Président de la Fédération Nationale des Chasseurs du Mali

Entretien d'Alexandre Mensah avec Sidi Mohammed Keïta

Print Friendly, PDF & Email

Quelle place occupez-vous au sein de la confrérie des chasseurs ?
Je suis le président actif de l’association de la confrérie des chasseurs du Mali, en somme le pivot. Le donso ba, lui, est le doyen de tous les chasseurs. Il est le responsable de tous les problèmes sociaux et autres. Moi, je gère tout ce qui concerne les problèmes administratifs entre chasseurs. Il faut passer par moi pour contacter les chasseurs en vue d’un rassemblement pour une manifestation publique. La seule organisation à laquelle on peut faire appel pour un rassemblement à la minute, à la seconde, ce sont les chasseurs ! Lorsque l’on dit chasseurs, il ne s’agit bien sûr pas seulement de la capitale. Pour pouvoir contacter tous ces camarades qui sont de la brousse, on doit faire transiter l’information par les villages. Inversement, lorsque les chasseurs ont des problèmes avec les forestiers en brousse, ils s’adressent à nous, au bureau de l’association. Nous intervenons alors auprès des autorités administratives pour trouver un consensus. Elles se montrent heureusement souvent compréhensives. On en arrive rarement au stade de la contravention. Généralement, ces problèmes impliquent des chasseurs qui ont peu d’instruction et qui peuvent confondre la chasse avec le droit de tout faire. Sans le faire exprès, ils enfreignent la législation ou la loi de la chasse. Ils ont besoin d’une certaine éducation. Mais compte tenu de nos moyens très limités, on ne peut pas les sensibiliser comme il se doit. C’est en cela qu’il y a quand même une entente entre nous et les services des eaux et forêts.
L’association s’est donc fixée pour but d’éduquer ses membres aux règles administratives ?
C’est notre rôle et notre souhait également. C’est ce que nous essayons de faire comprendre à l’administration. Si l’on mettait les moyens à notre disposition, nombre de malentendus n’arriveraient pas. Si nous disposions de véhicules, nous jalonnerions toute la République du Mali qui, vous le savez, est très vaste. Les huit régions sont impossibles à couvrir sans moyens. Nous sommes pourtant souvent sollicités dans les régions de Ségou, de Sikasso, même jusque dans les sixième et septième régions ; toujours pour des problèmes opposant l’administration aux chasseurs qui sont aussi paysans le plus souvent.
Dans quelle mesure travaillez-vous en collaboration avec le donso ba, doyen des chasseurs ?
On ne peut rien faire sans le donso ba. On suit ses décisions et ses conseils. Je vous dis que c’est le plus âgé. Il est plus vu et plus entendu que nous. Nous ignorons certaines règles de la chasse que lui seul connaît. Tous les problèmes à régler, s’ils ne sont pas sur un plan administratif, sont de son ressort. A partir de sa décision, vu qu’administrativement il n’est pas lettré, nous pouvons avoir à adapter une règle de jadis pour qu’elle soit viable dans le contexte d’aujourd’hui.
Votre poste de président constitue-t-il une activité à temps plein ?
Absolument pas. Je suis d’abord un fonctionnaire, un inspecteur des impôts en retraite. A côté de cela, je mène d’autres activités. Je pratique un peu le transport, je fais des courses pour un hôtelier. Tout cela pour arrondir les angles. Mais mon activité pour la fédération me prend l’essentiel de mon temps. On a continuellement des dossiers en suspend. J’occupe ce poste depuis à peu près dix ans. Avant cela, j’étais le secrétaire général adjoint aux côtés de M. Ali Douma Koné, qui est décédé. J’ai alors été nommé secrétaire général. En 1991, à la suite du problème de division de l’association, nous avons été amenés a créer la fédération. Cinq ou six personnes de chaque région, pour les huit régions, en ont été les représentants. Lors de cette réunion, j’ai été nommé président actif aux côtés du donso ba, M. Bala Coulibaly, qui a remplacé M. Bakary Sidibé, président fondateur de l’association en 1959. Cette association était appelée à sa création « Association Nationale des Chasseurs Soudanais » et englobait Européens, Africains, Libanais, etc.
Les chasseurs peuvent être impliqués dans le maintien de la sécurité des biens et des personnes des villages de brousse. Comment réagissez-vous à cet état de fait ?
Ce problème-là se pose très souvent. Actuellement, l’administration ne peut pas veiller à la sécurité de tous les biens. Le monde, tel qu’il est, est plein de fainéants qui ne veulent pas travailler et qui passent leur temps à piller les villageois ou les paysans, à voler leurs animaux. A notre niveau, on a demandé à nos chasseurs de veiller comme jadis. Dans le temps, les villages étaient surveillés par eux. Je peux vous dire que presque tous les villages ou villes qui ont été installés au Mali ont en partie été créés par les chasseurs. Ils ont toujours veillé à la sécurité. En accord avec l’administration, il a été convenu qu’ils veillent la nuit et que, lorsqu’ils arrivent à repérer des voleurs, ils les arrêtent et les conduisent avec les animaux à l’autorité administrative, soit à la gendarmerie ou au commandant de cercle. Ils mettent alors les biens volés à disposition pour qu’ils retournent à leurs propriétaires. Je vous dis que ces derniers temps, nous avons vécu énormément de cas de ce genre, impliquant des vols de chèvres, de moutons, de vaches, etc. La vigilance des chasseurs a vraiment compté pour mettre un frein à ces vols et ces pillages. Car dans une ville, deux ou trois gendarmes ne peuvent pas suffir à une telle tâche.
La tentation de faire justice soi-même peut-elle se manifester ?
Cela peut arriver, souvent même. Au lieu de conduire ces malfaiteurs à l’autorité, les chasseurs tentent de les attacher, de les corriger ou de les frapper. Sans vouloir médire sur les gendarmes, il arrive souvent que des voleurs qui ont été livrés se retrouvent en liberté au lendemain de tels faits. Il y a le cas des mineurs qui se mettent à voler, avec la complicité de certains. Quand les chasseurs les attrapent et les amènent à l’autorité, qu’ils les voient relaxés parce qu’ils ne tombent pas sous le coup de la loi. Ils ne voient pas ça d’un bon oeil. Ils essayent alors de se rendre justice. Là, c’est une incompréhension entre l’autorité et ces gens qui ne font pas la distinction entre majeurs et mineurs.
Dans de plus larges conflits, tels que celui de la rébellion touareg au début des années 90, les chasseurs ont-ils été directement impliqués ?
Non, nous avons proposé notre collaboration. Mais, l’administration a eu un peu peur d’envenimer les choses et a préféré se cantonner au niveau de l’armée. Des chasseurs ont été impliqués individuellement mais pas officiellement.
Existe-t-il des liens entre les chasseurs et l’armée malienne ?
Le capitaine que vous avez rencontré la dernière fois fait partie de la Garde républicaine. Une branche s’est associée à la fédération. Beaucoup d’entre eux sont enfants de chasseurs. Il y a donc une représentation de ceux qui sont militaires dans notre structure. Je vous le dis, dans la chasse, il ne saurait y avoir plusieurs associations parce qu’on ne peut pas parler plusieurs langages. Quand un chasseur se perd, c’est un chasseur qui va le chercher. Quand un pêcheur se perd, c’est un pêcheur qui va le chercher. Quand on dit que la démocratie permet de faire ceci ou cela, ce n’est pas vrai. Il ne peut pas y avoir normalement deux corporations. C’est ce que signifie cette notion d’ensemble qu’est une fédération. On doit travailler dans le sens de l’union. Si nous réussissons à nous unir, nous pouvons acquérir beaucoup de choses avec l’administration. Si, par contre, elle doit faire face à deux interlocuteurs, c’est impossible. A Bamako, il doit y avoir au moins une case des chasseurs pour y mettre tout l’équipement nécessaire aux chasseurs. Et si nous y arrivons, elle doit être pour tout le monde. C’est vraiment un souhait pour nous.
Etes-vous en rapport avec d’autres structures de chasseurs des pays voisins ?
On est souvent en rapport avec ceux de la Côte d’Ivoire, de la Guinée et du Burkina Faso. Nous rencontrons leurs responsables. On y retrouve les mêmes structures de confrérie et d’association. Avec le Burkina, les invitations sont fréquentes. Ils assistent à nos réunions ou à des soirées récréatives qui ont lieu à Sikasso. Vous savez qu’en ce qui concerne la chasse, la conception de la confrérie est partie du Mali. Ailleurs, on retrouve ce même principe. On utilise les mêmes plantes. Ces choses-là se transmettent de maître en maître car pour devenir un bon chasseur, il faut faire d’abord l’école. Il faut être élève et apprendre. Ce n’est pas comme chez vous où il suffit d’aller acheter un fusil pour être chasseur ! En tant qu’élève d’un maître, vous lui devez respect et obéissance. Vous ferez auprès de lui deux ou trois ans, ça dépend du temps qu’il vous faut pour acquérir ses connaissances.
Le programme de la Rencontre des chasseurs d’Afrique de l’Ouest prévoit la création d’un « dankun » international et l’initiation de participants ou d’invités. Qu’est ce ça représente pour vous ?
Bon, l’initiation, c’est autre chose. Dans les règles normales de la chasse, ça ne se transmet pas comme ça, de n’importe qui à n’importe qui. Maintenant, si administrativement on veut l’imposer, peut-être que ça peut se faire. Mais l’initiation, ce sont des confidences, des secrets que les chasseurs gardent pour eux. Si l’on veut, on peut toujours l’imiter mais ça ne sera pas l’initiation réelle. Le dankun dépendra de l’accord des maîtres. On peut vous montrer les règles primaires ou élémentaires, mais les règles réelles du dankun, on ne peut pas vous les montrer. Vous savez qu’aujourd’hui les choses sont ce qu’elles sont. On peut enfreindre. Sinon, avant, qui enfreignait ces règles-là pouvait se dire qu’il en avait pour quarante-huit heures !

///Article N° : 1638

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire