Depuis quelques jours j’ai allumé la télévision comme beaucoup pour suivre en direct les événements dramatiques. Nous sommes dans l’ère de la télé-réalité et les scènes de violence ne sont pas exclues maintenant. Je réalise que je suis captivée par l’horreur alors que je devrais éteindre. J’écoute les uns et les autres, je regarde ces images d’une violence inouïe qui me coupent l’appétit et je sens que je subis les images, je subis les points de vue. Je pleure puis je rage. Je ne sais plus ce que je dois éprouver. Car ce qui arrive ouvre la blessure d’une Algérie meurtrie par la barbarie pendant dix années sans la solidarité de personne.
Moi l’adulte, je deviens insupportable à tenir sur ma chaise et je réalise que mon adolescente reste calme et sereine devant moi. Je veux qu’on parle ensemble de ce qui arrive car il s’agit de son avenir qui est menacé. Je finis par me tourner vers elle et je lui demande ce qu’elle pense de toutes ces images et ces commentaires. Adepte des séries policières, sa réponse est immédiate et toujours sur un ton calme : Les séries de télévision sont plus crédibles que la réalité qu’on nous montre. Dans la même soirée une parente depuis l’Algérie me contacte inquiète pour prendre de nos nouvelles. Ironie du sort ! Il y a quelques années c’est moi qui appelais pour prendre des nouvelles du pays. Je profite pour lui demander ce qu’on dit en Algérie de la situation puisque tous les Algériens suivent le programme français. Elle me répond qu’ils ont l’impression de voir une pièce de théâtre.
Oui une scène de théâtre ! Mais avec des vrais morts, du vrai sang, des vraies douleurs. La culture ne joue plus son rôle, elle n’arrive plus à permettre d’accéder à la symbolisation afin de les exprimer sous différentes formes artistiques.
C’était la claque hier soir. J’ai éteint la télévision que ne rallumerai plus. Ma fille m’a ouvert les yeux. La jeunesse dont on se moque car toujours scotchée à ses appareils électroniques n’est pas démunie d’intelligence et de capacité d’analyser le monde. J’ai compris que la bêtise vient des adultes et non des enfants. Des adultes qui ne pensent plus. Ils ne regardent plus en arrière, ils n’interrogent plus le passé, ils ne veulent plus comprendre mais passent leur temps à trouver un bouc émissaire pour accuser et justifier la haine qui est dans leur cur aussi. Je rêve d’une table ronde intelligente où historiens, philosophes nous aident à comprendre le monde de désillusion dans lequel nous vivons. Je souhaiterais vivement que la consigne donnée pendant l’émission soit celle-ci : ne pas citer une seule fois l’Islam. Car nous savons que le problème est bien ailleurs, autrement comment expliquer les 200 000 Algériens, les milliers d’Afghans, Iraniens, Palestiniens, Syriens, Maliens, Nigérians, Tunisiens, Libyens, et j’en oublie qui sont massacrés. Ne sont-ils pas tous des peuples musulmans ?
Je n’écouterai plus les informations surtout que nous n’avons plus les nouvelles du reste du monde où les gens continuent de mourir pour les mêmes raisons. Je ne regarderai plus tant que l’hypothèse est unique, tant qu’on pense que ces barbares tuent au nom d’une religion. Je choisirai les personnes avec qui j’aurai envie de discuter et réfléchir, j’irai me nourrir des images du cinéma et surtout je replonge dans les ouvrages indispensables qui aident à avancer, à aller mieux car dans le passé il y avait des penseurs, ils ont pensé le monde et la folie humaine qui a tué il y a si peu de temps des millions de Juifs au cur de l’Europe. Ce n’était pas des musulmans ! La violence est en chacun de nous et nous passons notre temps à la canaliser, songez à consulter les psychiatres et les psychanalystes ! La folie est universelle, je l’expérimente dans mon travail chaque jour. La paranoïa existe, les délires mystiques et de grandeur aussi, quand ils sont collectifs, il y a le génocide du Rwanda, le génocide des Bosniaques, des Arméniens, des juifs pour ne citer que le vingtième siècle.
Cherchons plutôt à comprendre les liens qui se sont rompus entre les êtres humains, les malaises de la civilisation depuis la révolution industrielle. Puisque mon seul refuge sera plus qu’avant les livres, je partage avec vous une nouvelle fois un extrait de ma lecture qui ne me quitte plus en ce moment :
Le psychanalyste, Sigmund Freud répondant en 1932 à une lettre adressée par le physicien, Albert Einstein :
« J’ai scrupule à abuser de votre attention qui entend se porter sur les moyens de prévenir la guerre et non sur nos théories. Et pourtant je voudrais m’attarder encore un instant à notre instinct de destruction, dont la vogue n’est rien en regard de son importance. Avec une petite dépense de spéculation, nous en sommes arrivés à concevoir que cette pulsion agit au sein de tout être vivant et qu’elle tend à le vouer à la ruine, à ramener la vie à l’état de matière inanimée. Un tel penchant méritait véritablement l’appellation d’instinct de mort, tandis que les pulsions érotiques représentent les efforts vers la vie. L’instinct de mort devient pulsion destructrice par le fait qu’il s’extériorise, à l’aide de certains organes, contre les objets, contre les objets. L’être animé protège pour ainsi dire sa propre existence en détruisant l’élément étranger. Mais une part de l’instinct de mort demeure agissante au-dedans de l’être animé et nous avons tenté de faire dériver toute une série de phénomènes normaux et pathologiques de cette réversion intérieure de la pulsion destructrice. Nous avons même commis l’hérésie d’expliquer l’origine de notre conscience par un de ces revirements de l’agressivité vers le dedans. On ne saurait donc, vous le voyez, considérer un tel phénomène à la légère, quand il se manifeste sur une trop grande échelle ; il en devient proprement malsain, tandis que l’application de ces forces instinctives à la destruction dans le monde extérieur soulage l’être vivant et doit avoir une action bienfaisante. Cela peut servir d’excuse biologique à tous les penchants haïssables et dangereux contre lesquels nous luttons. Force nous est donc d’avouer qu’ils sont plus près de la nature que la résistance que nous leur opposons et pour laquelle il nous faut encore trouver une explication. Peut-être avez-vous l’impression que nos théories sont une manière mythologique qui, en l’espèce, n’a rien de réconfortant. Mais Est-ce que toute science ne se ramène pas à cette sorte de mythologie ? En va-t-il autrement pour vous dans le domaine de la physique ?
Voilà qui nous permet de conclure, pour revenir à notre sujet, que l’on ferait uvre inutile à prétendre supprimer les penchants destructeurs des hommes. En des contrées heureuses de la terre, où la nature offre à profusion tout ce dont l’homme a besoin, il doit y avoir des peuples dont la vie s’écoule dans la douceur et qui ne connaissent ni la contrainte ni l’agression. J’ai peine à y croire et je serai heureux d’en savoir plus long sur ces êtres de félicité.
…
D’ailleurs, ainsi que vous le marquez-vous même, il ne s’agit pas de supprimer le penchant humain à l’agression ; on peut s’efforcer de le canaliser, de telle sorte qu’il ne trouve pas son mode d’expression dans la guerre.
En partant, de nos lois mythologiques de l’instinct, nous arrivons aisément à une formule qui fraye indirectement une voie à la lutte contre la guerre. Si la propension à la guerre est un produit de la pulsion destructrice, il y a donc lieu de faire appel à l’adversaire de ce penchant, à L’Eros. Tout ce qui engendre, parmi les hommes, des liens de sentiments doit agir contre la guerre. Ces liens peuvent être de deux sortes. En premier lieu, des rapports tels qu’il s’en manifeste à l’égard d’un objet d’amour, même sans intentions sexuelles. La psychanalyse n’a pas à rougir de parler d’amour, en l’occurrence, car la religion use d’un même langage : aime ton prochain comme toi-même. Obligation facile à proférer, mais difficile à remplir. La seconde catégorie de liens sentimentaux est celle qui procède de l’identification. C’est sur eux que repose, en grande partie, l’édifice de la société humaine. »
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