là affairés et habiles, surtout quand ils glissent très attentivement ces petits bouts de canne sous la presse en prenant garde de ne pas laisser la le bras ou la main sous cette grande masse de fer. On rend cependant les paresseux et les fainéants au travail vifs et vaillants avec de tels coups de fouet qu’on en prend compassion; ce remède est pourtant miraculeux contre leur fainéantise, car ce sont de gens qui en leur pays sont oisifs de façon innée (…). » P. 62
« (…) (mon singe) réussissait à merveille (…) pour me tenir la barbe et la tête nettes bien mieux que n’aurait fait l’un de ces Maures : il serait moins fatigant d’apprendre quoi que ce soit à deux petits singes qu’à deux Maures, car ceux-ci ne savent rien faire de bon et ceux-là font toutes sortes de choses. » P. 136
Animalité et cannibalisme de l’Indien
« Les Tapuios, étant plus proches des bêtes que des hommes, vont tout à fait nus (…) ; ils vivent de chasse sauvage et domestique, je veux dire de fauves et d’hommes. Quand l’un d’entre eux tombe malade les autres lui assignent un temps déterminé pour guérir, après quoi, (…), avec une charité léonine ils le tuent et le mangent, comme ils le font pour tous les morts (…) » p. 71
« Les Maures originaires du Brésil (…) n’ont pas jusqu’à présent pu être dominés par les Portugais, car ce sont des gens extrêmement barbares et féroces. » P. 56
« Mauvaise odeur »
« Un jour que le grand-duc était venu, je lui racontai le tourment causé par les souris et par la pestilence que dégageaient les Maures dans ma chambrette, car ils puaient le fauve. Ce seigneur me dit qu’il me donnerait un bon remède pour pallier ces inconvénients, à savoir un petit singe qui me délivrerait des souris en soufflant dessus quand il les verrait et qui tempérerait la mauvaise odeur par celle de sa peau qui sentait le musc. (…) Il m’envoya ce singe apprivoisé, je l’installai au pied de mon lit et il s’acquittait fort bien de sa tâche, car lorsque les souris venaient à leur ordinaire, il soufflait deux ou trois fois très fort et les faisait fuir ; de même l’odeur de musc était telle qu’elle suffisait à remédier à la puanteur des Maures. » P. 136
L’occidentalisation du Kongo
Description de Sa Majesté Alvaro VIII, roi du Kongo : « (…) un jeune Maure de 20 ans environ, tout vêtu de son manteau d’écarlate à bouton d’or : devant lui se tenaient vingt-quatre jeunes garçons, maures également, tous fils de duc et de marquis, chacun d’eux portant devant la ceinture un tissu de feuilles de palme teint en noir et un manteau de drap d’Europe turquin (…) ». P. 120
La traversée de l’Atlantique
La mission au Kongo comprend aussi une des rares descriptions, du 17ème siècle, du quotidien d’un bateau négrier : « Il y avait 630 esclaves, hommes, femmes et enfants. C’était un spectacle de voir la façon dont ces pauvres, pauvres gens étaient installés : les hommes étaient au fond, enfermés, car étant esclaves ils pouvaient se soulevés et tuer tous les Blancs ; les femmes dans le deuxième pont et celles qui étaient enceintes dans la chambre de poupe ; les enfants dans le premier pont et serrés comme des poissons dans un baril. S’ils voulaient dormir, ils s’appuyaient l’un sur l’autre ; pour leurs besoins corporels, on avait bien accommodé quelques endroits vers l’extérieur, mais beaucoup d’entre eux pour ne pas perdre leur place les faisaient là où ils se trouvaient, surtout les hommes qui étaient entassés, de telle façon que la chaleur et la puanteur étaient intolérables. » P. 153

(1) : Cf. Le planteur et le sauvage : africultures.com/index.asp?menu=affiche_article&no=3919La mission au Kongo, des pères Michelangelo Guattini & Dionigi Carli (1668),Ed. Chandeigne, coll. Magellane, trad. A. du Cheyron d’Abzac, Paris, mai 2006. Relié, 304 p., 29 €.///Article N° : 4436

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Les images de l'article
Croquis d'un père italien en mission au Kongo, 18° siècle, Bibliothèque de Turin.
Croquis d'un père italien en mission au Kongo, 18° siècle, Bibliothèque de Turin.





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