Fiche Personne
Musique Cinéma/TV

Guy Konket

Chanteur/euse, Réalisateur/trice
Guadeloupe

Français

Hommage à Guy Konket
Des extraits de ce texte ont été lus au cours de la cérémonie qui s’est tenue le 29 septembre 2013 au Musée du Quai Branly (Paris), concert-hommage à la mémoire du musicien guadeloupéen disparu le 23 mai 2012.

Portrait par Catherine Humblot

Guy an nou

Tu étais comme les sept rythmes du Ka, une énergie venue d’Afrique
et qui n’avait rien perdu à l’épreuve de la terrible traversée.

Le gro’Ka est une musique de l’être, et tu en transportais tous les attributs, les variations…
Un feu t’habitait en permanence,
le même feu qui brûlait les tambours emballés comme des chevaux sauvages les soirs de bal dans la campagne, ou chez Man Soso, ta mère, à Ja Brun.

Faire le portrait de Guy, un défi…
Parler de lui, c’est bien sûr parler du musicien.
Il était « LA » musique. Et la musique, comme en Afrique, charrie tout ce qu’il y a à dire sur l’homme, sur tous les temps de la vie.

Guy Konket ? Personnalité inépuisable, contradictoire, feu follet, sage et rebelle à la fois. Charisme absolu, humour très spécial. Une drôlerie communicative, qui vous enveloppait dans ses filets. Avec ceux qui l’inspiraient, il installait une complicité immédiate, sinon il pouvait s’endormir.
Un peu filou aussi. Un paysan et un prince. Un vagabond élégant. Un poète qui aimait la vie, les femmes, la cuisine, les lunettes noires, l’alcool, les excès.

Qu’est-ce qui fait qu’avec lui, la vie était plus intense ? En sa présence, la vibration de l’air, devenait d’un coup plus électrique ! L’atmosphère montait d’un cran dès son apparition sur scène – qu’il savait faire attendre… parfois jusqu’à l’insupportable.

Avec Guy Konket, un concert était toujours empreint d’une certaine incertitude : allait-il même venir ? Cela faisait partie du programme. C’est l’esprit du Ka. Le Ka dont il disait :

Le Ka, c’est le tambour, mais pas seulement le tambour, c’est beaucoup d’autres choses aussi. Le Ka fait musique, c’est le son. Ce sont les êtres aussi. Ka, ce sont les êtres qui font des choses…
– Un cuisinier peut être un Ka, un paysan peut être un Ka. C’est quelqu’un qui fait les choses bien. C’et beau…

Ka, c’est quelqu’un qui arrive et on ne sait pas exactement ce qui va se passer. « Mais qu’est-ce qu’il va faire ? ». Il faut attendre.
Un Ka est toujours une création. Ça peut être la tempête, l’orage, les éclairs, ou le calme, la mer. Le sens du terme n’est pas défini mais un Ka c’est un Ka, ça ne peut pas être autre chose.

Guy était un fin cuisinier. Un cuisinier Ka. Une passion qui l’occupait dès le matin. Il fallait acheter, puis faire. On mangeait quand c’était prêt, peu importe l’heure. Malaxer le poulet, la morue ou le requin, intégrer les épices, faire dorer, mijoter, exigeait le même sérieux, la même concentration que travailler les sons pour un concert. Enfin on passait à table. Pour Guy, un repas était un moment de partage. Comme à Ja Brun.

Ja Brun où il est né, au milieu des champs de canne. Fils de paysans, Guy a connu enfant, auprès de sa mère, l’ambiance des léwoz où l’on danse pieds nus jusqu’à l’aube. C’est là qu’il écoutait Carnot et Vélo, les maîtres-tambours. Man Soso était une reine quand elle dansait ! Alors que le gwo’Ka était rejeté, méprisé par la bonne société guadeloupéenne – « mizik à vié nèg » ! -, Konket sentait toute la noblesse de ces rythmes faits pour consoler autant que pour donner du courage.

Ce fut son combat. Mené sans relâche, avec une intransigeance parfois suicidaire face aux dérives qui menaçaient sans cesse, dont celles du show business.

Guy Konket avait une conscience élevée de son rôle. Artiste écorché à l’allure de prophète, il a réussi à sortir le gwo’Ka du folklore où il s’enlisait dans les années 1960, avant de le faire connaître – et reconnaître – hors des frontières de la Guadeloupe, en métropole et dans le monde.

Il a été un des premiers à faire monter sur scène les tambours des ancêtres, introduisant de nouveaux instruments – calebasse, guitare basse, piano, flûte, synthé… – tout en gardant la discipline du Ka, l’esprit de rébellion. Il a su retrouver la violence des temps de l’esclavage – quand le gwo’Ka, perçu comme un appel à la révolte, était interdit par les maîtres -, pour la transformer en feu rédempteur. Il a redonné à cette musique sa vertu de mémoire, maintenant sa pureté, son authenticité, tout en la marquant de sa personnalité propre.

Le gwo’Ka n’est pas une musique de divertissement, même si elle procure du plaisir – et quel plaisir ! – c’est une manière « sainte » de produire un son, parce qu’elle puise dans les profondeurs de l’histoire. « L’âme et l’arme d’un peuple ».

Sans concession, rebelle, Guy Konket s’est engagé dans le mouvement indépendantiste dès la fin des années 1960 sans jamais se laisser enfermer dans aucun parti ni système. La Gwadloup malad, un de ses plus beaux titres, interdit sur les ondes pendant plus de dix ans, est devenu l’hymne du pays !

Etranger aux stratégies de carrière, Guy aimait jouer quand ça lui plaisait. Il a avancé par à coups, avec des hauts et des bas, imposant son swing, la force identitaire de ses racines, sa voix puissante lancée à l’assaut des tambours, sa liberté.

De petites en grandes salles jusqu’aux grands Festivals internationaux, il y eut des moments mémorables : de la Chapelle des Lombards au New-Morning, du Palais des Glaces au Petit Journal Montparnasse, le Théâtre de la Bastille, Avignon, Londres, New-York, Toronto… Guy Konket n’avait pas fini de faire parler les tambours.

Personnage hors norme, provocateur candide, qui divise autant qu’il rassemble, il était « le » poète, l’âme de cette musique.
Flamme turbulente.
La vie… La vie même !


Catherine Humblot
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