En sortie le 27 octobre 2021 dans les salles françaises, le nouveau film d’Olivier Zuchuat témoigne avec une impressionnante cohérence esthétique d’une initiative où le courage des femmes et la détermination de tous inversent l’inexorable désertification, tandis que les djihadistes font peser de nouvelles menaces.
C’est l’histoire d’une utopie. Alors que les cinémas d’Afrique s’emploient à gérer l’incertitude et développer la responsabilité pour dégager des perspectives d’avenir et la force du courage, ce film va encore plus loin : la réalisation concrète d’un projet pharaonique mais nécessaire à la survie. Kamsé, un village de la zone sahélienne, au nord du Burkina-Faso, se mobilise pour creuser sous une chaleur torride des digues pour retenir l’eau qui permettra d’arroser directement ou via la nappe phréatique des milliers d’arbres plantés pour arrêter la progression du désert. Les hommes étant bien souvent partis dans l’aventure de l’émigration, ce sont les femmes qui s’y collent, avec une incroyable résilience.
Il faut voir ces villageoises et villageois arriver de partout, prévenus par sms ou par les radios locales, et réaliser sous le soleil un réservoir impressionnant et soigner les semis en godets destinés à la plantation. Soucieux de représenter la géographie du projet mais aussi par respect des personnes, Olivier Tuchuat filme avec une distance permettant d’appréhender à la fois l’ampleur de l’initiative et la dureté du travail pour le réaliser à la main. C’est dans cet espace que nous comprenons combien les corps joignent leur force dans une impressionnante solidarité.
Le grand espoir de toutes celles et ceux qui cherchent à vivre au pays est d’inverser cette émigration mortifère, en ville ou en Europe, engrenage d’abandon à la fois des familles et des lieux, et donc vecteur de désertification, en plus des effets du réchauffement climatique. Planter des arbres, c’est aussi prendre conscience qu’il ne fallait pas les couper pour cuire les aliments : une écologie est en réflexion, contre l’assèchement des sols par la surexploitation et la multiplication des ovins.
C’est ainsi que ce village, se déplace en vélo, en moto, dans un autre village qui applique des méthodes de revitalisation des terres en s’inspirant de techniques ancestrales. L’alternative existe si l’on veut bien croire en l’utopie. Encore faut-il s’entendre sur l’utilisation des terres alors qu’il n’y a pas de cadastre, et ainsi lâcher un peu de sa propriété. Le périmètre arboré permettra de viabiliser de nouveaux champs. Une ONG soutient la démarche en fournissant les outils aux femmes et la formation aux nouvelles méthodes.
Le facteur temps est essentiel : il a fallu deux ans de tournage car un tel projet ne se fait pas en un tour de main, que les femmes ne peuvent pas se mobiliser tous les jours, que les prises de décision font l’objet de palabres pour être acceptées de tous. Cela se retrouve dans le rythme du film, pour que nous soyons en phase avec les protagonistes. Mais aussi dans la manière de tourner : les plans-séquence, fixes et en cinémascope, sont d’une grande beauté, si bien que ce paysage aride et ingrat n’est plus une terre à quitter mais un lieu à habiter. La distance respectée laisse les femmes et les hommes se mouvoir et s’inscrire dans cet environnement, non comme des victimes mais comme des acteurs de leur propre vie.
Cette distance est aussi dans l’absence de commentaires, remplacés par la place laissée à la bande-son qui permet de capter la complexité des scènes. Ayant le temps d’étudier l’image, nous nous baladons dans les détails, saisissons des gestes et des visages, repérons les fatigues autant que le courage.
Les femmes sont centrales dans ce grand chantier collectif. Elles sont toujours en groupes, déterminées. Une maxime mossi ne dit-elle pas « Quand la pluie vous bat, ne vous battez pas entre vous » ? On voudrait mieux les connaître, connaître les réticences, les conflits, mais ce n’est pas le projet du film qui se concentre sur les étapes de réalisation de cette utopie.
Un autre élément vient cependant menacer l’avenir : les attentats djihadistes, que l’on entend à la radio. Kamsé est éloigné des zones dangereuses mais subit le même type d’abandon de l’Etat, tant au niveau de la protection que des structures éducatives et médicales. Si bien que, comme le note Olivier Zuchuat, « durant le tournage, au fur et à mesure que le périmètre se construisait avec succès localement, il y avait une parcelle du pays qui se déconstruisait, plus au Nord ».
Il reste à espérer que les acquis de cette utopie réalisée construisent la résilience face aux menaces totalitaires…
« C’est en tant que cinéaste, et par ailleurs ancien scientifique, que je m’intéresse au paysage comme enjeu politique, écologique voire historique. Mes précédents films ont tous à voir avec les notions de territoire, d’espace et de paysage. […] Ce film prolonge d’une certaine manière ce travail sur le paysage. Il ne s’agit pas d’illustrer un discours sur la désertification, mais de filmer la transformation d’un paysage par des femmes, de faire face au paysage dans la durée, dans la dynamique de sa lente modification. Je voulais éviter à tout prix l’exotisation d’une terre lointaine, en la filmant comme un décor spectaculaire. » Olivier Zuchuat
Un commentaire
À Olivier Barlet
Bonjour et merci de vos publications Africulture .
J’ai lu avec grand intérêt et vive émotion votre article sur le dernier film de Olivier Zuchuzt. J’aimerais le contacter . Je l’ai connu il y a de nombreuses années .. Merci de m’aider
Bien à vous .
Dominique Gros
[email protected]