Le 30 octobre 1974 est une date mémorable dans l’histoire de la boxe. À Kinshasa, Mohamed Ali bat alors George Foreman. Retour sur le combat du siècle en ce quarantième anniversaire.
Au mois de juin dernier, le magazine Forbes publiait son classement annuel des sportifs les mieux payés. Le premier est un boxeur : Floyd Mayweather. Dans le milieu du noble art, cette impressionnante machine à gagner – 46 victoires- est surnommée « dernier roi ». Avec lui, l’époque où le ring était un véritable lieu de sacre dans tous les sens du terme semble révolue. Voilà pourquoi le combat entre les Américains Mohammed Ali et George Foreman est mémorable. Souvenons-nous donc de cette nuit où la boxe avait rendez-vous avec elle-même.
Le 30 octobre 1974, dans la ferveur d’une nuit africaine, l’ancien champion du monde, Mohammed Ali, célèbre sur les rings et en dehors, défiait « l’invincible » détenteur de la ceinture des poids lourds, George Foreman. Ce dernier, du haut de ses 25 ans, s’est acquis la réputation d’un pugiliste surpuissant capable de balayer d’un seul crochet n’importe quel adversaire. Mais ce match fut sans doute le plus grand coup de théâtre du sport moderne. À la huitième reprise, galvanisé par une foule qui n’exigeait rien de moins que la mort du colosse, Ali, l’abeille-papillon passait à l’attaque. Le fougueux Foreman, qui avait perdu toute sa superbe depuis la fin du cinquième round lors d’une démonstration d’adresse d’Ali, était prêt à être cueilli. Le danseur était de retour ; le torero pouvait alors porter l’estocade finale. Un peu plus de dix secondes avant la fin de cette inoubliable huitième reprise, le public kinois exultait en voyant les bras de Foreman bouger maladroitement dans le vide, sans coordination, comme les ailes d’un oiseau qui apprend à voler. Et puis c’était la chute, le décompte. Plus que jamais Ali était LE PLUS GRAND !
Ce combat a en plus une force mémorielle, peut-être parce qu’il représente la quintessence même de la boxe. En effet, c’est dans le fond primitif humain qu’elle prend ses racines, c’est à cette « mythopoïétique » d’avant l’ « invention des armes », du « triomphe du génie physique » (Joyce Carol Oates) que se rattachent les pugilistes.
Et quoi de mieux pour redynamiser, cette mémoire d’un autre temps que la primitive jungle ? À Kinshasa, la boxe était de nouveau à la maison, les guerriers aussi. Don King, le promoteur de boxe professionnelle à qui on doit l’appellation de ce match « Rumble in the jungle » (1) n’a pas hésité à cultiver et entretenir cette symbolique du retour glorieux, « from slave ship to championship ! »(2). Mobutu, le président du Zaïre, qui tenait là une occasion de se (re) construire une image internationale, ne dédaignait pas la rhétorique du « pain et du jeu » : « cadeau du président au peuple zaïrois et en l’honneur du peuple noir » lisait-on sur les affiches. Quant à Mohammed Ali, il criait à tout le monde qu’il était chez lui et Foreman admettait que « l’Afrique était le berceau de la civilisation » et que par conséquent, « tout le monde y avait sa place ». Il y avait donc une pulsation originelle dans ce « grondement » qui vient enflammer les imaginaires et donner à ce match une stature mythologique, donc intemporelle.
L’auteur Norman Mailer a donc bien fait d’intituler son livre The fight (LE combat), parce qu’il a quelque chose de singulier et d’absolument archétypal. La boxe ne devient elle-même que lorsqu’elle perd de sa contingence, lorsqu’elle se soustrait du ring et devient une potentialité, un tremplin de l’imaginaire. Et le Rumble in the jungle a atteint ce stade
(1) « Le grondement de la jungle »
(2) « Du bateau négrier au championnat »Pour poursuivre
GAST, Léon. When we were kings. 1996.
MAILER, Norman. Le combat du siècle (The Fight). Paris : Denoël, 2000.
OATES, Joyce Carol. De la boxe. Paris : Éditions Tristram, 2012.///Article N° : 12509