Après le succès de la série d’Été d’Africultures sur [le quartier de Belleville], partons ensemble à la découverte d’un espace qui vit des migrations historiques, qui bouillonne de créativité et de métissages. Plongée subjective et non-exhaustive à travers les regards d’habitants de la Goutte d’Or (Paris XVIIIe).
De nombreux artistes vivent et travaillent à la Goutte d’or, épris de son aspect multiculturel et de son ambiance unique.
Mai 1989. Les bouches à incendies sont ouvertes et l’eau jaillit sur le trottoir. La chaussée en travaux est devenue un terrain de jeu pour gamins du quartier. À moitié nus, ils s’éclaboussent sous les jets de trois mètres de haut et font un boucan pas possible.
« C’est Paris ça ? On se croirait à Harlem ! » se ravit Jean-Marc Bombeau en les observant.
Cet artiste plasticien vient alors tout juste de s’installer au cur de la Goutte d’or dans un ancien garage reconverti par ses soins en atelier.
Ici, rien ne ressemble au 20e arrondissement qu’il vient de quitter. « À la Goutte d’or, j’ai rencontré 200 personnes en quelques mois, alors qu’à Place des fêtes (XXe arrondissement) il m’aura fallu huit ans pour une dizaine de gens ».
C’est l’époque des regroupements familiaux. La Goutte d’or se remplit de nouvelles familles venues de République Démocratique du Congo, du Sénégal ou du Mali. La porte de l’atelier de Jean-Marc leur est ouverte « Un jour, j’ai exposé la sculpture d’un mammouth de six mètres de long. Des mômes du quartier l’ont vu à travers la vitre. Curieux, ils sont entrés ».
Culture de proximité
Vingt ans plus tard, les enfants de ces enfants viennent voir Jean-Marc et l’atelier a grandi. L’espace est devenu l’Échomusée, un lieu d’expositions et de rencontres où l’on met en avant la culture de proximité. Une trentaine d’événements culturels y ont été organisés en 2011 avec seulement 6 000 euros de subventions.
« La Goutte d’or, c’est une palette pleine de couleurs, d’odeurs et de bruits. Un support fantastique pour le travail d’un artiste, un spectacle permanent » explique Jean-Marc.
À l’Échomusée, vous pourrez jeter un coup d’il à la collection de masques africains de Jean-Marc ou admirer les portraits de résidents de la Goutte d’or pris par les photographes J.C Lambret et Gilles Crampes. On y voit d’élégantes africaines en boubous croisées dans la rue, les étals exotiques des épiceries arabes, ou encore les piles de tissus multicolores des marchands de tissus africains.
Ces photographies ont même été affichées devant les commerces du quartier, avec la complicité des propriétaires. Autre coup de cur : les portraits d’habitants du quartier de l’artiste Arthur Eveno, peints sur du wax (tissus africains).
En 2011, l’Échomusée donne carte blanche au graffeur Thomas Vuille. Son Monsieur Chat, célèbre félin jaune au sourire narquois envahit les façades et les stores des commerces du quartier lors d’un « parcours du chat ». Monsieur Chat sourit aux passants et aux habitants de la Goutte d’or. Cet art leur est destiné.
Portes d’or
Créer le lien avec les habitants n’est pourtant pas toujours facile « Beaucoup n’osent pas rentrer dans nos ateliers. Ils se disent que ce n’est pas pour eux » déplore Isabelle Corringer, artiste-peintre depuis huit ans à la Goutte d’or, et organisatrice des Portes d’or.
Le temps d’un week-end, cette opération portes ouvertes d’artistes ambitionne de « faire renaître l’échange, le contact direct et la convivialité entre les artistes et leur public ».
Cette année plus de 70 peintres, sculpteurs, photographes, vidéastes, créateurs de bijoux ou encore stylistes ont présenté leurs uvres dans 37 lieux. « Tout le monde peut exposer aux Portes d’or, professionnels ou amateurs, il suffit de s’inscrire ! » lance son organisatrice.
Certains s’inspirent directement de la richesse culturelle du quartier comme le réalisateur Bruno Demesle. Son film La Goutte d’or, vivre ensemble projeté à l’Institut des cultures d’islam raconte les luttes sociales pour les sans-papiers du quartier.
D’autres peignent sur le Japon, ou modèlent des corps de femmes en terre cuite. Ils ont juste choisi de travailler à la Goutte d’or, nourris son ambiance. « Il y a un esprit artistique à la Goutte d’or. Un côté multiculturel passionnant, même si toutes les choses ne sont pas belles à voir » explique Isabelle Corringer.
A côté d’elle, Vincent Gabin, artiste-peintre également présent aux Portes d’or a une autre analyse « Les quartiers malfamés attirent les artistes, comme à New York par exemple. Ils y squattent aussi parce que ça n’est pas cher ».
Hasard du calendrier ou peut-être pas, les Portes d’or 2012 coïncidaient avec la fête des vendanges de Montmartre, quelques centaines de mètres plus haut. Les visiteurs étaient invités à goûter la Cuvée d’or, le vin de la Goutte d’or ! Un clin d’il à l’histoire puisqu’au Moyen Âge, les vignes de la Goutte d’or produisaient un vin blanc très réputé.
Aujourd’hui, plus un seul pied de vigne ne pousse dans le quartier et la Cuvée d’or 2012 a été commandée à un vignoble du Languedoc. L’étiquette de la bouteille est par contre bien locale : un concours est organisé chaque année pour la choisir. La Cuvée 2012 aura vu 32 artistes s’affronter. Le gagnant se fait appeler Olivsteen. Il est graveur-illustrateur. À sa santé !
Quelques lieux et événements culturels à la Goutte d’or :
– L’Échomusée, à l’angle des rues Cavé et Saint-Luc. 01 42 23 56 56
– Les Portes d’Or [www.portesdor.fr]
– Le Lavoir Moderne Parisien et l’Olympic café [www.rueleon.net]
– L’Institut des Cultures d’Islam [www.institut-cultures-islam.org]
– Salle Saint-Bruno [www.sallesaintbruno.org]
– Centre musical Barbara Fleury-Goutte d’Or [ici]
Les sites des artistes cités dans l’article :
Le Photographe JC Lambret [ici]
Thomas Vuille et Monsieur Chat [ici]
Vincent Gabin, artiste-peintre [ici]
Olivsteen (Étiquette de la Cuvée d’or 2 012) [ici]///Article N° : 11093