Made in Dakar

D'Orchestra Baobab

Coup de foudre
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Avec le Bembeya Jazz guinéen et le Rail Band malien le Baobab sénégalais fait figure de rescapé parmi les innombrables grands orchestres presque tous décédés qui inventèrent la musique moderne africaine au cours des deux premières décennies qui suivirent les indépendances. Rescapé ?…non, plutôt ressuscité, car on retrouve dans ce nouvel album, et bien plus encore que dans le précédent (« Specialist in all styles », 2002), toutes les qualités des premiers enregistrements de l’Orchestra Baobab.
Inutile de retracer ici toute son histoire (*).
Baobab incarne avant tout la passion de la génération africaine des indépendances pour le son afro-cubain, et son appropriation réussie par de nombreux musiciens du continent.
Cette passion n’est certes pas éteinte, comme en témoigne notamment aujourd’hui le succès du groupe Africando.
Cependant, au Sénégal comme ailleurs, elle a été peu à peu éclipsée par la revendication de musiques plus autochtones, capables d’assumer un rôle de miroir identitaire.
A Dakar, le mbalax dérivé de la polyrythmie traditionnelle wolof a régné sans partage, et l’on a un peu oublié que ses principaux inventeurs avaient débuté dans les orchestres afro-cubains. Dissous en 1985, l’Orchestra Baobab ne s’est reconstitué qu’en 2001 à l’initiative du producteur anglais Nick Gold (le parrain du fameux projet « Buena Vista Social Club »).
Il ne s’agit pas d’un retour à la case départ : même si Baobab aime à reprendre les compositions de ses anciens chanteurs vedettes comme Medoune Diallo, Thione Seck ou le génial Laye Mboup (mort en 1975), le répertoire rythmique de l’orchestre s’est nettement diversifié sous l’influence du mbalax.
Baobab (nom de la boîte très huppée où jouait l’orchestre dans les années 1970) s’est récemment réimplanté dans un nouveau club chic, le Just 4 U, où il se produit tous les samedis.
« Made in Dakar » a été enregistré dans le studio Xippi de Youssou N’Dour. Ce dernier, qui a beaucoup contribué à la reformation de l’orchestre, interprète le magnifique « Nijaay » aux côtés de son protégé le jeune ténor Assane Mboup, benjamin de Baobab – où l’âge moyen frise la soixantaine. Youssou est venu avec deux de ses percussionnistes favoris, Thio Mbaye (tambours sabar) et Assane Thiam (tambour tama), qui apportent la frénésie rythmique du mbalax, notamment dans « Ndéleng Ndéleng », « Sibam » et surtout l’irrésistible « Ami Kita Bay », emblématique du mbalsa – néologisme dont Baobab a baptisé cette fusion entre mbalax et salsa dont il revendique la paternité… Même si un test adn pourrait se révéler assez hasardeux entre Africando et Baobab !
« Made in Dakar » réunit toutes les qualités complémentaires de ces deux musiques, le romantisme afro-cubain n’étant certes pas contradictoire avec l’exubérance sénégambienne. Les racines de Baobab débordent d’ailleurs largement des frontières de cette région, ne fût-ce que par les origines si multiples de ses membres fondateurs, des langues et des styles vocaux qu’ils pratiquent. Le titre « Made in Dakar » nous rappelle d’ailleurs que ce grand port a toujours été un creuset musical très éclectique.
Ainsi il n’est pas inutile de rappeler que les deux chanteurs fondateurs de Baobab, Rudy Gomis et Balla Sidibé, sont originaires de Casamance, région dont les rythmes très différents de ceux des Wolof contribuent à l’originalité de leur répertoire – en témoignent entre autres « Sibam », inspiré par les tambours saoruba, ou l’usage du créole de la Guinée-Bissau voisine dans « Cabral », hommage au libérateur de ce pays.
Un disque de Baobab – à l’instar de ceux d’Africando – est un festival de belles voix viriles – pour la parité, on repassera, car la femme n’apparaît ici que comme dédicataire de ballades amoureuses aussi charmantes qu’ « Aline » ou « Colette ».
Cette absence regrettable de voix féminine (que la critique locale ne mentionne jamais, comme si elle allait de soi) l’un des musiciens de Baobab m’en a donné (off) une explication éclairante : l’orchestre animant le club où l’élite politique allait s’encanailler et picoler en catimini, la présence d’une femme sur scène aurait pu compromettre la discrétion de rigueur !
Baobab reste avant tout un formidable orchestre festif, digne de séduire les plus exigeants des danseurs. Chaque chanson de ce disque est exemplaire par sa virtuosité rythmique. Les chanteurs y sont d’ailleurs aussi d’excellents percussionnistes. Baobab a hérité en outre des qualités orchestrales proverbiales de ses grands modèles mandingues comme le Bembeya Jazz de Guinée, auquel il rend hommage par une reprise vraiment sensationnelle de « Beni Baraale ».
Ce morceau n’est pas le seul où se distingue l’intelligence des arrangements de Barthélémy Atisso, guitariste virtuose togolais qui est l’un des deux instrumentistes majeurs de Baobab, avec le fougueux griot-saxophoniste Issa Cissoko.
De la première à la dernière note de « Made in Dakar », on est sans cesse submergé par l’allégresse qui s’en dégage, par une irrésistible envie de danser et de vivre.
Hélas, au moment même où sort ce disque, une fois de plus on apprend que des dizaines de jeunes dakarois viennent d’être eux aussi submergés, mais par les vagues mortelles de l’océan, au nom du même désir de vivre, loin de leur désespoir.
C’est alors que surgit la voix rageuse et sublime de Ndouga Dieng, qui exprime dans « Jirim » (seul morceau 100% mbalax) la souffrance des enfants abandonnés « made in Dakar ».
Non, Baobab n’est pas qu’un « orchestre de danse ».

(*) À lire sur africultures.com notre reportage : « L’Orchestra Baobab refleurit ».Made in Dakar, d’Orchestra Baobab (World Circuit / harmonia mundi – livret en anglais)///Article N° : 7065

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