Logiques des modes kinoises

Entretien de Bibish Mumbu avec Marie Omba Djunga

Styliste et modéliste congolaise
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Marie Omba est une jeune styliste de 33 ans. Dans son article sur les pagnes de Kin paru dans « Congo Kinshasa » de Titouan Lamazou (Gallimard 2001), elle écrit : « Mon travail de styliste à Kin détourne la tradition du pagne tout en lui demeurant fidèle. J’habille la femme « afropéenne », ou comme d’autres disent la « bounty » (noire dehors et blanche dedans). » Exploration.

  Où as-tu appris ton métier ?
Un styliste est avant tout un concepteur qui a juste besoin de savoir dessiner. Je n’ai pas fait d’école de modélisme, où on modèle soit directement sur une personne (concept de haute couture), soit sur patrons. Je n’ai pas non plus fait la coupe couture. Les grands ateliers ont trouvé encore le moyen de différencier ceux qui coupent uniquement de ceux qui cousent uniquement… Mes initiales me prédestinaient : MOD !
 
Tu étais récemment en Afrique du Sud où tu as eu un prix. Quel a été ton sentiment dans ta rencontre avec le travail d’autres modélistes et stylistes d’Afrique ?
Ce fut effectivement une grande rencontre et, je dirais, une avancée dans le désert où je me posais beaucoup de questions, évoluant dans un pays en guerre. Pour moi, les Kora étaient un peu une lumière au bout du tunnel. Il y a eu toute une phase où j’avais besoin d’argent et donc je ne créais plus ! Mais je me suis dit que j’avais de la chance d’être du bon côté du pays, dans une zone non-occupée et que je ne devais pas laisser tomber.
C’était d’autant plus stimulant vu que c’était un évènement d’un grand impact et surtout un évènement africain. Dans les coulisses, bien qu’on savait qu’on était là pour un concours, on ne s’est pas regardé en rivaux. Il y régnait une grande entraide, dans l’habillement de nos mannequins, dans le placement des accessoires, etc.
Quels ont été tes débuts, tes galères ?
Je suis revenue au pays il y a 5 ans, mais j’ai fait les choses à l’envers en ouvrant une boutique : je me suis vite rendue compte que ça ne m’intéressait pas de vendre du prêt-à-porter, et que je voulais une boutique avec mes propres créations. J’ai donc fermé et travaillé en free-lance dans la mode. J’ai eu été deuxième lauréate au CREAKIN’, un concours de découverte de jeunes talents, et l’année suivante j’ai participé au comité d’organisation. Je m’occupais de la direction artistique, en stimulant et en encadrant les jeunes stylistes participants. Malheureusement l’évènement a capoté pour des raisons financières. En feuilletant une revue, je suis tombée sur un entrefilet des organisateurs des Kora qui appelaient les jeunes stylistes africains à envoyer leur candidature pour le concours des ‘Kora de la mode’, et comme j’avais vu à la télé la première édition du concours avec Alphadi et Gilles Touré, j’ai envoyé mon dossier.
Que signifie s’habiller à Kin d’après toi ?
Le Kinois aime s’habiller. Quelque soit la classe sociale, il est coquet, il aime le beau, il n’en a pas toujours les moyens mais il fait toujours l’effort de paraître, d’où un rapport d’amour avec la mode. Mais pour nous stylistes à Kinshasa, la difficulté est que le Kinois aime la sape, le phénomène d’une marque importée qu’on sublime. Il faut un bon marketing, créer des mythes et savoir vendre une image, c’est un travail de styliste.
Comment la mode évolue-t-elle ?
Il n’y a pas une mode en particulier. Les gens aiment s’habiller, donc ils sont toujours propres sur eux, il n’y a qu’à voir le phénomène du vendredi et du samedi soir, même au quotidien d’ailleurs ! C’est une mode qui se la joue un peu plus sur la griffe et le paraître et donc qui ne bouge pas tellement ; c’est une mode qui est fortement liée à la musique, les musiciens étant les modèles de référence de toute une jeunesse, ce qui veut dire une multiplicité de styles en fonction du musicien. Pour concurrencer ces griffes étrangères, il nous faut faire des alliances avec le monde de la musique, c’est un passage obligé.
La mode kinoise est-elle porteuse d’une sensibilité, d’une esthétique particulière ?
Non, et ce serait d’ailleurs le reproche que je pourrais faire au Kinois parce qu’il est comme un mouton qui suit. Il est rare de rencontrer des personnes qui marquent par leur habillement, non par rapport aux choses portées, les griffes, mais dans la manière de les porter, une façon d’être qui fait la différence. Ici, on veut la même chose que le voisin et on va le porter de la même façon, dans les mêmes couleurs alors qu’on pourrait jouer la variété. Le mal à Kinshasa c’est qu’on est trop dans les stéréotypes côté habillement, en fonction des métiers, des catégories.
Penses-tu que la mode kinoise puisse proposer à la longue un regard, un style qui lui soit propre ?
Non, et en cela on a du boulot à faire. Moi je remercie les artistes musiciens parce qu’ils nous ouvrent les voies en faisant danser toute l’Afrique, ce qui motive un capital sympathie qui nous facilite les contacts. Je cherche à être présente sur les grands évènements africains, mais tout cela est un investissement. Il y a bien des sponsors qui vous aident de gauche à droite, pour les Kora par exemple j’ai pu profiter de l’aide d’Utexafrica et de la Halle de la Gombe, centre culturel français.
 
Lors de l’ouverture des Jeux de la Francophonie au Canada, les participants africains présents portaient un costume traditionnel, c’était le cas notamment du Rwanda et du Tchad. Que pourrait porter le Congolais dans ce genre de rencontres ?
Il faut le créer ! Au moment de l’arrivée du colon, notre costume traditionnel se présentait en son expression la plus simple, se limitant parfois à un cache sexe ou un pagne en raphia, le fameux ‘tapis kuba’pour les castes supérieures ou tous ceux qui vivaient dans le voisinage du chef coutumier. Avec la colonisation et la doctrine des évolués, on a perdu ce côté traditionnel : l’Africain du bassin central n’a pas une réelle identité vestimentaire. Mais ça se crée. Actuellement, par exemple, dans les grands défilés, les stylistes comme Alphadi travaillent beaucoup avec le ‘tapis kuba’. Mais le Congolais a un complexe par rapport à sa culture, ce sont les Nigérians ou les Sénégalais qui utilisent le raphia !
Qui sont les stylistes congolais ?
Actuellement, on ne trouve pas de stylistes congolais formés, en dehors de José Ezam, qui évolue à Paris et travaille dans un style mode européenne pour un public international ; il ne fait pas une mode de revendication pour l’Afrique, pour son pays, bien qu’il vienne régulièrement au Congo et y laisse une cassette de ses défilés aux médias. Il refuse de rentrer dans les stéréotype qui obligeraient les stylistes africains à ne travailler que le pagne.
 
Comment as-tu implanté ta maison de couture ?
Ma griffe est en devenir parce que jusqu’à présent je dessine : c’est cela mon métier, et n’ai pas encore l’opportunité de lancer ma marque. J’ai monté un Bureau d’étude et de concept. Le sur mesure ne m’intéresse pas. Je préfère travailler des collections que je renouvèle par saisons. C’est ce que je proposerai au public dans une gamme de taille variée. Actuellement, le numéro un du textile au Congo, Utexafrica, est en difficultés à cause de la guerre, les zones occupées étant les plus riches et toute la production du coton n’arrivant pas à Kin. On dit même qu’elle est détruite, brûlée : les industries textile sont obligées d’importer leurs matières premières !
Quels seront tes canaux de diffusion ?
Tout tourne autour de l’organisation budgétaire. Actuellement, on travaille sur une image, mais je prépare un site web qui demande une séance photo, des textes, les mannequins, une séance maquillage, la réalisation des vêtements, etc. C’est tout un investissement !
On prépare aussi l’ouverture de ma boutique qui sera aussi un lieu de rencontre et de créativité des différentes disciplines artistiques – les vêtements avoisineront les sculptures et les tableaux. Le rapport avec la presse locale se passe plutôt bien : quand il y a une actualité je fais en sorte qu’elle soit diffusée.
 

Marie Omba Djunga Fashion Designer
Tél. 00243.9919501 – BP 7151 Kinshasa 1 ///Article N° : 2719

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