Lisbonne dans la ville noire

De Jean-Yves Loude

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Faisant écho au film d’Alain Tanner, Lisbonne dans la ville blanche, Jean-Yves Loude arpente la ville et les territoires dévolus aux communautés immigrées africaines, à la recherche de l’histoire de cette présence silencieuse. Ces espaces largement connus de tout voyageur aguerri de Lisbonne sont ainsi revisités en fonction de cette histoire occultée. Le narrateur-voyageur témoigne de la situation actuelle de ces populations issues le plus souvent des anciennes colonies (Cap-Vert, Guinée-Bissau, Angola, Mozambique, São Tomé et Princípe) qui, victimes de l’exclusion, se heurtent aux présupposés racistes d’une société qui au regard de son passé récent (la dictature salazariste, les guerres coloniales) n’a pas effectué de véritable travail de mémoire.
Le récit repose sur un argument fictionnel qui sert à la fois de prétexte et de fil d’ariane au voyage. Le point de départ  est une méthode d’apprentissage du portugais : le portugais en s’amusant. À la leçon n°75 une des voix féminines disparaît, l’auteur-narrateur-voyageur décide alors de se rendre à Lisbonne afin de retrouver cette voix. Cette voix n’est autre que celle de Maria la rebelle, une Cap-Verdienne, qui dans la méthode voulait inclure une leçon sur la présence africaine à Lisbonne…
Trois espaces narratifs sont ici juxtaposés : la déambulation dans Lisbonne à la recherche de Maria, les cours d’histoire sur la présence africaine et enfin les réflexions intimes de l’auteur.
C’est ainsi que l’on apprend que les premiers Africains sont arrivés à Lisbonne en 1441, offerts en cadeau à l’infant Dom Henrique. Puis les razzias successives ont alimenté le marché aux esclaves de Lisbonne. Au XVIe siècle, 10% de la population de Lisbonne était noire. Pendant très longtemps, les activités dévolues aux esclaves sont les travaux domestiques, l’entretien des rues, l’approvisionnement en eau… À partir de la fin du XVe siècle, les confréries religieuses acceptent en leur sein des esclaves noirs et leur permettent ainsi de faire valoir de maigres droits… L’esclavage est aboli au Portugal en 1878…
Les éléments d’ordre historique sont toujours analysés au regard de l’actualité et de l’éclairage de personnalités publiques des différentes communautés, amis de l’auteur qui l’entraînent dans de longues nuits arrosées et gustatives.
Le récit largement documenté fait œuvre de précurseur et s’avère très intéressant dans la mesure où il dévoile des faits historiques méconnus qui, jusqu’à présent, n’ont suscité l’intérêt que de quelques spécialistes. Néanmoins, on peut regretter une vision quelque peu exotique et complaisante de Lisbonne où abondent les lieux communs (les éternels tramways, le linge suspendu aux fenêtres, les rues labyrinthiques et les renvois incessants à des références culturelles que l’on retrouve dans toute bibliographie sur Lisbonne).

Jean-Yves Loude, Lisbonne dans la ville noire, Actes Sud, 320 p. 2003. 23 euros///Article N° : 2924

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