La présence d’écrivains de la Guinée Équatoriale, dont Donato Ndongo Bidjogo, avait été la bonne nouvelle des journées culturelles organisées aux États-Unis, du 12 au 16 mai 1999, par la Faculté de langues romaines de l’Université de Columbia-Missouri, et consacrées à l’expression littéraire dans l’espace hispano-américain. La Guinée Équatoriale est en effet le seul pays hispanophone de l’Afrique subsaharienne. La création s’y trouve en plein essor.
Ancienne et unique colonie espagnole en Afrique Noire, la Guinée Équatoriale accède à l’indépendance en 1968. Très vite, le nouveau pouvoir indépendant coupe radicalement les liens avec l’ancienne métropole, l’Espagne, par la mise en place d’un régime répressif vivant en autarcie. L’élite intellectuelle formée au temps des Espagnols est décimée par les purges successives qui rythment l’évolution du régime. Le pays est dirigé d’une main de fer par le premier chef d’État, Macias Nguema. Macias, qui sera à l’origine d’un mode de gouvernement que Max Liniger-Goumaz (spécialiste de la Guinée Équatoriale et membre du collège espagnol d’études africaines) appelle « le nguemisme ». De 1968, année de l’indépendance, à 1979, date du coup d’État contre Macias, l’expression littéraire est étouffée et interdite. Ceux qui représentent le monde des arts et des lettres sont systématiquement éliminés. L’exécution du Dr Manuel Castillo Barril à la prison de Bata et l’assassinat du professeur Mambo Matala dans le pénitentiaire de Black Beach à Malabo symbolisent cet acharnement contre les intellectuels. Le « nguemisme » appliqué en Guinée Équatoriale se caractérise fondamentalement par le rejet de toute forme d’expression culturelle. Les intellectuels, pour préserver leur intégrité, n’avaient d’autre choix que l’exil en Espagne, à l’instar du Dr Nzé Abuy, premier évêque guinéo-équatorien et auteur de nombreux ouvrages (1).
La chute de Macias, en 1979, marque aussi le retour de la Guinée Équatoriale dans le giron occidental. En 1980, Malabo et Madrid concluent des accords de coopération. La culture occupe une place importante dans les nouvelles relations entre les deux pays. Trois hommes, trois personnalités de premier plan, anciens exilés en Espagne, vont jouer un rôle clé pour le renouveau culturel hispanophone en Guinée Équatoriale: le sculpteur Leandro Mbomio Nsue (2) (ministre de la Culture), l’écrivain Donato Ndong Bidjogo (3) (directeur adjoint du centre culturel hispano-guinéen et coordinateur de la revue culturelle Africa 2000) et le professeur Constantino Ochaa Nvé (4) (directeur de recherches scientifiques). Le centre culturel hispano-guinéen (Centro Hispano-Guineano), ouvert à Malabo au début des années 80 et doté d’une maison d’édition, devient rapidement le centre nerveux du renouveau culturel que vit le pays, moyennant le soutien de l’Espagne, par la publication et la diffusion des uvres de qualité écrites par les guinéo-équatoriens.
Au moment de son indépendance, en 1968, et pendant les onze premières années suivantes, la Guinée Équatoriale ne présentait sur sa page littéraire qu’un seul roman « Cuando los Combes Luchaban », écrit en 1953 par Leoncio Evita (5). Dans les années 80 on assiste à une véritable renaissance littéraire marquée par la multiplication de concours et prix. La Guinée Équatoriale connaît son « siglo de oro » (siècle d’or) qui se confirme dans les années 90 par la publication de plusieurs romans, essais et traités, souvent incorporés dans les programmes universitaires des pays voisins, Cameroun et Gabon notamment. C’est le cas du roman de Donato Ndongo Bidjogo « Las tinieblas de tu memoria negra »(Ténèbres dans ta mémoire noire)(6) et de « El Parroco de Niefang »(Le curé de Niefang) (7) écrit par l’auteur de ces lignes.
Au cours d’une conférence très suivie lors des journées culturelles de l’Université de Columbia, l’écrivain Donato Ndongo Bidjogo a présenté la littérature de son pays comme une expression originale en Afrique. Elle se développe dans un espace mixte de création hispano-africaine. L’expression littéraire guinéo-équatorienne s’inspire des récits de Cervantès, des poèmes d’Octavio Paz, des vers de Pablo Neruda, mais elle est aussi et surtout une création traditionnelle, un produit de l’imaginaire ancestral qui plonge ses racines dans l’Afrique profonde. L’Afrique des rites, l’Afrique des mythes, l’Afrique des légendes, l’Afrique de contes, des danses et de la palabre. La création artistique en Guinée Équatoriale se nourrit ainsi aux confins d’espaces culturels fondamentalement différents et paradoxalement complémentaires : l’Afrique, le monde ibérique et l’Amérique. La littérature guinéo-équatorinne s’exprime dans un espace culturel tridimensionnel : l’espace de l’Afroibéroaméricanisme. C’est son originalité (8).
Originalité aussi dans son évolution. La littérature guinéo-équatorienne se présente comme une littérature de transition à ses débuts ; elle est une expression de lutte dans la destruction de l’ordre colonial ; elle devient un cri de douleur dans son exil post-indépendantiste ; enfin, elle est un hymne à la liberté dans sa quête permanente d’un monde nouveau. La littérature guinéo-équatorienne est façonnée par de nouvelles réalités culturelles et marquée par de nouvelles valeurs identitaires.
Trois générations dominent l’expression littéraire guinéo-équatorienne. Ces générations sont parfaitement identifiées par la chronologie et le contexte historique : les Anciens (période coloniale 19001968) ; les Exilés (1968-1985) et les Contemporains (depuis 1985).
La littérature produite par la génération des anciens est dominée par la période coloniale. Dans un premier temps, cette littérature reflète la rupture qui s’opère dans la société africaine, violée par l’irruption brutale de l’homme blanc et son corollaire : le colonialisme. Ensuite, elle excelle dans la description de la nouvelle donne africaine, l’effacement de la société ancestrale au profit de la réalité coloniale. Enfin, cette littérature apporte le tout premier témoignage de prise de conscience de l’identité autochtone et pose les premiers jalons de la lutte pour l’indépendance nationale. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’uvre de Leoncio Evita déjà citée « Cuando los Combes Luchaban », un ouvrage qui marque son époque.
La génération des exilés est formée par des intellectuels qui ont connu la terreur ayant frappé les esprits durant les onze premières années de l’indépendance du pays. La plupart ont quitté la terre natale et les autres sont restés, isolés et exilés par le régime à l’intérieur même du pays. Dans cette période d’angoisse à l’intérieur du pays et d’anonymat à l’étranger, l’intellectuel guinéo-équatorien ne pouvait ne pas exprimer sa souffrance et celle de son peuple aux mains du dictateur. L’expression littéraire se transformait ainsi en un cri profond de l’homme africain, accablé par la réalité de son temps. C’est un lyrisme débordant qui occupe une place importante dans le contexte littéraire de la génération des exilés. C’est ce que le professeur Mbare Ngom (9) a appelé la « moriña ». La « moriña » traduit la contestation politique par l’expression profonde de la douleur intense. La génération des exilés est une génération des poètes, une génération blessée dans l’âme et meurtrie dans sa chair. Ils sont nombreux, anonymes et connus ; Zamora Loboch, Balboa Boneke, Ciriaco Bokesa, mais leur meilleur représentant, apôtre de l’identité Bantou et chantre de l’Afrohispanisme, est Anacleto Olo Mibuy (10), le « griot » de la littérature guinéo-équatorienne.
Les Contemporains intègrent la génération qui s’est affirmée depuis les années 80 avec la renaissance culturelle guinéo-équatorienne et le succès de l’action du « Centro Hispano-Guineano de Malabo ». Cette génération regroupe plusieurs personnalités qui, à la différence des générations précédentes plus homogènes, ont des itinéraires différents et variés. Leur thématique n’est pas la même. Ils n’ont pas de socle commun. Cette génération va de l’écrivain, Maria Nsue Agüe, auteur d' »Ekomo » (11), le premier roman écrit par une femme en Guinée Équatoriale à Juan Tomas Avila Laurel (12), auteur de plusieurs poèmes. L’uvre de Maria Nsue Angüe a le mérite de rompre avec les schémas traditionnels imposé par le classicisme espagnol. Avec un lexique castillan, elle crée un monde sémantique africain pour décrire la lutte d’une femme dans sa réalité traditionnelle et quotidienne africaine. « Ekomo » a été l’une des uvres qui ont beaucoup marqué la littérature guinéo-équatorienne. Alors que, à l’opposé, nous avons de nouveaux créateurs, encore dans l’anonymat. Leur poésie est comme un chant d’enfant naïf. Par moments, le souvenir nostalgique d’un temps passé avec un ami disparu vient assombrir le ciel illuminé de ces nouveaux poètes qui, fuyant la réalité africaine, préfèrent voir défiler le film de son temps à l’ombre d’un cocotier.
(1) Ciriaco Bokesa, « Nzé Abuy En el Recuerdo » Africa 200 n°16, p.4-5, éd- CCHG, Malabo, 1992.
(2) Leandro Mbomio Nsue, « Las Artes plasticas en La Sociedad Bantu » Africa 2000 n° 6, p. 4-15, éd CCHG, Malabo, 1989.
(3) Donato Ndongo Bidjogo, « Hispanidad », Africa 2000 n°6, p.2-3, éd-CCHG, Malabo, 1989.
(4) Ocha Mve Constantino, « Guinea Ecuatorial, Polémica y Realidad », Madrid, éd. Anzos, 1985.
(5) Leoncio Evita, « Cuando los Combes Luchaban », Madrid, IEA, 1953.
(6) Donato Ndong Bidjogo, « Las Tinieblas de tu memoria negra », éd Fundamento, Madrid, 1988.
(7) Gisèle Avome-Mba, « Religiosidad, descolonizacion y conflictos culturales : el Parroco de Niefang » CERAFIA, Département d’Etudes Ibériques, Université Omar Bongo, Libreville 1998.
(8) Joaquin Mbomio, « La originalidad de la literatura guineana », Department of Romance Languages & Literature, University of Missouri, Columbia, mai 1999.
(9) Mbare Mgom, « Afro-fascismo y creacion cultural en Guinea Ecuatorial : 1969-1979 », Revista Canadiense de Estudios Hispanicos, vol XXI, n°2 1997.
(10) Maria Nue Angüe, « Ekomo », Madrid, UNED 1985.
(11) Juan Tomas Avila Laurel, « Poemas », ed CCHG, Malabo 1998.Donato Ndongo Bidjgo
L’écrivain Donato Ndongo Bidjogo mérite une place à part, par la profondeur de sa pensée et la densité de son uvre. Il est l’un des écrivains les plus connus et les plus lus, non seulement en Guinée Équatoriale mais aussi en Espagne et dans le monde hispano-américain. Il appartient aux trois générations citées. « Las Tinieblas de tu Memoria Negra » dénonce le processus colonial. « Los Poderes de la Tempestad » (Pouvoirs déchaînés) appartient à la génération des exilés. En revanche, la compilation de ses articles et éditoriaux écrits principalement dans la décennie 80 et publiés dans la revue Africa 2000, fait autorité et constitue la principale référence du courant moderniste qu’incarne la génération des Contemporains dans le panorama littéraire de la Guinée Équatoriale.///Article N° : 1370