Penser la crise écologique depuis les Outre-Mer

"Ecologie & Politique" spécial Outre-Mer

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Auteur de « Une écologie décoloniale- Penser l’écologie depuis le monde caribéen » (2019), Malcom Ferdinand coordonne ce mois-ci, avec Mélissa Manglou, doctorante en géographie et en anthropologie, un numéro historique de la revue « Ecologie & politique » consacré pour la première fois aux Outre Mer. L’ouvrage était présenté à Paris le 10 décembre dernier. Africultures y était.

C’est la première fois depuis sa création que la Revue « Ecologie & politique », dirigée par le physicien, historien et géo politologue Jean-Paul Deléage, dédie l’intégralité d’un numéro aux Outre-Mer. Il aura fallu attendre soixante-deux numéros pour qu’une revue scientifique de langue française étende son panorama au DROM et collectivités ultramarines pour penser les projets d’alternatives sociales et politiques en matière d’écologie. Une première ! Car si le militantisme écologiste évolue depuis les années 1960 et anime aujourd’hui les débats politiques, la sous-représentation des Outre-Mer au sein de ces mêmes débats reste, elle, bien réelle.

Une sous-représentation qui, à l’aune des tensions et revendications actuelles aux Antilles et en Polynésie française, interroge en premier lieu le rapport des cénacles scientifiques à l’égard de ces espaces nationaux qui représentent pourtant 80% de la biodiversité du pays et 97% de ses eaux, lui conférant ainsi le statut de 2e puissance mondiale maritime.

Ce numéro 63 Ecologies politiques depuis les Outre-Mer, coordonné par Malcolm Ferdinand, docteur en science politique de l’université Paris Diderot et chercheur au CNRS (IRISSO) et Mélissa Manglou, doctorante en géographie et en anthropologie à l’École urbaine de Lyon, est ainsi le fruit d’une série de séminaires lancés en 2020 par l’Observatoire Terre Monde : centre d’études des écologies politiques des Outre-mer et proches régions1. Onze sessions de réflexions et de partages entre chercheurs ultra-marins, ouvertes au milieu associatif et au grand public, autour de trois grands axes : l’anthropocène, le niveau de démocratie et de souveraineté et la négociation de ces territoires avec leurs frontières. « Une première » là aussi selon Malcom Ferdinand (2), membre co-fondateur de l’Observatoire. « Je n’ai jamais vu la Guadeloupe, la Guyane et Madagascar échanger sur des problématiques écologiques concrètes, partager leurs données scientifiques …  D’habitude les débats se font plutôt en silo depuis Paris ou les grandes capitales et restent très restreints ». Car selon le chercheur au CNRS, l’accès à l’information et aux données est aujourd’hui clé pour les acteurs et penseurs de demain. Comment se former ? Comment trouver des offres de financement pour des projets de recherche ? Comment consolider des propositions concrètes pour une plus grande justice sociale et environnementale dans les Outre-Mer ? Sont autant de problématiques auxquelles l’Observatoire tente d’apporter des réponses.

Des réponses qui émanent, a fortiori, toutes d’une même question : quelles traces et conséquences, l’habiter colonial (2) a-t-il sur la Terre et ses habitants (vivants et non-vivants) ? En effet, malgré une grande pluralité géographique, les douze territoires ultra-marins français (la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, La Nouvelle-Calédonie, La Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les Terres Australes et Antarctiques Françaises et les îles de Wallis-et-Futuna) ont tous deux points communs : d’une part ils partagent une histoire coloniale (1635-1946) et d’autre part, ils sont aujourd’hui la scène de fortes inégalités. Les taux de chômage, d’illettrisme3, d’accès à l’eau potable ou à l’éducation y sont, par exemple, plus élevés qu’en France hexagonale. Une fracture coloniale qui se place aujourd’hui comme l’un des enjeux centraux de la crise écologique et qui alimente de nouvelles pistes de recherches. « Cela découle du constat que les pollutions, les pertes de biodiversité de même que le réchauffement climatique sont les traces matérielles de cet habiter colonial de la Terre, comprenant les inégalités sociales globales, des discriminations de genre et de race. » souligne Malcom Ferdinand.

Aussi, à travers une série d’articles présentés dans ce numéro 63 sur les thèmes du traitement des déchets à La Réunion, de l’usage du béton sous les tropiques dans les politiques du logement, de l’exploitation du nickel en Nouvelle-Calédonie, des essais nucléaires en Polynésie  ou de la problématique sanitaire de l’échouement des sargasses en Martinique… ce collectif de jeunes chercheurs et doctorants propose de (re)penser les écologies politiques depuis les Outre-mer et de conceptualiser la crise écologique à partir des situations postcoloniales de ces territoires.

L’enjeu est à la fois de défendre des écosystèmes menacés (barrières récifales, forêt primaire, paysages côtiers, pollution toxique des sols…) ; d’investir la recherche en écologie en mobilisant davantage des acteurs originaires de ces régions et d’améliorer le traitement médiatique réservé aux Outre-Mer.
Des travaux et une mobilisation qui rappellent que si la France entend combattre efficacement la crise écologique, elle ne pourra le faire sans prendre en considération l’ensemble des problématiques environnementales, raciales et sociétales de son territoire ; et sans modifier son imaginaire collectif national.

 

En savoir plus : https://terremonde.hypotheses.org/ // http://www.ecologie-et-politique.info/

Écologies politiques depuis les Outre-mer, numéro 63 aux Editions Le Bord de l’eau.

Une écologie décoloniale, penser l’écologie depuis le monde caribéen, Editions du Seuil, 2019.

 

Notes :

1 L’Observatoire Terre Monde (OTM) est un lieu d’étude, de veille, d’actions et de diffusion de recherches et de connaissances autour des enjeux écologiques inhérents aux territoires d’Outre-Mer, créé une équipe de chercheurs ultramarins en 2020. Il vise à décloisonner les savoirs autour des DROM et proches régions à créer des ponts avec les milieux associatifs et militants écologiques.

2 L’habiter colonial est un concept développé par Malcom Ferdinand dans son ouvrage « Une écologie décoloniale, penser l’écologie depuis le monde caribéen » publié aux éditions du Seuil en octobre 2019 (page 158). Il fait référence à une manière d’habiter la terre synonyme de défrichages ou d’exploitation extrême des sols colonisées à partir du XVIIIe notamment en Haïti, à travers la culture de la canne à sucre.

3 A titre d’exemple, le taux d’illettrisme à La Réunion atteint 23% soit près d’un quart de la population.

 

 

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