Le Centre et l’Oracle

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Dans l’Egypte des Fari (pharaons) et en Afrique noire, on a longtemps pratiqué le gouvernement par oracle ; de cette tradition, les Africains ont gardé le goût des  » consultations  » – pour régler leurs conduites ou leurs comptes, pour se prémunir contre toute sorte d’accidents, pour se familiariser avec les signes, commercer avec le passé, le futur, l’invisible, etc.
L’on faisait aussi appel à l’oracle dans la société gréco-latine (auprès du collège des augures dans la Rome antique, auprès de la Sybille chez les Grecs), pour sonder la volonté des dieux, procéder à l’état de ses lieux, assurer son quotidien et son devenir, et, surtout, pour savoir ce qui est autorisé (fas) ou interdit (nefas).
Toutes ces habitudes n’ont guère changé : on consulte toujours l’oracle aujourd’hui, ailleurs comme en Occident. Et le peuple – l’homme de la rue, qui forme public, foule,  » anima  » – n’est pas le dernier à savoir lire, à savoir décrypter les signes et à traduire la volonté des  » dieux « . Au contraire, sa sensibilité éduquée le guette, le stimule ; son angoisse le renifle, épine ; et le voici qui quête, aspire… narines palpitantes, œil vibrant ; et, agile, sait d’un mot cueillir ; d’un non-dit, substance ; d’un regard, d’un battement de cils, faillir ou défaillir… et ainsi de tout signe en capter la couleur, en humer le vent, en désigner le sens, avec une rare intelligence. Il a compris. Epiderme. Il peut ronfler : les  » dieux  » ont parlé. Et ne fera que fas. Voilà le peuple. Qui ne fera que là où l’oracle lui dit de faire ; sa conscience s’en porte mieux. Pour cela il n’est pas de meilleure position que de s’allier aux  » dieux « .
Et si l’on ajoute à cela qu’il n’y a  » pas d’attention sans idéation anticipatrice, sans expérience imaginative, sans préperception  » (W. James, Précis de Psychologie), on peut supposer qu’un comportement raciste ou discriminatoire se réclame presque toujours de l’attitude muette et approbative des autorités. Aussi les mouvements d’extrême-droite ont bon dos – boucs émissaires tout désignés, commodes à la bonne conscience de certains. Les responsabilités sont autrement partagées et vont bien au-delà de ces pitoyables maillons. Les vrais responsables des comportements racistes – les inspirateurs – évoluent dans d’autres sphères ; en contact direct avec une matière première qu’ils peuvent modeler à leur guise (il suffit d’ouvrir le moindre dictionnaire ou ouvrage scolaire pour s’en approcher ou ne pas s’en conscientiser), ils sont à la source même du gauchissement de l’esprit et des mentalités ; ils instruisent et forment les  » Educateurs  » ; ils contrôlent de manière occulte les pouvoirs publics, tentent de décider de la marche du monde et d’infléchir le cours des choses et des êtres ; ce sont eux qui tiennent les leviers du Centre, qui donnent la parole et dirigent. Le plus souvent ces inspirateurs ne sont pas toujours des hommes politiques – qui ne sont que des relais ; ce sont tout simplement des idéologues qui siègent à l’ombre des lieux vénérables, dits  » Académies « ,  » Cercles « ,  » Universités « ,  » Laboratoires « ,  » Musées « ,  » Eglises « ,  » Chapelles « ,  » Loges « , etc.
Aussi, dans ces conditions, quand les hommes politiques parlent d’éducation, de l’éducation du peuple, comme moyen de lutte contre le racisme, on touche bien un bout de vérité, mais surtout on perçoit l’inanité de tels propos ; c’est de leur propre éducation dont ils devraient parler avant tout. Quand jacques Chirac, chef d’état français et président de la république, parle  » du bruit et des odeurs des étrangers « , désignant ainsi toute une frange de la société à la vindicte populaire, l’on est en droit de se frotter l’oreille et de s’interroger sur la responsabilité de l’oracle. De même quand Sa Majesté Monsieur Sarkozy convie tous ses petits sujets à ingurgiter de force  » qu’un sang impur abreuve nos sillons «  de la Marseillaise à l’école, l’on se dit que décidément les  » missions civilisatrices  » de la 3ème république et de Jules Ferry sont plus que jamais d’actualité. Quant aux lois… Comme les interdits, certaines lois se contentent de confirmer, a contrario, un état de faits et de désirs, d’indiquer le lieu et l’effet de jouissance – et les lois anti-racistes en font partie. Tout au plus servent-elles, concernant les manifestations sociales du racisme, à faire mesurer à chacun le degré de sacrifice éventuel et, partant, à limiter le nombre d’individus prêts à assumer cette charge émotionnelle. Ce qui est toujours mieux que rien. Mais bien insuffisant. Et c’est ainsi qu’un animateur télé d’une chaîne publique – petit oracle scrofuleux – peut à loisir ouvrir les vannes de son sphincter et se mettre à insulter tout un peuple à l’antenne, être ensuite condamné par la justice, et continuer à exercer tranquillement avec l’assentiment et la bénédiction de ses pairs et de la classe politique, toujours prompts pourtant à s’émouvoir quand une autre catégorie sociale, ethnique ou confessionnelle est égratignée. Comme dit le poète Kenneth Patchen :  » Et tout autour de nous courent / Les empreintes de la bête / Une bête que personne ne peut concevoir « .

Dernier ouvrage paru :  » La Danse du Pharaon «  (Ed. Actes Sud-papiers, 2004).
Lauréat 2005 du prix SACD de la dramaturgie francophone pour  » L’Exilé «  (Ed. Actes Sud-papiers, 2002). A paraître chez Actes Sud en 2006,  » Pure Vierge « .///Article N° : 4086

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