Rencontres « Maintenant l’Afrique ! »

Synthèse de l'atelier Livres et Écrit

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Quatre ateliers thématiques ont été organisés par CulturesFrance le 23 octobre 2006 en préparation des Rencontres « Maintenant l’Afrique ! » Ces ateliers avaient pour but de dégager les principales problématiques des filières artistiques afin de nourrir les débats du colloque. L’atelier Livres et écrit, animé par Luc Pinhas, a rassemblé une vingtaine de professionnels.

L’atelier a réuni une vingtaine de personnes venues de France, de l’Afrique du Nord et de l’Afrique subsaharienne représentant : les auteurs, les éditeurs du Sud et du Nord, les libraires, les agents littéraires et les institutionnels.
Notre approche a été d’analyser globalement les différents maillons de la chaîne du livre avec une attention particulière pour les aspects transversaux. Les divers thèmes abordés peuvent être regroupés en trois grands points :
L’écrivain, la langue de publication, le public et sa formation
Les éditeurs – la production
Les libraires – la distribution
La faiblesse de l’édition en langues nationales
Un des premiers objets de questionnement a été celui de l’édition en langues nationales.
Ce n’est pas la question du choix de la langue d’écriture qui a été abordée mais, dans une logique d’économie de la culture, celle des publics et de leur langue de lecture.
Dans ce domaine, le constat est le suivant : le secteur de l’édition anglophone porté, le plus souvent, par une langue forte (le kiswahili en est l’exemple le plus frappant) est bien plus actif en matière de publication en langues nationales que l’Afrique francophone. Les publications y sont nombreuses et variées et trouvent nombre d’acheteurs.
En Afrique francophone, l’édition en langues nationales est surtout réservée à la « lecture fonctionnelle » et éditée majoritairement par des ONG (plaquettes d’information, outils pédagogiques…) ou à la demande de gouvernements (voir, en particulier l’édition au Bénin, chez Ruisseaux d’Afrique, du Code des personnes et de la famille, en huit langues nationales et pour un tirage de 200 000 exemplaires). La « lecture-plaisir » en langues nationales est moins développée. Le cas du Sénégal, où le wolof constitue une langue largement parlée, est intéressant : le roman Doomi golo, de Boubacar Boris Diop, écrit en wolof et publié aux éditions Papyrus, s’est très bien vendu, témoignant de la présence de lecteurs et d’acheteurs. Pourtant, certains n’ont pu le lire : en effet, une grande part de l’élite cultivée – notamment des éditeurs et des librairies – l’avoue elle-même : elle maîtrise parfaitement le français mais est « analphabète en langues locales ».
Un écart se creuse donc entre des populations rurales, alphabétisées en langues locales au gré d’actions soutenues par les ONG et les gouvernements, et les personnes ayant appris le français. Comme l’a résumé avec conscience Agnès Adjaho : « Nous, les alphabétisés en langue officielle – c’est-à-dire en français – devrions retourner sur les bancs des langues nationales ! »
La constitution d’un public lecteur est très importante puisqu’ils sont les acheteurs de demain. Au-delà de cette question – liée aussi à l’enseignement des langues – il est important de noter que l’absence de publications en langues nationales chez des éditeurs professionnels laisse souvent la place à une édition « sauvage » (à très bas prix ou le plus souvent gratuite) par des mouvements sectaires, et en particulier religieux. Leur influence est de plus en plus visible lors des foires et des salons du livre (en Afrique mais également au Nord).
La question de « l’extraversion » de l’auteur africain s’est également posée. Nombre d’écrivains préfèrent publier à Paris plutôt qu’en Afrique. Mais, ils se privent ainsi – étant donné le prix prohibitif de leur ouvrage – d’un public de lecteurs sur le continent.
Une politique de cession de droits pour un prix spécial en Afrique, tel que cela a été réalisé par Actes Sud, à l’initiative de l’Alliance des éditeurs indépendants (1), est à développer. Un véritable travail est à faire auprès des éditeurs : le contrat de droit d’auteur français étant particulièrement contraignant et freinant fortement l’achat des droits à l’étranger. La piste de l’édition bilingue ainsi que la politique de traduction (la traduction des grands textes reste un passage obligé de la formation du lecteur et de l’écrivain) sont à développer.
Une étude menée par Jean-Claude Naba pour l’Alliance des éditeurs indépendants, « Publier en langues africaines » est lancée. Elle aboutira par la tenue, à Ouagadougou, du premier salon du livre en langues africaines, en 2008.
Développer les niches éditoriales
Depuis une dizaine d’années, on remarque l’émergence d’un réseau d’éditeurs dynamiques, de plus en plus professionnels : une « nouvelle vague » de structures jeunes, mais encore fragiles. En ce qui concerne le livre, il est impossible aux éditeurs de survivre sans politique de soutien de la part des États. Même en France, où il existe pourtant une législation, le livre reste un produit aidé. On imagine donc l’ampleur de l’aide attendue au Sud, où les obstacles sont bien plus nombreux. Or, sauf cas particulier – la Tunisie par exemple – le livre et l’édition sont loin d’être des priorités pour les gouvernements.
Par ailleurs, un véritable problème, posé depuis plus de trente ans déjà, reste le marché du livre scolaire en Afrique francophone, dont la distribution demeure encore dans les mains des grands groupes français. L’édition scolaire, qui pourrait générer un marché relativement structuré, reste donc hors d’atteinte des maisons d’édition locales.
Sur cette question, les éditeurs ont conscience de devoir travailler non pas sur les marchés des éditeurs parisiens, mais sur ceux que ces éditeurs ne peuvent satisfaire. Développer « les niches éditoriales » se révèle donc une priorité. Le prix du papier et de l’encre en Afrique reste très cher, en raison de taxes importantes sur ces intrants. Il est important de sensibiliser les gouvernements afin que des politiques publiques puissent être mises en place. Cette tâche pourrait être accomplie par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Il est par ailleurs nécessaire de renforcer les solidarités locales, les coéditions Sud-Sud ou Sud-Nord.
La solution du « livre équitable » (Alliance des éditeurs indépendants) permet à la fois une mutualisation des coûts, un prix de vente réduit en Afrique et une distribution facilitée. Des coéditions existent aujourd’hui, dans une logique Nord-Sud (comme la collection « enjeux planète » qui regroupent 12 éditeurs indépendants d’Europe, du Maghreb, de l’Afrique Subsaharienne et du Canada) mais également Sud-Sud (collections « le serin » ; « libellule » ; « miroir d’encre » ; « arts d’Afrique… »). L’ouvrage À quand l’Afrique ? de Joseph Ki-Zerbo, coédité par des éditeurs du Nord comme du Sud, a connu un beau succès local : 3 500 exemplaires ont ainsi pu être vendus au Burkina Faso.
Les différents intervenants ont tous souligné l’importance des domaines suivants : les liens interprofessionnels, les plates-formes de rencontres professionnelles (à ce titre, l’initiative de ces ateliers CulturesFrance a été saluée), la formation des acteurs de terrain, l’action des pouvoirs publics qui ne doit pas être du saupoudrage mais un véritable accompagnement des initiatives qui fonctionnent afin que celles-ci perdurent.
Pour un « livre équitable »
La diffusion du livre est véritablement le nœud du problème. Comme l’a rappelé Agnès Adjaho, le libraire arrive en fin de chaîne mais a besoin de pouvoir travailler en lien étroit avec les éditeurs. Un constat s’impose : le désir de livres est vraiment présent -des initiatives comme la Caravane du livre ont pu le montrer. Le public attend tous types de livres mais à des prix abordables (et donc des prix Afrique). Les éditeurs et les talents sont présents au Sud : il faut donc développer ces compétences car la logique d’extraversion est encore souvent la règle en matière de publication. Il faut par ailleurs se méfier des structures « paravents » (la « logique des containers » qui importe à prix réduit des ouvrages français) qui fragilisent le réseau des éditeurs et des libraires sur place.
D’un point de vue pragmatique, deux impératifs s’imposent au libraire : le besoin d’être informé et la possibilité d’être approvisionné de façon simple. Si ces conditions ne sont pas réunies, l’élan du libraire est freiné. Afrilivres, regroupement d’éditeurs francophones au Sud du Sahara, dont le catalogue est en ligne sur Internet, est une initiative à saluer qui a permis la visibilité du livre africain. Cependant, l’initiative a achoppé sur la question de la distribution. Les intervenants ont souligné l’importance d’une réflexion liée à cet échec de la distribution au Nord du livre édité au Sud. Cette question complexe demande une étude approfondie. Dans un premier temps, plutôt qu’une distribution Sud-Nord très délicate, la solution de « lieux relais » semble plus réaliste. La multiplicité des éditeurs freine fortement la circulation du livre et pose des problèmes de coût et de facturation importants. Alors qu’une centrale est en cours de constitution à Cotonou, il semble important de mettre au point deux structures permettant une meilleure circulation des ouvrages : une centrale en Afrique qui soit un point de convergence des ouvrages des éditeurs africains et une structure de distribution au Nord, qui soit un espace de vente et une vitrine des littératures africaines. Cette structure serait gérée par l’association à but non-lucratif Afrilivres et aurait en charge la facturation. Cette structure devrait être, du moins dans un premier temps, soutenue par les pouvoirs publics. Elle aurait un rôle important de visibilité : créer l’événement et informer.
La mise en place de cet organisme doit s’accompagner d’une étude précise préalable sur la réalité de la distribution du livre (quels coûts pour les envois ? quels moyens de distribution au Nord ?) L’expérience des petits éditeurs français, qui eux aussi font face à des difficultés de diffusion, est riche d’enseignement. Un comité d’expertise serait à créer pour cette étude (Afrilivres, AILF, AEI ?…)
Au terme de l’atelier, ont été affirmées, outre les propositions énoncées ci-dessus, les priorités suivantes : renforcer les liens interprofessionnels, créer des conseils syndicaux et des conseils interprofessionnels, exercer un lobbying afin de peser sur les politiques et les pouvoirs publics (sur le modèle d’initiatives positives menées en Amérique du Sud), développer les outils existant dans le domaine de l’information, en particulier sur Internet. Une banque de données sur le livre francophone devrait être envisagée pour combler la carence d’Electre qui ne recense que les ouvrages publiés en France (développer la base Afrilivres).
L’atelier n’a pu aborder les thématiques de la lecture, des bibliothèques et ses analyses ont surtout traité de l’Afrique francophone. Il s’est délibérément placé dans l’économie du livre et non dans la problématique du don.

1. Pour l’ouvrage l’Ombre d’Imana de Véronique Tadjo.///Article N° : 5809

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