Réveil

De Mohamed Zineddaine

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Ovni dans le cinéma marocain actuel, Réveil se veut un film de rupture sous la forme d’une méditation à deux voix, celle littéraire d’un constant monologue, l’autre cinématographique d’images qui tissent leur propre langage plutôt que d’illustrer. En noir et blanc, il joue sur l’ombre et la lumière à la façon des premiers films de Manoel de Oliveira, s’attachant aux détails de la ville, les cadrant de près comme des métonymies, se rapprochant en caméra épaule des êtres, décadrant volontiers pour masquer les visages et mettre en avant le mouvement des corps. Le cadre en bois trouvé en morceaux dans une décharge sera recomposé pour encadrer à la Magritte un livre cloué au mur, sacrifice d’une littérature qui n’a « servi à rien ». De même, le cadre incertain de l’écran révèle un hors champ plus significatif puisque le réel est lui aussi illusion, produit de notre propre vision.
Celui qui nous parle appartient à cette génération « qui n’a même pas de date de naissance dans le bordel qu’ont laissé les Français ». Il filme ses lieux d’enfance, les marges de la ville de Oued-Zem, proche de Khouribga, avec un regard d’anthropologue qui « épie les habitants », décidé à en étudier le quotidien du travail mais aussi ce qu’il appelle « le folklore », avec l’exemple d’une fête religieuse. En un montage serré multipliant les plans, son ciné-œil cherche à déceler les logiques à l’œuvre. Ce faisant, il s’isole dans une dérive existentielle radicalement mélancolique, trouvant refuge dans un dépôt délabré qui servait à tous de latrine, lieu interloque faisant écho à ses images du « misérable quotidien » des vivants. Complice des enfants des rues avec qui il partage une origine sociale dont il n’a pu s’émanciper, il semble condamné à en connaître aussi le destin tragique. Son commentaire devient récit, racontant son exil étudiant à Bologne en Italie, où la « civilisation » ne lui apparaît que comme un « autre théâtre du folklore, théâtre de l’hypocrisie et de la folie humaine ». La voix d’Hitler vient alors rappeler sur des documents d’époque les perversions contemporaines de l’Occident. L’évocation de l’aveuglement papal face au génocide des Juifs lui a même valu de se retrouver devant une salle fermée par l’exploitant chrétien pour la première du film en mars 2004, que montra finalement la cinémathèque de Bologne.
D’illusion en illusion, cette recherche désespérée de positivité face au sentiment accablant de l’échec et de l’absurde débouche cependant sur la possibilité d’un nouveau réveil, en rupture avec l’avidité, la projection religieuse et le conformisme intellectuel. S’il l’on accepte de plonger les doigts dans le goudron, il reste encore possible de déterrer un petit buste de Lénine. Si l’on accepte de plonger dans le vide, de prendre le train au hasard, le « tragique solaire de la Méditerranée », pour reprendre l’expression de Camus, peut laisser entrevoir une porte de secours. Encore faudrait-il faire rupture avec un cinéma maniériste cultivant le virtuose. C’est à cet exercice que se livre Mohamed Zineddaine dans un film volontairement hors-norme qu’il a financé avec ses propres dirhams et quelques-uns du Centre cinématographique marocain. Cet étonnement devant « cette vie qui m’est donnée, donnée pour rien » comme le disait Sartre dans La Nausée exprime un malaise que Réveil systématise dans la spirale d’un temps en suspension, ralenti abstractif et contemplatif où les cigarettes se fument en série et la mort plane comme une dilatation finale. Le blues du protagoniste de Mohamed Ziddaine se complaît volontiers dans le spleen comme Michel-Ange pouvait dire : « Mon allégresse à moi, c’est la mélancolie ». Il se nourrit d’un rejet de ce qui l’entoure de la même façon que la dérive de Lofti dans Demain je brûle du Tunisien Mohamed Ben Smaïl puisait dans le déracinement immigré. Mais cette fuite qui ne concerne finalement plus que lui-même débouche sur un appel à voir la réalité autrement. Le réveil est un programme en soi, belle perspective de ce film dérangeant.

///Article N° : 4450

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