Rendre le livre accessible aux populations rurales

Entretien de Sarah Turquety avec Nicole Gakou, directrice des éditions Kalaama

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La maison d’édition Kalaama, créée en 2001 à Dakar, est spécialisée dans l’édition d’ouvrages scolaires, d’alphabétisation, de littérature de jeunesse, des dictionnaires ou des guides. Les dix titres publiés annuellement sont généralement édités en plusieurs langues sénégalaises (le wolof, pulaar, sérère, soninké, joola, mandinka, balante, mancagne, wolofal, pulaaral) ou en bilingue. Les ouvrages d’apprentissage de la lecture représentent les meilleures ventes pour cette maison d’édition, qui projette de passer à 15 titres annuels en 2004.

Quels objectifs poursuivez-vous en publiant dans les langues nationales ?
Notre principal objectif est de rendre le livre plus accessible aux populations rurales. Depuis plus de deux décennies, le Sénégal a opté pour une politique d’alphabétisation en langues nationales de la population essentiellement en milieux ruraux. Cette alphabétisation est une alphabétisation fonctionnelle (lecture, écriture et calcul). Cette même population perd l’usage des mécanismes de base de l’écrit du fait de l’inexistence de journaux, de romans, de littérature de jeunesse, etc. Notre maison d’édition se veut un partenaire de l’Etat et des différents départements dès lors que l’introduction des langues nationales dans notre système éducatif, notamment dans le cycle élémentaire aura lieu, et aussi un cadre de réflexion, de recherche pour les auteurs.
Nous publions également des livres bilingues, avec comme volonté d’élargir notre lectorat en visant les émigrés et les étrangers qui veulent s’intéresser à une de nos langues nationales.
Quelles difficultés rencontrez-vous ?
La première difficulté que nous rencontrons est technique. Bien que nos langues nationales soient codifiées, leurs écritures posent encore quelques difficultés du fait de la pluralité des déclinaisons dans une même langue. Il est urgent que nos gouvernants mettent en place une Académie des langues nationales.
Difficultés financières aussi car le lectorat du livre en langue nationale est un lectorat rural ayant peu de moyens financiers. Pour développer l’édition dans nos pays du Sud, il faut une réelle politique de soutien de l’édition en formant les éditeurs, en rendant plus faciles leurs accès au crédit à moyen et long terme car l’édition en langues nationales est un travail de fourmi. Nous sommes une maison très jeune.
Quels sont les enjeux de l’édition en langues nationales ?
Les enjeux sont énormes pour nous pays du Sud. Notre développement passera par la maîtrise de ces langues nationales. Il faut que nos enfants apprennent dans leurs langues maternelles au moins en maternelle et pendant les deux premières années du primaire. L’utilisation du français est le premier traumatisme que l’enfant doit surmonter avant d’assimiler les diverses notions de l’enseignement à recevoir. Développer la publication en langues nationales permettrait également une appropriation des techniques et technologies nouvelles par la cible qu’est le monde rural.

L’ARED, ONG éditrice en langues nationales
L’ARED (Associées en Recherche et Education pour le Développement) publie une moyenne de 10 nouveaux titres par an ainsi que 8 ré-impressions. Selon les Notes sur les Connaissances Autochtones (n°38, Banque Mondiale, novembre 2001), cette ONG vendrait entre 30 000 et 50 000 volumes de documents (ouvrages et périodiques) chaque année. Dix personnes y sont employées. Créée en 1989 par des Sénégalais, l’ARED est immatriculée aux Etats-Unis. Elle dispense des cours d’alphabétisation en langues peul, le pulaar au Sénégal, et édite donc essentiellement des guides d’alphabétisation mais également des ouvrages de littérature pour les adultes, des guides ainsi que des ouvrages scientifiques. Si l’ARED édite 92 % des ouvrages en langues nationales en pulaar, elle publie également en wolof, soninké, mandika. 95 % des ventes sont faites au Sénégal, le reste est distribué dans d’autres pays. Cette association, vivant de subventions, finance 75% de son activité éditoriale par la vente des ouvrages produits. Sa directrice, madame Sonja Fagerberg-Diallo, indique que la vocation de l’ARED est de favoriser les rapports entre éducation, recherche fondamentale et action communautaire en langues nationales. Elle insiste sur l’absence de système de marketing et distribution pour les livres en langues nationales : les acheteurs viennent au bureau de l’ARED pour les acheter et les transporter dans leurs communautés, éventuellement à l’étranger.///Article N° : 3200


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