Fiche Spectacle
THéâTRE
Moroni Blues/ Une rêverie à quatre
Pays concerné : Comores
Contributeur(s) : Soeuf Elbadawi, Mikidache, M’toro Chamou
Durée : 60

Français

Quatre hommes et une ville

Le premier tisse un poème autour de Moroni. Une cité aux boutres, nichée au bout du bout de l’Archipel. Une ville qu’il connaît bien, puisqu’il y est né et y a grandi. Ses amis quant à eux se font
complices et lui emboîtent le pas dans son récit. Ensemble, ils font couler le trembo (Alcool local fait à base de coco) de l’espérance et s’enivrent de paroles. Ils parlent du repli, trafiquent de l’imaginaire sur des bateaux en partance et descendent d’un boutre qui prend eau de tous côtés. Ils chevauchent la mémoire du « lieu », traversent une vieille médina au sombre regard et courent d’un pas ferme et mesuré à la recherche de leur semblable. A l’heure où les frontières du Même engendrent la peur et le rejet.
Moroni Blues.
une rêverie à quatre.
une poétique de la relation
avec des mots qui se mettent à danser.
des bruits. des voix. des notes de musiques.
faut croire que le songe d’une ville impossible
peut enfin prendre.

Distribution :
Personnage 1 Soeuf Elbadawi
Personnage 2 Mikidache
Personnage 3 M’toro Chamou
Personnage 4 Fabrice Thompson
Mise en scène Robin Frédéric
Texte, image, conception Soeuf Elbadawi
Première caméra Ibrahim Ali
Montage vidéo Lou Gallopa
Direction musicale Daniel Mikidache
Production BillKiss et Washko Ink.
Co-production Théâtre Les Bambous et CDROI sur une proposition de Washko Ink.

Un spectacle et des hommes
Le metteur en scène. Né dans la Meuse, formé au conservatoire de Nancy, il achève sa formation d’acteur auprès de metteurs en scène comme Paule Annen, Pierre Constant et Philippe Adrien.
Installé dans l’Océan indien au milieu des années 80, il évolue dans différentes compagnies réunionnaises telles que Talipot, Vollard ou Acte3, avant de se retrouver à la tête du théâtre Les Bambous de St-Benoît en 2001. Un théâtre qu’il dirige encore et qui a reçu le label de « scène conventionnée pour le théâtre d’aujourd’hui » pour son programme autour des auteurs vivants et pour son action auprès du public. Comédien, il a joué entre autres dans Les Dionysiennes d’Euripide, mis en scène par Aloual, dans Marie Dessambre d’Emmanuel Genvrin du Théâtre Vollard.
Dans Candide de Voltaire, mis en scène par Vincent Colin au Centre Dramatique de l’Océan Indien et dans L’entre deux rêves de Pitagaba de Kossi Efoui, mis en scène par Françoise Lepoix pour la Cie Cinétique. Il a également mis en scène Pomme pomme pomme d’Audiberti, Le Vieux rêve de Lolita Monga avec la compagnie Acte 3. Deux textes de Jean Luc Raharimanana : La Dinde, les deux compères, la femme et la bouteille pour le Théâtre du Lac et Le puits avec le Centre Dramatique de l’Océan Indien. Renard a volé Mr le président de Papakaïs au Centre Dramatique de l’Océan indien. Sleeping Beauty de Colette Carrigan (Cie Akseler), L’Arène d’Eric Languet (Cie Danses en l’R) et Anatole Feld d’Hervé Blutch (Cie L’Estrévagué)

Personnage 1/ comédien/ auteur. Il est à l’origine du projet. Formé par Michel Charles, un ancien de La Rue Blanche, Soeuf Elbadawi fait partie de ceux qui ont relancé la scène théâtrale comorienne il y a une vingtaine d’années. Il a été à l’origine de la troupe des « Enfants du Théâtre » à l’Alliance Franco-Comorienne de Moroni, une troupe qui a été une des chevilles-ouvrières du théâtre comorien au début des années 90. Auteur de fictions et journaliste, il dirige le « laboresvi », laboratoire de recherches en spectacle vivant, à l’université des Comores. Metteur en scène et comédien, il a joué dans Esprit de transhumance, durant deux saisons (2004-2005) au Théâtre de l’Opprimé à Paris, après l’avoir créé pour le compte du festival Métissons à Marseille en 2003. Il a également joué dans Haïti d’île et d’exil, un spectacle de Luc Clémentin dédié à la littérature haïtienne, programmé au TILF à la Villette et à Beaubourg en 2004, au « Collectif 12 » à Mantes la Jolie en 2005 et à l’Institut Français de Naples en avril 2006. Soeuf Elbadawi est également connu comme journaliste dans son pays, où il dirige le Komor4 Festival depuis 2001. commis un film en 2006, Moroni Undroni Mndroni, sur la question du repli communautaire dans la
capitale comorienne, avec la complicité de Ahmed Jaffar, un jeune réalisateur.

Personnage 2/ comédien/ guitariste. Mikidache, à qui échoit la direction musicale de cette partition à quatre. Un adepte de l' »open tuning » au doigt agile et à la grâce féline. Lauréat des Découvertes RFI 99, Mikidache incarne les espoirs d’une génération d’artistes comoriens, qui désire renouer avec la mémoire ancestrale, tout en se réclamant d’une écriture contemporaine de plus en plus audacieuse. Son répertoire cultive ainsi la nostalgie des temps passés par son approche mélodique et rythmique, tout en s’inventant de lointains cousinages de par le monde, dans un langage d’une modernité absolue. Une musique sans complexes, qui cultive l’accent du terroir et le rêve du global village à la fois. Son dernier album, sorti en 2006, s’intitule Mgodro Gori (Cobalt/ Harmonia Mundi).

Personnage 3/ comédien/ instrumentiste. M’toro Chamou, autre guitariste émérite. Il fait partie, avec Mikidache et Baco, des « fleurons » de la scène « mahoraise » actuelle. Auteur-compositeur, qui « chante le mal du pays et le complot de l’homme contre l’homme », selon Tiziane Marone, M’toro Chamou « sait aussi trouver les mélodies pour chanter l’amour, le désarroi, l’espoir d’une porte qui s’ouvre sur le monde ». Transfuge du « mgodro » traditionnel, un rythme très proche du patrimoine sur lequel se penche Moroni Blues/ Une rêverie à quatre, M’toro Chamou s’inscrit dans une avant-garde des musiques dites « ternaires » ou « six-huit » (abus de case, de catégorisation ou de labellisation ?) de la sous-région. Dernier opus connu : Bwé Foro (Groove Etthnik Music).

Personnage 4/ comédien/ percussionniste. Fabrice Thompson est l’homme-orchestre de ce spectacle. Percussionniste émérite, ce maître guyanais du tambour allie finesse et maîtrise du rythme dans sa quête effrénée de sons novateurs. Il accompagne Mikidache et M’toro Chamou depuis plusieurs années, fréquente le tout Paris world, est connu pour jouer dans des répertoires marqués par les influences des îles du sud-ouest de l’Océan Indien, de l’Afrique continentale et des Caraïbes. Fabrice Thompson, qui accompagne également le Cap-vert de Teofilo Chantre, est un homme de brassages et de rencontres. Un homme du melanj…

Un peu d’histoire…
Moroni Blues/ Une rêverie à quatre est un projet au croisement de plusieurs disciplines, porté par Soeuf Elbadawi, auteur de « Moroni Blues/ Chap. II » (éd. Bilk & Soul ») et homme de théâtre de nationalité comorienne, résidant entre Paris et Moroni. De retour dans son pays en 2005, après plus de dix ans de vie en Europe, il engage une réflexion sur les notions d’identité et d’appartenance à partir de son vécu dans une ville (Moroni) faite de brassages multiples, mais qui, le temps aidant, a tendance à se replier sur elle-même, au point de générer de la tension et du mépris au quotidien.
Au départ du projet, Soeuf Elbadawi cosigne un essai filmique avec un réalisateur comorien, Ahmed Jaffar, un film à travers lequel il s’autorise à revenir sur le passé de cette ville comorienne, tout en s’attardant sur les questions d’ouverture qui lui sont liées. De cette première expérience est née une seconde, qui l’a amené à mettre en perspective les suites de sa réflexion à travers une installation, associant plusieurs formes d’expression – vidéo, musique, théâtre, arts plastiques – dans le cadre d’un projet présenté au festival du Film d’Afrique et des îles de la Réunion fin 2006.
Et ce, après avoir monté une exposition avec performance à l’occasion du festival Africolor en novembre et décembre 2005 au centre culturel André Malraux au Bourget.
En janvier 2007 est sorti ce livre (« Moroni Blues/ Chap. II » aux éditions Bilk & Soul), qui reprend toute la démarche de l’auteur par le début, avec une volonté de forcer les siens au débat contre les replis communautaires de toutes sortes et surtout contre le principe de la reproduction du « Même » dans un monde plutôt inscrit dans le « Divers ». Soeuf Elbadawi se raccroche alors à une dynamique typiquement « glissantienne », où la diversité devient un point d’ancrage essentiel dans l’élaboration d’une poétique de la relation, « selon laquelle toute identité s’étend dans un rapport à l’autre » _ la « poétique » est à prendre [ici]au sens d’une « manière de se concevoir, de concevoir son rapport à soi-même et à l’autre et de l’exprimer ».

Paroles d’auteur
Moroni Blues/ Une rêverie à quatre est un projet à caractère pluridisciplinaire, qui s’inspire de « Moroni Blues/ Chap. II », un livre qui parle de construction citoyenne et de repli communautaire.
Un livre à travers lequel l’auteur questionne la relation à l’Autre, et ce, à partir de son propre vécu dans la capitale comorienne. « Dans cet ouvrage, je m’intéresse à notre rapport à la différence. Je pars d’un constat simple, à savoir qu’une ville est un lieu d’intégration. Toute cité, comme toute société, et comme toute culture, qui n’intègre pas des apports nouveaux, des visages d’ailleurs, des visions du monde différentes, finit par s’anéantir d’elle-même. Je dis toujours que le « repli » a une odeur, celle de la mort, et que s’il s’érige en principe de vie dans certaines de nos sociétés, c’est parce que la fabrique du semblable rassure le grand nombre chaque jour un peu plus » écrit Soeuf Elbadawi.
De la difficulté de se réinventer dans l’Autre ou de l’incapacité de se projeter dans le Divers, « inextricable » selon Glissant. Les hommes ont tendance à inscrire plus facilement leurs pas dans un processus de fabrication du Même, au lieu de poser la question de la relation, qui, elle, est basée, non pas sur l’origine et le semblable, mais sur ce que les uns et les autres ont à s’apporter, à faire ensemble. La question posée est donc celle des conditions du mieux-vivre ensemble. « Les frontières établies entre les hommes naissent de nos imaginaires à l’étroit. Je pense à nouveau à Glissant qui encourage à une insurrection de l’imaginaire. Moroni a été une cité ouverte sur le monde de par son histoire. C’est le souvenir que j’en ai gardé depuis l’enfance. A présent, je redécouvre son autre facette, engluée dans le communautarisme de village. De vielles histoires sont là tapies derrière les murs d’une médina à l’ombre du monde. Elles correspondent à une ligne imaginaire, qui divise cette capitale en deux communautés. Une situation qui m’exaspère au plus haut point ». Sans doute parce que cette ligne de frontière écrase les rêves communs d’existence et d’épanouissement social de toute une population pourtant vouée au même destin. Moroni Blues/ Une rêverie à quatre se construit à partir de cette réflexion. « J’ai ainsi imaginé quatre personnages sur scène, trois musiciens et un diseur, qui partagent des fragments de leur vie dans cette ville et qui nourrissent cette vision que j’ai de Moroni, à savoir un lieu où l’on ne sait plus embrasser le monde… »
Quatre personnages qui autorisent à repenser la scène comme un espace de dialogue entre des formes d’expression aussi diverses que l’image, la musique ou le théâtre. Besoin d’éclater les frontières entre les genres, à l’image de murs que l’on éclate entre les êtres. Le questionnement de Moroni Blues/ Une rêverie à quatre est simple, à priori. « Pourquoi faut-il que les hommes continuent encore à se projeter dans des relations verticales et méprisantes envers l’Autre, envers leurs semblables ? Raconter Moroni à travers ce projet n’est qu’un prétexte. Pour tisser de la relation durable, ailleurs dans le monde ou dans ma ville. Un prétexte pour établir des passerelles entre certains mondes et d’autres. Entre le lieu où s’est construit mon imaginaire, et mon écriture, et celui où vit mon lecteur potentiel, ou évolue le spectateur. » Le lieu (Moroni) devient à travers un récit (à facettes multiples) une matière à relations et à réflexions.
La présence de Mikidache, artiste comorien de Mayotte, dans le projet relève de cette volonté chez l’auteur de retrouver un imaginaire ancré dans l’enfance partagée. « Dans le temps, Mikidache et moi fréquentions la même école coranique, située à la Coulée de lave, le quartier le plus cosmopolite de cette bonne vieille cité moronienne, un quartier où l’on retrouvait toutes les composantes de la population comorienne réunie. A la sortie, vers vingt heures trente, nous passions non loin d’une maison en paille, où se réunissaient certains soirs domestiques et petits artisans. Des sorte de déracinés, des exclus du système, happés par le destin d’une grande ville, travaillés par la nostalgie d’un village déserté. Des enfants de l’exode rural, souvent précarisés et rejetés dans cette cité, parce que n’étant pas « biens nés », selon des critères liés à l’origine. Des êtres broyés à qui on rappelait bon an mal an leur statut de « pièce rapportée » dans la ville. Des hommes qui pour moi étaient de « l’entre-deux ». ils se retrouvaient là dans cette case et jouaient une musique ternaire et hautement festive -la nuit entière- pour sans doute calmer une angoisse.
L’angoisse de vivre et d’évoluer dans une cité de partage, sans jamais se sentir à la bonne place, sans jamais ressentir le plaisir d’être chez soi. L’angoisse d’être toujours désigné comme « l’étranger de service » dans un pays où l’on appartient d’abord à son clan et à son village. Leur musique servait à exorciser des peurs, tout en racontant les différences qui nous fondent. Ces domestiques et petits artisans rappelaient par leur discrétion à tous les prétendus « vrais » moroniens qu’ils évoluaient dans cette ville comme autant de fantômes sans domicile ».
« Moroni, dans ce dispositif, ne m’intéresse que parce qu’elle m’autorise à converser avec d’autres destins de par le monde » insiste Soeuf Elbadawi. Réduire ce projet au seul lieu évoqué (Moroni) serait trahir effectivement l’intention de départ. « Je m’intéresse plus largement aux questions du mieux-vivre ensemble. Disons que j’ai voulu, à partir d’un vécu, le mien, à Moroni, m’intéresser à des problématiques qui interpellent plus d’une société aujourd’hui. Je pense que les questions que je soulève font écho à des peurs existantes partout ailleurs dans le monde. Moroni n’est qu’un prétexte de plus pour parler d’une chose qui nous pend au nez et qui ne dit pas toujours son nom ». Cependant, la réussite d’un tel projet passe, selon Soeuf Elbadawi, par sa capacité à susciter du débat partout où il est présenté, afin de sensibiliser les « territoires » ou les publics rencontrés sur le danger que représentent le repli communautaire et le rejet de l’Autre.
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