Le tirailleur réconciliateur

Entretien de Boniface Mongo-Mboussa avec Anne Bragance

Print Friendly, PDF & Email

Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre sur les tirailleurs. ?
Avant les tirailleurs, l’idée, c’était celle de cet enfant qui arrive par l’eau comme Moïse. Je voulais un peu rajeunir le mythe. Et très vite, je me suis dis que ça ne peut pas se passer en Europe, en France, où on a cessé de croire aux miracles, au merveilleux. Et du coup, je me suis dis ça se passerait en Afrique. Pourquoi ? Tout simplement, parce que je suis né au Maroc. Dans mon enfance, j’avais vu des tirailleurs sénégalais qui étaient cantonnés à Casablanca. Je les avais trouvés magnifiques, avec leurs chéchias. Je garde un souvenir très proche de cette vision que j’ai eue dans mon enfance. Et c’est pour ça que j’ai pensé tout de suite au Sénégal. Mon attachée de presse, Chantal Lapick, qui connaît tout le monde, m’a mis en relation avec Hamidou Sall. Un mois après, j’étais au Sénégal. C’était pour rencontrer les tirailleurs sénégalais. J’ai été bouleversé par cette rencontre. Je les ai rencontrés chez eux, où à l’office des Anciens combattants à Dakar. Je me suis rendu compte, que ces hommes vouaient toujours un grand amour pour la France. Certains m’ont dit que s’il fallait se battre à nouveau pour la France, ils le feraient. En même temps, j’ai perçu chez eux un certain ressentiment, une certaine rancœur – tout à fait justifiée d’ailleurs puisque la France a oublié de réajuster les pensions ! Ils ne reçoivent que des misères. Donc, ayant fait ma moisson d’interviews, j’ai commencé à écrire en me disant que mon héros serait un tirailleur sénégalais.
Ce qui m’a frappé dans ces lignes, c’est moins le thème que l’écriture. Généralement, lorsque les écrivains africains abordent ce thème, ils le font de façon soit tragique soit comique. Chez vous, on a l’impression de lire un poème.
Je suis heureuse que vous notiez cette caractéristique de mon écriture. Pendant mon séjour à Dakar, j’étais toujours accompagné de mon ami Hamidou Sall, qui est très proche du président Senghor et très admiratif de sa poésie. Il ne cessait de me réciter des vers de Senghor. Il m’a emmené à Joal. Et vraiment c’était une imprégnation senghorienne très forte. J’ai lu aussi beaucoup de contes africains. J’ai essayé d’inventer une langue pour ce livre. Si vous avez lu d’autres de mes livres, vous remarquerez qu’ils sont écrits différemment. J’ai essayé de travailler sur le langage franco-sénégalais, sur le woloof, etc. J’ai inventé certains mots. Le fils-Récompense, par exemple, est un mot que j’ai inventé en m’inspirant des Sénégalais qui utilisent dans leur quotidien des mots composés. Il y a ensuite des litanies qui reviennent le long du texte. Le héros ne cesse de dire : je me rappelle, je me souviens. Il y a enfin cette interpellation du lecteur à travers des expressions comme  » Soleil sur toi ! « ,  » Bonheur sur toi « … Tout ça fait partie de cette musique, du rythme que j’ai essayé d’introduire dans ce livre.
Il y’a un jeu d’écriture qui consiste a faire alterner les commérages des femmes avec la narration proprement dite…
Quand j’écrivais ce livre, je me suis rendu compte que tous les protagonistes étaient merveilleux, angéliques. Il fallait des chipies là-dedans ! Par ailleurs, lorsque j’ai commencé à écrire ce livre, je me suis beaucoup interrogé sur ma légitimité. Moi, Française, me mettre dans la peau d’un tirailleur sénégalais, dans ses sentiments… J’ai posé cette question à Hamidou Sall qui m’a répondu :  » la seule légitimité, c’est l’amour « . Dès le moment où il m’a dit ça, je l’ai fait.
Cet enfant miraculeux, qui vient combler un vide, n’est-il pas aussi une sorte de compensation dans le rapport de Blaise Massamba Diouf avec la France ?
C’est aussi dans cet esprit que j’ai écris ce livre. Cet enfant, c’est aussi le signe de gratitude qu’il attend de la France. Dans son esprit, il n’y a pas de doute : il est Français. C’est pourquoi il le prénomme Simon, mais également en souvenir d’un ami tombé au front.
Un autre jeu littéraire consiste à mettre en exergue les vers de Senghor au début de chaque chapitre.
Effectivement ! C’était une façon de  » métisser  » la langue. Et puis, je voulais rendre hommage à Senghor. Je ne l’ai pas fait de façon tacite en lui dédiant le roman, mais plutôt chapitre après chapitre.
Ce livre à la fois réaliste et merveilleux, n’est-ce pas en définitive un conte ?
On m’a parfois posé cette question. Je dis non. Parce qu’un conte ça commence par :  » il était une fois « . Et puis, il y a tout de même des règles pour écrire un conte !

///Article N° : 1224

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire