La perversion de l’exil

Au festival de la création et des arts contemporains africains

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L’exil, muse ou démon ? Tel est le thème de l’un des débats qui se sont tenus à l’occasion du Festival du cinéma, de la création et des arts contemporains africains, organisé du 18 au 20 juin derniers dans les locaux de l’Entrepôt, lieu culturel parisien.

Trois jours qui se sont déroulés dans une atmosphère bon enfant sous l’égide de l’association Mémoire & Co. L’exil, qu’il soit la décision mûrement réfléchie de fuir une dictature ou le rêve des Africains-Américains d’un  » retour  » vers la mère Afrique, renvoie à une réalité plurielle et, de fait, difficilement palpable. Dans tous les cas, l’exil s’accompagne d’un flot de douleurs avec  » le doute, l’espérance, l’éloignement « , d’après l’expression de Elimane Kane, poète sénégalais. L’exil, cet entre-deux permanent, chargé d’émotions, d’interrogations et que les intervenants ont mis en perspective avec la création artistique. Certes,  » il n’a pas fallu d’apartheid à Ronsard  » pour produire ses ouvres, comme l’a souligné l’auteur Kouamé N’Goran.
Mais l’exil marque profondément ceux qui se jettent dans cette quête d’un ailleurs, proche ou lointain, et influence les productions artistiques. Aux yeux de la réalisatrice Nadia el Fani, originaire de Tunisie, il induit  » une responsabilité par rapport à nos peuples  » pour l’artiste, forcément engagé, qui  » vient de ces pays-là « . Elle redoute, en outre,  » la perversion de l’exil  » :  » Jusqu’à présent, je n’ai pas fait de plan descriptif. Mais, quand je vais revoir la Méditerranée après une longue absence, je vais avoir envie de filmer le bleu de la mer. Et les odeurs de poubelles de ma rue, je les détestais. Maintenant, je vais les adorer. Tout comme les odeurs de jasmin auxquelles je ne prêtais pas attention.  » Et de conclure :  » J’ai choisi de partir pour que mon combat soit plus efficace, pour rester libre. Mais je me retrouve avec une nouvelle aliénation.  »
Nostalgique de sa terre natale, l’exilé se nourrit aussi, selon le philosophe Aboulaye Barro, d’une  » vénération du pays d’accueil  » avec lequel il entretient une relation paradoxale faite d’une distance, d’une  » conscience par rapport à la majorité « , en même temps que d’un  » besoin de reconnaissance « . Une identité parfois fragile et précaire donc, une  » liberté blessée « , selon l’expression de Djedje Basile Désiré, médiateur du débat, et que l’on peut déceler au fil des projections : Sobgui, dans Clando, qui quitte le Cameroun pour établir sa compagnie de taxis en Allemagne ; Assiba qui, dans les taudis de Barbès, se révolte contre le statut de la femme (La valse des gros derrières de Jean Odoutan) ; Le passage du milieu, docu-fiction qui revient sur la traversée de l’Atlantique des esclaves déportés ; ou encore dans Colas le dictionnaire (film éponyme de Davis Constantin), ce pêcheur mauricien qui semble un exilé en son propre pays, affamé de connaissances mais traité de fainéant et incompris.

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