Le Dernier roi d’Ecosse (The Last King of Scotland), de Kevin Macdonald

L'Afrique à travers un kilt

Print Friendly, PDF & Email

Idi Amin Dada aimait l’Ecosse pour la même raison que les Français : parce que, dit-on, les Ecossais n’aiment pas les Anglais. Héros du peuple ougandais lors de sa prise de pouvoir en janvier 1971, homme providentiel accueilli par la communauté internationale, Idi Amin mena une politique de violence que les Anglais cautionnèrent bien trop longtemps. Il élimina d’abord l’opposition, tuant des centaines de personnes, ordonna l’émigration à l’ensemble de la population asiatique, rompit les relations diplomatiques avec Israël pour demander le soutien de l’Union Soviétique et du Liban, le tout saupoudré de déclarations fantasques qui faisaient les délices de la presse. Ainsi, il s’autoproclama dernier roi d’Ecosse pour avoir bouté les Anglais hors d’Ouganda.
Kevin Macdonald est écossais. C’est sans doute la raison pour laquelle les événements dramatiques du règne d’Amin Dada sont évoqués à travers les yeux du docteur Garrigan, médecin écossais fraîchement diplômé, désireux d’échapper au carcan bourgeois d’une profession héritée de son père. Une fois sur place, ravi par le climat et les rencontres exotiques, le jeune homme explique sans conviction à qui veut l’entendre qu’il souhaite se rendre utile, ne se souciant guère des événements qui secouent le pays. Véritable allégorie de la naïveté occidentale face aux difficultés économiques des nations africaines, Nicholas Garrigan partage avec ce nouveau dirigeant qu’il admire son amour de l’Ecosse et sa méfiance des Anglais. Cela suffira à l’excentrique Idi Amin pour faire de lui son médecin personnel et premier conseiller. Le public occidental peut alors s’identifier à ce personnage innocent et découvrir avec lui l’autre face du bon géant qui, l’espace d’un échange de regards, se transforme en dictateur démoniaque et impose sa volonté la plus despotique à tous ses proches.
À l’exception de ce personnage fictif du médecin, le scénario est relativement fidèle à la vérité historique, bien assez terrifiante pour ne pas nécessiter d’exagération. À toutes les conventions du cinéma grand public s’ajoute donc celle-ci : lorsqu’il s’agit de mettre en scène l’Afrique, l’intrigue doit être portée par un personnage blanc insipide qui découvrira en même temps que les spectateurs ce continent mystérieux qui ne semble exister dans la psyché européenne que par le truchement de l’explorateur.
Comme l’illustre peut-être le mieux le procès de Galilée, la capacité du commun des mortels à se fourrer le doigt dans l’œil est immense. George-Louis Leclerc, Comte de Buffon, médecin personnel de Louis XV et premier anthropologue français, avait postulé que l’humanité tout entière découlait d’une seule souche de race blanche, en concordance avec l’interprétation la plus commune de la genèse biblique. Il en avait déduit un éparpillement géographique et une influence climatique ayant conduit à une dégénérescence de l’homme blanc et à la naissance de races inférieures. Avec sa théorie inversée et ses hypothèses sans fondement scientifique, Buffon ne faisait qu’exprimer ce que ses contemporains considéraient comme une évidence, observant de fort loin la montée des empires et les voyages extraordinaires qu’elle occasionnait. Le Dernier roi d’Ecosse ne fait rien de plus, tout bon producteur sachant que le public blanc s’identifie difficilement à des personnages noirs. Le fait est pourtant que le sort du médecin écossais laisse assez indifférent alors que d’autres proches d’Idi Amin, tels que sa plus jeune femme (Kay Amin interprétée par l’Américaine Kerry Washington), son ministre de la santé (Jonah Wasswa – Stephen Rwangyezi) ou son ancien médecin personnel (le docteur Junju – David Oyelowo), profilent des personnages autrement plus intéressants. Le casting est finalement parfait pour l’occasion : James McAvoy dans le rôle du docteur Garrigan est parfaitement transparent, laissant libre cours à Forest Whitaker (Idi Amin) pour une performance exceptionnelle de terreur et d’humanité. Idi Amin Dada peut prétendre, au même titre qu’un Pol Pot, un Staline ou un Hitler, au rang des dictateurs les plus meurtriers de l’histoire récente. On aimerait comprendre ce qui pousse un homme à de tels extrêmes. Forest Whitaker parvient par des moyens proprement physiques et corporels à traduire le côté profondément humain des excès paranoïaques d’un dirigeant solitaire, dont l’unique satisfaction est procurée par l’application de son pouvoir absolu, qu’elle soit bienfaisante ou cruelle. On sait bien que cette folie est universelle, que ce ne sont que les moyens grandis qui lui donnent son ampleur. Les bourreaux veulent être aimés. Idi Amin a besoin de l’amour et de l’admiration de son peuple et de ses proches, ce que Forest Whitaker parvient remarquablement à traduire en incarnant un personnage toujours touchant, même à ses heures les plus terrifiantes.
Le Dernier roi d’Ecosse ne changera cependant rien aux idées que l’Europe se fait des dictateurs africains, responsables de la misère des pays qu’ils saignent, ni sans doute aux idées que se fait l’Afrique des cinéastes européens, incapables de raconter la souffrance ou l’injustice si elles n’affectent pas un personnage blanc. Le résultat n’en est pas moins saisissant, proposant une vision des plus pessimistes des dérives du pouvoir en Afrique, ou ailleurs.

///Article N° : 4707

  • 1
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire