En avril, émoi au sein de la communauté française en Afrique du Sud. Tout le monde, de l’ambassade aux services culturels, a pensé se rendre au Cap. La raison ? Juliette Binoche y a passé dix semaines en tournage. Mais l’actrice était trop occupée à observer la romancière afrikaner Antjie Krog, qu’elle incarnera à l’écran, pour penser petits fours et pince-fesses. Le roman au succès retentissant, Country of my skull, d’Antjie Krog, a retracé les audiences bouleversantes de la Commission vérité et réconciliation (TRC), vécues en direct par un journaliste chargé de les couvrir. L’ouvrage donnera son titre au prochain film du réalisateur britannique John Boorman (auteur de La forêt d’émeraude et Excalibur). Antjie Krog n’a pas participé à l’écriture du scénario, mais Juliette Binoche joue un rôle qui lui ressemble, un personnage nommé Anna Malan. Cette poétesse afrikaner, dans le film, suit les travaux de la TRC pour la radio, aux côtés de Samuel L Jackson, qui interprète pour sa part un envoyé spécial du quotidien américain The Washington Post. Au Cap, la vedette noire de Hollywood, vue dans Pulp Fiction et Jackie Brown, s’est distinguée par une présence tout aussi discrète que Juliette Binoche. C’est tout juste si Samuel L Jackson a été reconnu par des mélomanes cinéphiles, dans la foule, pendant les concerts du North Sea Jazz Festival, organisé tous les ans au mois d’avril dans la péninsule.
John Boorman, 70 ans, s’est entouré de précautions pour dire tout son respect vis-à-vis de l’histoire du pays, qui ne sera pas « dénaturée » par son film, a-t-il garanti. Il a néanmoins estimé que son projet, une production de quelque 15 millions de dollars, pourrait avoir « un plus grand impact » que la TRC elle-même
« Les notions de révolution de velours, d’humanité et de réconciliation sont vitales pour tellement de choses qui se passent dans le monde aujourd’hui », a-t-il déclaré à la presse, début avril, en pleine guerre des Etats-Unis en Irak. « Pour moi, en tant que Française, il y a des parallèles avec l’Algérie », a commenté Juliette Binoche. « Nous n’avons pas eu de TRC et nous l’attendons encore », a-t-elle poursuivi, loin de son image de Marianne qui fait rêver dans les chancelleries
Saartje Bartmann, une autre femme sud-africaine, est elle aussi à l’honneur. Un appel aux plumes sud-africaines a été lancé en avril pour l’écriture d’un scénario qui retrace la vie de la « Vénus Hottentot ». Saartje Bartmann a été rendue célèbre par le documentaire réalisé sur elle par le jeune cinéaste sud-africain Zola Maseko. Son projet consiste à faire un long-métrage de fiction basé sur l’histoire de cette femme Khoisan du Cap, exhibée comme un monstre dans les foires de Paris et de Londres au début du XIXe siècle, en raison de la taille impressionnante de ses fesses. Son cerveau et ses organes génitaux ont été enterrés en grande pompe et avec beaucoup d’émotion, l’an dernier, dans le Transkei, après avoir trempé pendant plus d’un siècle dans le formol, au musée de l’Homme à Paris. En partenariat avec le producteur sud-africain Shan Moodley, Zola Maseko s’emploie à monter une co-production avec des partenaires français et britanniques.
Peut-être tournera-t-il dans les grands studios que veut construire la ville du Cap, nouvelle Mecque de la photo de mode et du film publicitaire (avec des retombées annuelles estimées à 2 milliards de rands). Parmi les 13 candidats en lice, Dreamworld, un consortium mené par le producteur sud-africain Anant Singh, qui travaille à la mise en image de Long chemin vers la liberté, la biographie de Nelson Mandela. Concurrent de poids : Cape Town Motion Picture Studios, un groupe dirigé par Anton Nel. Ce producteur blanc qui a travaillé à Hollywood s’est associé à de grands noms de la communauté noire pour défendre son dossier. Ses partenaires ne sont autres que l’homme d’affaires Zwelakhe Sisulu, fils du défunt Albert Sisulu, Hlumelo Biko, fils de l’ancien héros du mouvement de la « conscience noire » Steve Biko, ainsi que Mamphela Ramphele, l’ancienne maîtresse de Steve Biko, aujourd’hui recteur de l’Université du Cap. L’idée : réhabiliter le quartier de Culemborg en l’équipant de 9 studios, d’un restaurant, d’un complexe de salles de cinéma, de bureaux et d’appartements. Anton Nel a déjà commandé les plans à un architecte de Hollywood, Gary Bastien. Première démonstration de foi dans le black empowerment : un projet social, « Shooting for Life » (filmer pour la vie), destiné à fournir du travail aux enfants des rues de plus de 16 ans.
A Johannesburg, Monna Mokoena, grand amateur de cinéma
japonais, a ouvert Momo, sa galerie d’art. Une institution prometteuse qui va très vite rivaliser avec Linda Goodman, la seule galerie du pays vraiment connue à l’international. L’esprit de Momo relève à la fois du black empowerment et du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad). Marchand d’art depuis plusieurs années, Monna Mokoena a accroché de grands noms sur ses murs, comme le plasticien Kay Hassan et le photographe Santu Mofokeng. De toute beauté, des tirages de ses vues poétiques de Soweto sont proposés à 24 000 rands (environ 2 700 euros).
En quête d’une certaine rentabilité, Momo devrait figurer parmi les exemples réussis de black business, grâce aux contacts et à la clientèle de son fondateur. Une clientèle certes étroite, mais composée d’acheteurs réguliers, qui vont de l’Etat, avec des commandes diverses (décoration de la nouvelle ambassade en Allemagne, ou de Parlements provinciaux), à des capitaines d’industrie noirs comme Cyril Ramaphosa, membres d’une poignée multiraciale de collectionneurs assidus.
L’objectif de Momo n’est pas de promouvoir des artistes exclusivement noirs, mais de faire connaître l’art contemporain africain en général. Et satisfaire la soif de l’Afrique du Sud pour une offre culturelle qui lui corresponde autrement dit, des toiles africaines, qui restent à découvrir, plutôt qu’américaines, parfaitement connues
Excitante, l’idée consiste à former des partenariats en Afrique, pour explorer des tendances qui « n’ont pas forcément à rentrer dans le moule occidental », explique Monna Mokoena. « L’art contemporain ne passe pas forcément par la vidéo, il y a un retour fort vers la peinture en Afrique », poursuit-il, citant le peintre congolais Roger Botembe en exemple.
Gallery Momo, Monna Mokoena
Tel : 27 11 327 32 47
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