Le personnage de Louis Anniaba a inspiré Frédéric Couderc pour un roman empreint de grandes passions et de scènes de cape et d’épée.
Dans les paratextes de son roman, Prince Ébène*, Frédéric Couderc souligne à plusieurs reprises qu’il s’agit d’une uvre de l’imagination inspirée toutefois de certaines réalités historiques, devant lesquelles il prend ses précautions mais où il trouve bien ses cautions. » Je me suis autorisé, précise-t-il, à réinventer ce personnage singulier. Pour commencer, je lui ai donné un autre nom : Anabia. «
Marquer de la sorte les distances prises par rapport à la réalité floue et surtout mal documentée n’est que prudence encore que le changement de nom semble gratuit et superflu ! Il s’agit de faire revivre une époque, un milieu (ou plutôt deux : Versailles et la côte africaine) et un être d’exception.
Ce n’est pas la première fois que l’histoire de Louis An(n)iaba inspire les romanciers. Mais le traitement de Couderc est radicalement différent. Plus d’une fois, on dirait qu’il songe à des techniques cinématographiques, voire aux procédés racoleurs et plutôt tape-à-l’il d’une série B, comme la scène d’avortement qui ouvre le livre. La formule d’un roman à succès veut qu’il y ait de grandes passions : ici, l’amour entre Anabia et Marguerite de Caylus, cousine du chevalier d’Amon, occupe la première moitié du texte et laisse des échos qui continuent de résonner par la suite. Thanatos rejoint Éros dans des reflets parallèles : Anabia jette le ftus avorté dans le Grand canal et empreint son image à tout jamais dans son esprit.
L’amitié mâle et saine entre Anabia et son ami d’enfance, Shanga, sert de repoussoir affectif aux pulsions bisexuelles exacerbées de d’Amon, autant avide de jouissance que de gain. Elles le poussent jusqu’au meurtre de ce même Shanga lorsque ce dernier refuse ses avances. La passion de la revanche anime alors Anabia. A travers des scènes de cape et d’épée, le désir de vengeance est assouvi dans la partie la plus sauvage de la forêt de Fontainebleau. L’intervention des puissances absolues royale, ecclésiastique et surtout occulte ajoute une dimension insaisissable aux frissons. Ajoutez à cela l’exotisme tant de la cour que de l’Afrique et les risques des voyages entrepris entre l’une et l’autre, et l’on a de quoi retenir l’intérêt du lecteur curieux.
Chemin faisant, le lecteur est toutefois amené à admettre l’étalage d’une documentation qui fournit au roman une assise pédagogiquement correcte. Les divertissements et les murs de couloir et d’alcôve pratiqués à Versailles, des scènes de chasse et de jeu, voire les vêtements qu’on y porte, sont décrits en détail. Ils trouvent leur sombre écho dans les manigances politiques et des vêtements plus sommaires du royaume d’Assinie, où la chasse à l’homme remplace la chasse à courre. L’un des travers notoires du roman colonialiste est une documentation ethnographique qui distrait de la trame romanesque à tel point que celle-ci n’en est qu’un support banal, voué à disparaître sous le poids du savoir. Couderc court ici ce risque dont chaque lecteur, à son aune personnelle, mesurera la portée.
L’intrigue est bien ficelée, malgré quelques incohérences. Quitter La Rochelle pour la Côte d’Or en passant par l’île de Grioux est pour le moins curieusement indirect. Faire venir à l’esprit d’Anabia des vers de » La Mort du loup » d’Alfred de Vigny (titre utilisé deux fois dans le roman à bon escient, au sens propre d’abord encore des ftus avortés puisqu’il s’agit en fait d’une louve puis au sens figuré d’après Plaute : homo homini lupus) est une entorse à la chronologie. Elle nuit à la vraisemblance et interrompt le charme du récit. Faire occasionnellement escamoter ses » r » à Anabia, ou lui faire compenser cette prononciation plutôt antillaise qu’africaine en enchaînant parfois des » rrr » roulés d’insistance serait à peine justifié.
Prince Ébène fait tout pour plaire. L’histoire sur laquelle il est fondé est trop mal connue pour qu’on fasse grief à l’auteur de ne l’avoir pas respectée. Il a brodé un récit qui tient debout et en haleine et qui se prêterait bien à l’écran. On en dirait autant du récit de 1740.
* Presses de la Renaissance, 2003.///Article N° : 3890