L’année 1960 dans les manuels d’histoire africains

Intervention d'Huguette Zinsou Guibbert,

Béninoise d'origine et enseignante à l'Université de Pau
Print Friendly, PDF & Email

Les manuels destines au primaire

L’année 1960 est au programme du cours Moyen deuxième année, une classe d’examen ; à la fin de cet enseignement les élèves passent le certificat d’études primaire (CEPE) et l’entrée en sixième. Les manuels sont édités par des maisons d’édition locales comme les Nouvelles Editions Africaines du Sénégal, des instituts pédagogiques ou des maisons d’édition européennes en partenariat avec les autorités africaines.
L’objectif est de permettre aux élèves de connaître leur histoire. Aux maîtres d’avoir une base solide pour leur enseignement. Si les manuels édités au début du siècle traitent l’évènement de façon très détaillée, aujourd’hui le programme est plus allégé.
Les livres édités au Sénégal sont particulièrement intéressants ; on y voit les changements du programme au fil des ans ainsi que la différence dans le traitement du sujet lorsque le livre est édité par l’Etat ou par une entreprise privée.

Le cas du Sénégal

Le premier manuel qui a retenu notre attention s’intitule : Histoire du Sénégal et de l’Afrique Cours Moyen (NEA) 2e édition 1989. Auteurs : Iba Der Thiam et Nadiour Ndiaye
Un chapitre entier est consacré à cet évènement ; deux cartes sont proposées aux élèves, aux enseignants et bien sûr aux parents au début du chapitre, pour montrer les Etats africains au lendemain de la guerre et après les indépendances. Le traitement de l’évènement remonte au tout début de l’histoire politique du Sénégal. Les hommes politiques européens (Lafont de Fontgauffier…) qui ont représenté le pays au parlement français dès l’avènement de la troisième république sont tous répertoriés. Ceux qui leur succèdent, les Africains sont également bien représentés (le métis Carpot, puis Blaise Diagne, Galandou Diouf, Lamine Guèye et Léopold Sédar Senghor) jusqu’aux hommes d’Etat actuels (Abdoulaye Wade). Le rôle de la société civile, des femmes, des anciens tirailleurs dans l’émancipation des pays est évoqué. Voir Photo 1
Le processus ayant conduit à l’indépendance est traité de façon très approfondie: l’Union française, la loi Cadre Deferre, la fédération du Mali, la communauté franco africaine et l’indépendance.
Le rôle de la diaspora est également mentionné : la création du concept de Négritude avec Aimé Césaire et Léon Damas ainsi que le lancement de la revue Présence Africaine.
La présentation des documents est très différente de celle qui est aujourd’hui proposée aux jeunes élèves.

Le deuxième manuel : Histoire du Sénégal et de l’Afrique, date de 1996 et est édité par l’INEADE en collaboration avec EDICEF ; c’est le manuel mis à la disposition des élèves par l’Etat. L’étude commence plus tard, à la fin de la deuxième guerre mondiale.
L’évènement est bien relaté dans un chapitre entier également : le rôle des Etats -Unis et de l’URSS dans la prise de conscience par les anciens pays colonisateurs que la période des empires est terminée, la fédération du Mali et l’indépendance du Sénégal; l’indépendance de l’Inde, de l’Algérie et de l’Indochine sont évoquées. Le rôle de la société civile est passé sous silence; l’évènement dans d’autres pays est relaté, on essaie de faire connaître aux élèves le mouvement des non alignés.
Une carte de l’Afrique est proposée ainsi que le discours du Général de Gaulle à la conférence de Brazzaville.
Il n’y a pas de détails sur les hommes politiques, seul L.S. Senghor apparaît.

Le troisième manuel s’intitule : Histoire du Sénégal et de l’Afrique édité par les Nouvelles Editions Africaines du Sénégal en 2009 Auteurs : Iba Der Thiam, Seydou Sow et Gora Kane.
L’histoire politique du Sénégal est traitée. Le cours commence directement avec la décolonisation. Le rôle des syndicats, de la société civile est également évoqué. Les élèves apprennent ce qu’est un référendum, un vote ; référence est faite à l’œuvre des leaders : Houphouët-Boigny qui abolit le travail forcé, Lamine Gueye qui fait supprimer le code de l’indigénat.
Il n’y a pas de référence aux autres pays ; seul le cas du Sénégal est traité. Des photos apparaissent : les porteurs de pancartes, le Général de Gaulle. C’est une édition allégée mais on va un peu plus loin que dans les précédents manuels car on explique un peu mieux le processus en donnant le sens des mots : votes, référendum…
Les manuels sénégalais sont très complets, les auteurs font preuve de nationalisme mais ils expliquent dans le détail l’histoire politique de leur pays.

Le cas de la Côte d’Ivoire

Le quatrième livre est celui de la Côte d’Ivoire; il est proposé par l’Etat en collaboration avec un éditeur français : Nathan dans la collection « Ecole et Nation » / MEN-RCI/ 053 et date de 2010. Sa particularité est la suivante : il est inscrit sur chaque page une petite mention stipulant que le livre est gratuit et ne peut être vendu.
Le manuel est assez moderne car les documents sont formatés de façon très actuelle avec des photos, des cartes et des documents inédits comme un extrait du code du travail. Il est accessible aux élèves. Le rôle des leaders politiques, plus particulièrement celui d’Houphouët Boigny, est décrit de façon détaillée. L’évènement, l’indépendance, est traitée de façon chronologique depuis la première conférence de Brazzaville en passant par la loi cadre et la communauté franco africaine. Le contenu est assez riche et clair ; les autres pays sont cités pour leur adhésion au RDA mais pas pour décrire l’indépendance qu’ils obtiendront.
Voir Photo 2


Le cas du Niger

Le cinquième livre intitulé : HISTOIRE C.M.2 est destiné aux élèves et aux maîtres. Il est édité par les éditions INDRAP pour l’Etat nigérien.
L’évènement n’est pas traité uniquement au Niger mais aussi dans toutes les anciennes colonies : françaises, portugaises, anglaises, belges.
Les leaders africains sont cités : Samora Machel, Agostino Neto, Kwamé N’Krumah. Le seul acteur nigérien mentionné est Djibo Bakary. Leurs photos sont en évidence, l’image ici est très importante.
L’enseignement commence après la guerre en 1944, la lutte des peuples pour l’indépendance est traitée en détail, par contre le processus en lui-même est relaté assez rapidement.
Voir Photo 3

Les manuels destines aux collèges

Ce sont des manuels dont le programme est fait en Europe; ils sont destinés à des élèves de troisième dont l’enseignement sera sanctionné par le brevet des collèges (BEPC).
Le premier, intitulé l’Epoque Contemporaine, est paru en 1967 ; il est édité chez Nathan-Afrique en liaison avec le Centre Africain de Recherches et d’Action Pédagogique pour des élèves en Afrique et à Madagascar; il y a des cartes mais aussi des textes dont la présentation est assez compacte.
Dans ce manuel, le rôle des puissances colonisatrices est mis en lumière et pas seulement celui des acteurs locaux ; le niveau requis chez les élèves est plus important.
L’enseignement commence en 1945, à la fin de la guerre ; des détails sont donnés sur le rôle de la société civile (syndicats, travailleurs), celui des principaux leaders : Senghor et Houphouët, Sékou Touré également.

Le parallèle est fait avec les colonies anglaises, on parle du processus à Madagascar, du congrès de Bamako et la création du RDA et du PDCI, du magazine Présence Africaine, de la conférence des non alignés. Le cas du Congo, dont les richesses ont entraîné une décolonisation douloureuse sera traité. La colonisation portugaise est décrite.
L’indépendance dans toutes les régions d’Afrique (Est, Ouest, Nord, Sud) est relatée.
Il n’y a pas d’expression de nationalisme.

Le second, intitulé Le Monde Contemporain de 1815 à nos jours est paru en 1973. Une nouvelle version a été proposée aux élèves et aux enseignants en 1988. Il est publié par EDICEF en liaison avec l’IPAM donc peut être considéré comme approuvé par le gouvernement sénégalais.
Le chapitre est morcelé en différents thèmes afin de couvrir le processus dans son ensemble.
Deux périodes apparaissent : avant 1958 et après 1958.
L’étude est faite en comparant les différents Etats, la décolonisation par chaque puissance (France, Angleterre, Portugal, Belgique) mais l’accent n’est pas mis sur le rôle des différents leaders politiques.
De nombreuses images apparaissent, non pas celles des leaders africains, mais celles du Général de Gaulle à la conférence de Brazzaville, des richesses exploitées dans les différents pays, la société civile, les villes africaines.

Il serait souhaitable qu’après 50 ans, l’Afrique et l’Europe renouvellent les liens qui les unissent depuis le 15e siècle et essaient d’en tirer des avantages mutuels.

///Article N° : 10110

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article





Laisser un commentaire