New York : de main de maître

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Dans l’un des angles des deux grands et lumineux espaces que le Metropolitan Museum de New-York consacre à l’art africain se déploie une petite exposition visant un but précis : mettre en valeur le talent tout à fait personnel de quelques uns des plus grands artistes africains, en l’occurrence celui d’une trentaine de sculpteurs yoruba, tels Owone, Bamgboye, Aerogun ou Bamgbose, qui tous furent célébrés comme  » maîtres  » et créateurs d’un style, d’une griffe, aisément reconnaissables, même si leurs oeuvres ne sont pas formellement signées et ont été le plus souvent présentées de façon anonyme dans les collections occidentales.
Aux titres et descriptifs des oeuvres s’adjoint donc le nom des artistes qui, dès l’âge de dix ans entraient en apprentissage dans les ateliers de sculpture, travaillant pour le maître qu’un jour ils égaleraient ou dépasseraient. Les apprentis aidaient certes largement l’artiste à réaliser son œuvre, mais la conception et l’exécution principale lui revenaient. Dans la culture yoruba, la composition, le volume, les couleurs, les contours d’une œuvre désignaient son auteur aux yeux de tous, aussi sûrement qu’un paraphe gravé.
Le plus célèbre des sculpteurs yoruba est sans doute Olowe of Ise (1873-1938) ; originaire de la région d’Ekiti, il travailla au service de son roi, l’Arinjale, puis pour les souverains d’autres régions, avant de voir ses oeuvres acquérir une réputation internationale lorsqu’en 1924, le British Museum se procura deux portes sculptées qu’il avait réalisées pour le palais d’Ikere. Quelques-unes de ses oeuvres sont présentes, parmi lesquelles un pilier de véranda représentant une femme portant un plateau, servant lui-même de support à un seigneur chevauchant un mulet ; la rapidité et la précision de la ligne, ainsi que la très grande habileté architecturale font partie des qualités unanimement reconnues d’Olowe.
Mais les oeuvres les plus frappantes de cette exposition sont peut-être les masques Epa, composés d’un visage assez abstrait faisant usage de socle sur lequel s’élève une pyramide de petits personnages, femmes, enfants, serviteurs ou soldats, entourant la figure principale qui s’élève majestueusement, femme épanouie symbole de plénitude maternelle, ou roi paradant sur son cheval-trône. Bamgboye (1893-1978) était passé maître dans la réalisation de ces masques extrêmement complexes, utilisés au cours de danses et cérémonies honorant une personnalité de la communauté.
Autres exemples de l’inventivité et l’originalité de ces sculpteurs hors du commun, les masques du culte Gelede, qui célèbrent le pouvoir des femmes, un pouvoir perçu comme ambivalent, créateur et donc aussi destructeur. Témoin ce masque étrange taillé dans le bois, un visage rond au regard et au sourire de sphynx, coiffé d’un bonnet en peau de serpent d’où surgissent deux courts tuyaux en forme de couettes où viennent s’encastrer deux longs corps verticaux et jumeaux de serpents en train d’engloutir deux antilopes dont on n’aperçoit plus que les têtes… Drôle de chevelure, imaginée et sculptée par Fagbite Asamu, originaire de Ketu, à l’ouest du Nigeria, et mort dans les années cinquante, et achevée par son fils Falola Edun, né en 1900, que l’on peut voir au travail dans une vidéo diffusée sur un petit écran.
Cette exposition atteint donc son objectif, tant il est clair que les sculpteurs yorubas, dans le cadre cérémoniel ou de commande qui leur est imposé, réussissent à imprimer leurs fortes personnalités dans des oeuvres très élaborées. Cela encouragera-t-il les conservateurs de musées à rechercher et reconnaître davantage les auteurs des joyaux de l’art africain ?

///Article N° : 194

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