Les espoirs du S.I.A.O.

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La nuit tombe, lourde sur Ouagadougou. Les murs ocres s’effacent derrière la poussière de latérite trop piétinée. Dehors, les buvettes sont pleines et la foule colorée se promène nonchalante et lasse de la chaude journée. De toutes parts, les musiques se concurrencent et emplissent l’espace. Les passants courageux esquissent quelques pas de danse déhanchée.
C’est en périphérie de la ville que s’est tenu la 6ème édition du S.I.A.O, Salon International de l’Artisanat de Ouagadougou, du 30 octobre au 8 novembre.
Cette rencontre est née, en 1984, d’une initiative de Thomas Sankara,  » Artisanat 84  » qui réunissait des artisans des différentes provinces du Burkina Faso. L’édition suivante a eu lieu en 1988. Depuis lors, tous les deux ans, les années paires, en alternance avec le FESPACO, l’Office National du Commerce Extérieur (ONAC) et la Chambre de Commerce, d’Industrie et d’Artisanat (CCIA) réitèrent ce Salon qui accueille désormais de nombreux pays africains et des autres continents.
Cette année, l’invité d’honneur est Cuba, mais 35 autres pays sont présents dans les diverses manifestations du SIAO. L’Afrique de l’Ouest et du Nord, mais aussi par exemple le Cameroun, la Zambie, la Turquie, l’Iran, Taiwan, les Comores sans oublier la France, la Belgique, le Canada ou encore la Suisse. C’est dire si, outre l’intérêt culturel, l’intérêt économique est de mise pour ce qui est considéré comme le plus grand salon artisanal du continent africain.
Différents  » opérateurs économiques « , bailleurs de fonds et artisans étaient d’ailleurs invités, quelques jours avant le SIAO, à réfléchir lors d’un séminaire, sur l’Artisanat et la formation professionnelle. La qualification des artisans et le suivi possible des produits sont toujours au centre d’importants débats. Un Business Center et un Hall des Exportateurs ont été mis en place pour faciliter les commandes massives vers l’étranger.
De même, l’investissement placé dans cette manifestation augmente sans cesse et cette 6ème édition marquait la consécration du site par le nombre de bâtiments construits en dur pour abriter l’artisanat tant décoratif qu’utilitaire (Espace Art et métiers). L’organisation y était beaucoup plus rigoureuse.
Au delà des aspects économico-politiques des  » grands « , les artistes et artisans attendent également beaucoup de ce Salon. Le prix d’entrée, fixé à 150 FCFA (1,50 FF) permet une affluence sans cesse croissante (400 000 visiteurs). Et pourtant, pour les  » Nationaux « , le SIAO est surtout un lieu de promenade et de divertissement où l’on vient admirer, rêver, s’étonner plus qu’acheter. Le nom des Pavillons,  » Ténéré, Goré « , sont autant d’invitation au voyage. A l’intérieur, le voyage se prolonge : on se faufile comme dans autant de  » souk  » au milieu des objets, des couleurs et des gens. B. Malinowski en prenant exemple sur les canoës des Iles Trobriands, pensait que derrière un seul objet c’est toute la culture qui se profile. Et il est vrai qu’ici les objets ont valeur de symbole : les bijoux en argent et la maroquinerie des Touaregs du Niger, les tapis et la verrerie bleue de l’Iran, les statuettes de jade qui côtoient les verres réfrigérants de la République de Chine, le rhum, le tabac et les chaises en bois blanc et rouge de Cuba, la haute couture du Sénégal… Bien sûr, ici comme ailleurs sur les marchés africains, le marchandage fonctionne bien. Mais chaque exposant a du payer 150 000 FCFA pour un stand de 10 m². La somme est conséquente pour la plupart des artisans africains qui s’associent généralement à deux ou trois sur un même emplacement. Et le prix du stand se répercute souvent sur le prix des objets en vente.
Il serait intéressant de connaître les bénéfices réels des exposants. Autant dire qu’ils sont perçus comme symboliques ou à concevoir à long terme : pour beaucoup, artistes et artisans, le SIAO est avant tout un lieu de rencontres internationales. Et il constitue désormais un enjeu de poids dans la reconnaissance possible de l’artiste et de son art. Certains artistes refusaient jusqu’ici de venir exposer leurs créations dans ce qu’ils considéraient comme un vaste marché artisanal qui pouvait nuire à la qualité artistique de leurs oeuvres. Cette année, force est de constater que l’amélioration des structures d’exposition a fait revenir certains sur leur position. Moussa Kabore, artiste sculpteur sur bronze, n’exposait jusqu’ici qu’au Pavillon de la Créativité (du SIAO) :  » Je peux envisager de prendre un stand dans deux ans. Mais un problème reste quand même : si tu fais des oeuvres trop simples et que tu exposes là, les gens vont te copier « . Et effectivement de nombreux stands exposent un artisanat de bronze célèbre au Burkina Faso. Et pour eux, cette année,  » ça marche un peu seulement « . Peut-être le public est-il las de voir partout les mêmes statuettes : du figuratif qui se veut l’illustration des scènes  » typiques  » – entendre par là  » villageoises  » – de l’Afrique profonde (berger peulh ou porteuse d’eau…) aux formes plus stylisées mais dénuées de sens des  » danseuses  » nues, contorsionnées dans des mouvements sensés mettre leur corps filiforme en valeur. Et finalement, ceux qui retiennent l’attention sont les bronziers  » hors Ouaga  » : l’atelier Gandema de Koudougou propose des objets-design (coupes, vases, appliques murales), et Tidiane et Bamabou Traoré de Bobo-Dioulasso, des statuettes drapées ou des mères à l’enfant qui, même stylisées ont un minimum d’expression.
Au point de vue du bronze burkinabè, émerge le stand d’artistes tels Boubacar Balima, Salif et Soumaïla Bonkoungou, du CNAA (Centre National d’Artisanat d’Art) de Ouagadougou. Contrairement à K. Magni qui, dans son article  » Recherche d’une définition de l’artisan  » (Nouvelles du SIAO 98), en arrive à la conclusion que  » l’artiste ne se distingue pas de l’artisan « , le CNAA apparaît comme un lieu de revendication d’un statut de l’artiste en opposition à celui de l’artisan. Leurs conceptions de l’objet empruntent aux définitions théoriques de l’art occidental. Les résultats  » pratiques  » témoignent d’une réelle recherche, parfois balbutiante pour certains jeunes, au point de vue thématique et stylistique. La tendance est résolument à l’abstraction considérée par les artistes comme l’illustration même de l’art contemporain et se démarquant sur ce point de l’artisanat habituel (certains de ces artistes exposent actuellement dans une galerie de la Librairie L’Harmattan à Paris, rue des Ecoles).
Le public regarde, certains prennent des cartes de visite, peu achètent. Ici, c’est le lot commun des artistes – dont les prix indiquent que l’originalité se paye . Liade Goze, artiste de Côte d’Ivoire, formé aux Beaux-Arts d’Abidjan considère le SIAO comme une opportunité pour exposer ses tableaux mélangeant tissus tissés, cordes nattées et peinture :  » Pour nous les artistes, en Afrique comme il n’y a pas trop d’ouverture, on cherche à se mettre partout « . Et ça marche, plusieurs galeries et collectionneurs l’ont contacté. Pour André Sanou, peintre  » matiériste  » (selon l’expression de Jacques Binet) venant de Bobo-Dioulasso, le SIAO constitue le même tremplin, pour accéder, peut-être, au marché international de l’art. La dénomination  » Salon Artisanal  » ne le gêne pas :  » Il n’y a rien de petit pour devenir grand  » dit-il en souriant. Il a choisi d’exposer des oeuvres de petites dimensions plus abordables pour le public. Certaines de ses toiles sont exposées dans le stand plus spacieux de M. Hien. Celui-ci peut s’enorgueillir de posséder la seule véritable galerie d’art de la capitale et le Salon lui permet d’exposer quelques toiles de sa collection personnelle réunissant la plupart des artistes peintres contemporains du Burkina.
Un autre lieu est très prisé au SIAO pour la qualité des oeuvres présentées, c’est le Pavillon de la Créativité. L’accent y est mis sur l’alliance de la beauté et de l’utilité. C’est l’espace privilégié d’exposition du design africain : du tissage traditionnel reconverti en linge de maison ou en tenture aux marmites en aluminium transformées en siège par Alassane Drabo, toutes les matières sont présentes – bois, fer forgé, poterie, cuir…- et se marient entre elles avec bonheur.
C’est ici aussi que seront décernés la plupart des prix offerts par différents (10) opérateurs économiques. Leurs critères d’exigence pour sélectionner les objets prennent en compte la créativité, la finition et pour certains l’aspect utilitaire et reproductible en grande quantité. Le prix le plus couru (pour des raisons symboliques et financières : 10 000 dollars et des bourses de voyages à partager entre les trois lauréats) est celui de l’UNESCO : les oeuvres de Chérif Abderrahama Haïdara du Sénégal, de Samuel Lovi du Ghana et de la Coopérative Rahma de Mauritanie ont été élues et seront exposées au siège de l’UNESCO à Paris.
L’Agence de la Francophonie, TV 5-Cirtef, le Groupement Fraternité Matin (revue Femme d’Afrique) mettent les femmes, individuelles ou organisées en coopérative, au centre de leur préoccupation : ce sont les femmes d’Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Bénin, Niger, Burkina Faso, Sénégal) et la Mauritanie qui furent à l’honneur, essentiellement pour des confections en tissus (vêtements de grande qualité, linge de maison, tentures brodées…). Citons enfin deux jeunes burkinabè : Faustin W Tougma (du CNAA) remporte le premier prix de la Chambre de Commerce, d’Industrie et d’Artisanat du Burkina Faso pour un bas relief en bois mettant en exergue la lutte contre l’excision. Somnoago (dit Hubert) Compaoré a, quant à lui, obtenu le premier prix de l’Union Economique et Monétaire de l’Ouest Africain (UEMOA) pour son fauteuil à l’assise en bois et aux accoudoirs en… pneus. La récupération a encore un bel avenir.
Deux autres prix reviennent aux stands : le premier, pour le stand le mieux présenté a été décerné par le Président du Faso à la Côte d’Ivoire (le Burkina Faso arrivant en seconde position), et le second, offert par l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) au Mali, retenu pour la diversité, la qualité des produits et la gestion professionnelle de son stand.
La remise des prix indique à chacun, artistes, artisans, public, la clôture du SIAO 98. La prochaine édition est déjà très attendue, marquée par la date symbolique de l’an 2000. Elle est dès lors prévue du 27 octobre au 5 novembre 2000…

///Article N° : 642

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Les Instruments de musiquede Boubacar Balima2ème prix de la Semaine Nationale de la Culture - 1992. © Boubacar Balima





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